Entre la hausse des taux pratiquée par la Fed pour combattre la fièvre inflationniste et la politique drastique contre le Covid menée par le gouvernement chinois, les zones d’ombre s’accumulent pour les marchés de ces deux Etats moteurs de l’économie mondiale. Si à court terme les acteurs de marché se veulent prudents, le potentiel de revalorisation à horizon plus lointain reste attractif, en particulier du côté des valeurs chinoises.
Les deux surpuissances économiques mondiales naviguent actuellement dans des eaux bien différentes. Entre la lutte acharnée de la Fed contre l’inflation du côté des Etats-Unis et le ralentissement économique pour cause de lutte contre la Covid-19 du côté de la Chine, ces deux marchés font face à des difficultés dont l’issue reste incertaine. A plus long terme, si les tensions géopolitiques font bouger les lignes, les investisseurs ont tout intérêt à s’exposer à ces deux places fortes. « La Chine et les Etats-Unis sont deux zones économiques qui vont continuer à se décorreler. La mondialisation va être laissée de côté, ce phénomène s’accélérant depuis la guerre en Ukraine, note Jean-Marie Mercadal, directeur des investissements chez Ofi Holding. Les pays occidentaux ne souhaitent en effet plus être dépendants des usines qui se situent à l’autre bout du monde, tandis que les tensions idéologiques pourraient s’accroître. Dans le cadre d’un portefeuille global, il est donc attractif d’investir dans des entreprises qui sont moins corrélées, mais au potentiel de clients énorme. C’est le cas en particulier de la Chine qui, avec ses pays voisins, dispose d’un marché de 3,5 milliards d’individus. De son côté, les Etats-Unis disposent d’une puissance bien connue de tous et qui s’est encore révélée dans le cadre du conflit ukrainien. La suprématie du dollar s’est à nouveau vérifiée, tout comme sa suprématie technologique et en termes d’armement. A moyen/long terme, pour un investisseur particulier, il est pertinent d’être investi sur les trois zones en dollar, euro et renminbi de façon équilibrée. »Etats-Unis, l’inflation au centre des attentionsLa flambée des prix est donc le point noir majeur perturbant les marchés depuis plusieurs mois outre-Atlantique. Et les investisseurs suivent avec attention l’action de la Fed dont la priorité est de la combattre, quitte à casser la croissance. « Depuis juin 2021, l’inflation est forte aux Etats-Unis et culmine à 8 %; c’est un élément que nous n’avions pas anticipé, avec une augmentation généralisée des prix dans l’alimentaire, l’énergie, les services et certains biens indispensables comme les semi-conducteurs, confier Xavier Gérard, gérant associé d’Optigestion. La Fed a décidé de combattre en priorité l’inflation, car si elle n’est pas “transitoire”, elle générera des tensions sociales fortes qui entraîneront des hausses de salaires généralisées, lesquelles amorceraient le cercle vicieux d’une auto-alimentation de l’inflation. Cette hausse généralisée des taux explique en partie la forte correction des cours des actions, car elle pèse sur la valorisation des marchés actions d’une part, et renforce la thèse d’un risque de récession d’autre part. » Néanmoins, pour Jean-Marie Mercadal, la hausse des taux américains devrait marquer une pause : « Les obligations américaines ont atteint les 3 %. Nous considérons qu’il s’agit d’un palier, car l’activité ralentit et les taux devraient augmenter moins rapidement que ce que le marché anticipe ».
Forte correction sur les actionsEn conséquence, sur les marchés actions, la baisse a été marquée, en particulier sur les valeurs technologiques peu ou pas rentables, dont le recul a été sévère. «Malgré des résultats supérieurs aux attentes au premier trimestre, le S&P 500 est aujourd’hui à 4 008 points, contre 4 793 points, à fin décembre 2021, soit une baisse de -15,9 % en monnaie locale, note Xavier Gérard. Pour l’instant, les bénéfices par actions attendus pour cette année sont à 237 dollars, ce qui valorise le marché à 16,9 fois les bénéfices, contre 21,6 à fin décembre 2021. L’impact de la hausse des taux sur les valorisations est donc déjà bien engagé, mais nous considérons que la capitulation des marchés n’est pas encore atteinte, tant que les taux longs restent à ces niveaux.»Le gérant d’Optigestion détaille : « La correction des marchés actions, à l’oeuvre depuis le mois de novembre 2021, a débuté par les sociétés en très forte croissance, encore peu rentables. A titre d’exemple, on peut citer Zoom (85 % par rapport à son point haut en novembre 2021) ou Netflix (-73 %), Paypal (-74 %), Shopify (-78 %)… Et la liste est longue. Même les Gafam, sociétés leaders sur leurs marchés, en croissance et aux fortes rentabilités confirmées ont perdu environ 25 % de leur valeur. En revanche, les secteurs défensifs se sont bien comportés, notamment les pétrolières (+44 % depuis novembre 2021), la consommation de base (+15 %), les services aux collectivités (+6,7 %), par exemple. Concernant les perspectives sur les marchés actions, nous assistons à une révision généralisée, en baisse pour les objectifs à fin d’année. A titre d’exemple, le consensus des analystes sur le S&P500 est passé de 5 258 à 5 090, soit une révision de -3 % pour l’instant, ce qui témoigne d’une confiance moindre dans les marchés actions. »Dans l’attente de signaux positifsFace à cette situation, les gérants se montrent prudents. C’est en particulier le cas chez Pictet Asset Management, prudent sur les actions et plus particulièrement sur le marché américain. « Notre prudence à court terme s’explique par le comportement inamical de la Fed qui a resserré sa politique monétaire de façon importante, au risque de casser la croissance, indique Frédéric Rollin, conseiller en stratégie d’investissement. Or le ralentissement économique se fait sentir. Avec des taux élevés, l’inflation notamment, avec des salaires qui progressent et des valorisations qui demeurent élevées, nous préférons nous tenir en retrait de ce marché qui concentre la plupart des soucis actuels. » Ce sentiment est partagé chez Optigestion. « Aujourd’hui, nous attendons un signe sensible de la baisse de l’inflation et de la baisse des taux pour nous positionner, d’autant plus que le dollar s’est fortement apprécié par rapport à l’euro, note Xavier Gérard. Comme beaucoup, nous disposons d’une réserve de cash importante dans nos portefeuilles pour pouvoir saisir les opportunités. Dans ce contexte, il est préférable de privilégier les entreprises défensives, dont le bilan est sain, et s’écarter pour l’instant des cycliques et des sociétés de croissance. » Mais le gérant se veut patient avant de reprendre du risque : « Il faudra surveiller un retour de l’inflation vers la zone des 3 ou 4 %, mais cela pourrait mettre plusieurs trimestres pour y parvenir, selon nous pas avant la fin de l’année 2022…» Chez Ofi Asset Management, on estime que la correction n’est pas encore achevée. « Les actions ont souffert, notamment les valeurs de croissance qui ont un poids conséquent dans les indices, d’autant plus qu’il s’agit du marché le mieux valorisé, et nous considérons que ce n’est pas fini, indique Jean-Marie Mercadal. Face à ces turbulences, il peut ainsi être opportun de se positionner sur les grandes valeurs de la Tech. A plus long terme, nous estimons qu’une fois passée la hausse des taux, les marchés actions pourront rebondir, notamment les entreprises qui réalisent des bénéfices. Néanmoins, à court/moyen terme, nous manquons de visibilité et les marchés resteront volatils. » Du côté d’Amiral Gestion, on procède à un repositionnement par petites touches, alors que la société était, jusqu’ici, peu exposée au marché américain jugé survalorisé. « Nous commençons à revenir de façon très ponctuelle sur les valeurs technologiques les plus injustement sanctionnées et regardons des valeurs liées à la construction, elles aussi durement touchées par la hausse des taux », assure Louis d’Arvieu, gérant chez Amiral Gestion.Enfin chez WiseAM, deux thématiques de croissance à long terme sont privilégiées. « Nous préférons miser sur des thématiques pour le marché américain, via des fonds globaux mais qui sont composés d’une part conséquente de valeurs américaines », explique François Jubin, son CEO. Par exemple, WiseAM s’expose, via des ETF, au marché des énergies renouvelables et des valeurs technologiques. « En effet, ce secteur nous paraît attractif avec un PE de 17 sur l’indice solaire et avec une croissance attendue de plus de 25 % sur les prochains exercices. Par ailleurs, nous nous exposons au Nasdaq pour miser sur les valeurs technologiques. Le rééquilibrage des niveaux de PE était nécessaire dans un environnement de taux haussier. Ces valeurs seront moins pénalisées en cas de ralentissement de l’économie mondiale, s’il se produit. Peu exposées aux problèmes de cyclicité, ces valeurs Tech et vertes continuent de voir leur chiffre d’affaires progresser. Elles devraient être les premières bénéficiaires d’une accalmie sur les taux, les marchés s’orientant alors sur les valeurs de croissance lisible. »La Chine en net ralentissementLa puissance de l’économie chinoise n’est plus à démontrer. « La Chine est indéniablement une économie puissante, qui a profité d’une croissance forte, d’excédents commerciaux très abondants, constate Xavier Gérard. Récemment, la Chine a opéré un virage stratégique en privilégiant les investissements sur les énergies renouvelables, les services, la consommation domestique et un secteur immobilier fort représentant 25 % de son PIB. La Banque centrale chinoise a par ailleurs mis en place une politique monétaire solide, destinée à élever le yuan (RMB) au rang des monnaies de réserve à l’échelle mondiale. » Pour autant, la situation actuelle est complexe et n’incite pas les investisseurs à prendre du risque, comme le rappelle Sébastien Galy, Senior Macro Strategist chez Nordea Asset Management : « Actuellement, nous sommes dans un fl ou artistique concernant l’économie chinoise qui se trouve en ralentissement cyclique à cause de la gestion stricte de la Covid et avec un marché immobilier qui commence à se corriger. Nous arrivons à la fin de la croissance extraordinaire qu’a connue la Chine. Et les Chinois commencent à perdre la croyance qu’ils ont dans leur système économique…»Prospérité commune et politique zéro CovidPar ailleurs, les marchés actions ont été perturbés par la mise en place du programme dit de prospérité commune depuis fin 2020. « La mise en place de réglementations sur certains secteurs chinois a en effet fait plier les secteurs comme l’immobilier, avec des faillites de certains promoteurs, l’éducation privée, les jeux vidéo ou encore certaines grandes valeurs technologiques, dont le gouvernement cherche à “casser” le pouvoir de certains grands patrons, rappelle Jean-Marie Mercadal. Ces nouvelles normes visent à “la prospérité commune”, c’est-à-dire à corriger les excès des dernières décennies et à plus de cohésion sociale. Aujourd’hui, l’objectif est que tout le monde soit riche, alors qu’avant l’objectif était de permettre de s’enrichir. Ces dérives ont creusé des écarts, notamment au niveau immobilier et de l’éducation privée, et engendré des problèmes de natalité et de ressenti de la population. » Xavier Gérard poursuit : « La destruction de valeur a été amplifiée à court terme par le maintien de la politique zéro Covid qui a entraîné l’arrêt de nombreuses usines et occasionnant de nombreuses ruptures logistiques. Citons, à titre d’exemple, les huit cent cinquante bateaux bloqués actuellement dans le port de Shanghai, soit deux fois plus qu’au pic du Covid en mars 2020 ! »Forte capacité de rebondPour autant, les acteurs du marché croient en la capacité du gouvernement à rapidement inverser la situation. « Le gouvernement chinois, conscient du fort ralentissement de la croissance en cours, a manifesté la volonté de soutenir l’activité, pour renouer avec une croissance à 5 %, avant le congrès du parti communiste qui se tiendra en novembre prochain », note Xavier Gérard.Jean-Marie Mercadal ajoute : « Actuellement, la politique zéro Covid est coûteuse pour la croissance de la Chine. Or elle paraît intenable, eu égard aux caractéristiques du variant Omicron et nous pensons qu’elle va être abandonnée. L’objectif de croissance est de 5 à 5,5 % pour cette année. Face au ralentissement actuel, la Chine dispose des moyens pour relancer sa croissance. Des programmes d’investissement énormes financés par les banques publiques, les entreprises d’Etat et l’Etat sont dans les tuyaux, ainsi que des baisses d’impôt. Un rattrapage violent peut donc s’opérer en faveur du marché chinois. »Entre prudence à court terme et opportunités de long termePourtant très favorable au marché actions chinois, Pictet AM se veut désormais prudent à court terme. «Alors qu’il y a encore deux mois la Chine était notre marché préféré, nous en sommes sortis depuis. Tactiquement, notre positionnement neutre s’explique par notre difficulté à mesurer les contraintes sanitaires et l’ampleur du ralentissement qu’il provoque », confie Frédéric Rollin qui, sur le long terme, reste convaincu du potentiel du marché chinois. «Sur le long terme, les opportunités sont belles. A moyen terme, le marché chinois recèle de davantage d’opportunités d’investissement que les Etats-Unis car la croissance économique va y être supérieure, eu égard au retard de développement que compte encore le pays. Certes, elle sera inférieure aux 5 % actuels, mais il existe encore des gains de productivité à réaliser, notamment via l’urbanisation et la modernisation de l’économie. Et les valorisations ont rarement été aussi peu élevées. Sur le long terme, le marché chinois reste porteur, notamment les secteurs de l’innovation avec des valeurs qui deviennent de plus en plus compétitives par rapport à leurs concurrents américains dans le e-commerce, la logistique, les semi-conducteurs ou encore les énergies propres. Concernant l’IA, la Chine bénéficie d’un bassin de population large, avec des citoyens moins réticents à partager leurs données personnelles. Dans le domaine de la transition énergétique, le potentiel est important avec des leaders sur le marché de la production de batterie et dans le renouvelable, par exemple, le tout avec un gouvernement chinois qui affiche de fortes ambitions. La consommation, via l’élargissement de la classe moyenne, peut aussi être un bon thème d’investissement. A long terme, la sous-valorisation du renminbi est aussi un facteur de soutien, même si à court terme, la Chine pourrait souhaiter dévaloriser sa monnaie par rapport au dollar US. » Chez Amiral Gestion, on regarde avec prudence le marché chinois, même si des opportunités d’investissement peuvent être saisies. « Nous restons prudents sur le long terme car les évolutions géopolitiques ne sont pas anodines et nous assistons à un durcissement du pouvoir chinois, indique Louis D’Arvieu. L’affrontement économique avec les Etats-Unis est durable et la libéralisation de l’économie ne va plus dans le sens de l’histoire. Pour autant, le marché chinois n’est pas ininvestissable : les baisses de cours ont été excessives, notamment lorsqu’on observe que les valeurs occidentales exposées au marché chinois ont été, elles, peu sanctionnées. D’autres signaux sont encourageants, notamment les sociétés chinoises cotées à l’étranger qui rachètent leurs titres. C’est pourquoi nous avons augmenté de façon modérée notre exposition au marché chinois, notamment sur les valeurs technologiques, en sélectionnant les plus performantes et les plus en ligne avec les objectifs sociaux du gouvernement. Nous sommes également revenus sur une valeur d’assurance. » Du côté d’Ofi AM, plusieurs secteurs sont ou seront à privilégier. Pour Jean-Marie Mercadal, « Certains thèmes d’investissement peuvent être privilégiés comme l’économie verte (le gouvernement souhaite que 40 % de son parc automobile soit électrifié, d’ici 2030 !), la consommation domestique avec le développement de marques locales, la technologie ou encore la santé. Au sein de nos portefeuilles actions chinoises, des poches de 10 à 15 % de cash ont été constituées pour saisir ses opportunités. Sur le long terme, nous considérons que la devise chinoise va prendre de l’ampleur. En effet, le gel des avoirs russes en dollar va inciter certains pays à être moins dépendants de la devise américaine. Tous les pays ne sont pas forcément amis avec les Américains. » En revanche, chez Optigestion, on se tient à en retrait du marché chinois, pourtant considéré comme attractif à long terme. « Nous avons réduit l’an passé notre exposition sur la Chine, car les stop-loss qui accompagnent nos investissements ont tous été touchés ! Pour l’instant, nous restons à l’écart de ce marché, pourtant attractif, car le cadre réglementaire de l’investissement en Chine n’est pas suffisamment stabilisé à date », souligne Xavier Gérard.En revanche, la tendance chez WiseAM est plus positive. « Le marché chinois nous semble attractif dans sa globalité depuis la correction de l’an passé et qui se poursuit cette année, indique François Jubin. Les valorisations, avec un PE de 11 pour le MSCI China, et le potentiel de croissance nous paraissent attractifs, d’autant plus que les analystes tablent toujours sur une croissance de 15 % des résultats. A moyen terme, c’est le marché qui semble le plus à même de redécoller, dès lors que la politique zéro Covid dans laquelle s’est quelque peu enfermé le président sera levée. Beaucoup de mauvaises nouvelles sont aujourd’hui intégrées dans les cours, et les Chinois nous ont habitués à faire preuve de pragmatisme pour ne pas fragiliser leur économie. D’ailleurs, après avoir mis en oeuvre des réglementations strictes dans le cadre du programme de prospérité commune, ils ont su communiquer sur le fait qu’ils restent pro-business et pour la stabilité juridique. Même sur l’immobilier, ils gèrent les difficultés. » Entre opportunités à court terme et perspectives à plus long terme, mais semées d’embûches pour des questions géopolitiques notamment, ces deux zones d’investissement restent incontournables dans les portefeuilles.