L’année se clôture sur de solides performances en euros, à fin novembre, dans les différents segments du marché du crédit : les dettes subordonnées non-financières (corporate hybrides) affichent des gains de plus de 10 %, les dettes financières subordonnées et les marchés émergents enregistrent des performances supérieures à 9 %, le segment du High Yield européen avoisine les 8 %, et enfin la catégorie Investment Grade, plus impactée par les taux sans risque, dépasse légèrement les 4 %. Peut-on espérer reproduire ces performances en 2025 ? Cela est envisageable, mais cela ne se fera pas avec les mêmes moteurs de performance, simplement parce que le point de départ pour 2025 est sensiblement différent de celui de 2024.
RETOUR SUR LE CONTEXTE DE MARCHÉ AVANT DE SE PROJETER À FIN 2025L’économie américaine montre une résilience remarquable face à une politique monétaire restrictive de la Réserve fédérale (FED). À fin 2024, le taux d’inflation est retombé à environ 3,2 %, bien en dessous du pic de plus de 9 % enregistré à mi-2022, grâce à un resserrement monétaire soutenu et à une normalisation des prix de l’énergie.
Cependant, plusieurs facteurs pourraient faire pression sur ce retour à la normale :
Le programme économique de Donald Trump inclut une politique budgétaire expansionniste, notamment des baisses d’impôts et des dépenses infrastructurelles massives. Ces mesures, bien qu’elles soutiennent la croissance, pourraient alimenter une nouvelle flambée inflationniste.
La croissance américaine reste résiliente avec un PIB en hausse de 2,8 % au troisième trimestre 2024, contre toute attente, malgré un taux directeur qui oscille autour de 4,50-4,75 %.
En conséquence, les rendements des bons du Trésor américain à 10 ans restent élevés, flirtant avec les 4,7-4,8 %, pour revenir à 4,25 % fin novembre.
Le contraste est frappant en Europe. L’inflation est désormais sous contrôle, avec un taux autour de 2,1 % à la fin de 2024, grâce à une normalisation des chaînes d’approvisionnement et à une baisse des prix de l’énergie. Toutefois, l’économie européenne affiche des signes de fatigue :
Une croissance proche de 0,3 % au dernier trimestre 2024, du fait d’une demande intérieure en berne et d’une contraction du secteur industriel.
Les taux directeurs de la Banque Centrale Européenne (BCE), actuellement à 3,25 %, devraient continuer à diminuer dès le premier trimestre 2025, avec une baisse progressive tout au long de l’année pour atteindre 1,75 % à la fin de 2025 selon le consensus de marché, afin de stimuler l’activité économique.
Dans ce contexte, la BCE se montre particulièrement accommodante, créant un environnement favorable aux obligations européennes.
LES PRINCIPALES OPPORTUNITÉS OBLIGATAIRES CRÉDIT POUR 2025Dans un environnement où les taux longs commencent à se stabiliser et où les banques centrales adoptent une approche plus flexible en ligne avec les indicateurs économiques (inflation, croissance, chômage...), malgré un contexte géopolitique complexe, les marchés obligataires crédit présentent des opportunités intéressantes, notamment dans les segments du High Yield européen, des subordonnées financières et des corporates hybrides.
Alors, il serait simple de dire qu’avec le portage, le crédit va délivrer de la performance sur 2025. Mais cette année, il est nécessaire de donner quelques détails supplémentaires pour véritablement pointer les opportunités du moment. Il est, selon nous, indéniable que ce sont des opportunités aussi bien à court terme qu’à moyen terme.
Le segment High Yield européen BB, une opportunité stratégique dans un contexte de stablisationLe marché du High Yield en Europe, particulièrement le segment BB, présente actuellement une combinaison intéressante de rendements élevés et de risques modérés. Ce segment est souvent composé d’entreprises bien établies, mais n’étant pas classées Investment Grade. Dans le contexte actuel, les spreads des obligations High Yield BB oscillent autour de 300 points de base au-dessus des obligations souveraines, offrant des rendements allant de 4,0 % à 6 %, selon les émetteurs. Ces primes compensent largement le risque perçu, d’autant plus que les fondamentaux des entreprises restent solides malgré la persistance de défis économiques. De plus, les prévisions de baisse des taux par la BCE en 2025 devraient réduire la pression sur les coûts de financement et améliorer le sentiment du marché.
Les entreprises des secteurs automobile, construction et chimie occupent une place majeure dans le segment BB. Bien qu’étant des secteurs cycliques, ils présentent des opportunités attractives grâce à des fondamentaux stabilisés et des valorisations ajustées.
Le secteur automobile a subi une pression significative en raison des hausses de taux, impactant la demande pour les biens durables et des coûts de transition énergétique, liés à l’électrification et aux nouvelles réglementations environnementales.
Alors pourquoi rester positif sur le long terme ? Plusieurs facteurs soutiennent cet optimisme :
Un rebond des ventes : Les immatriculations en Europe ont augmenté de 10 % en 2024, soutenues par une normalisation des chaînes d’approvisionnement et une demande reportée post-COVID.
Une réduction des coûts fixes : Les grands acteurs comme Volkswagen, Renault ou encore Stellantis ont restructuré leur modèle, réduit les coûts en fermant des usines et en augmentant leur flexibilité face à la cyclicité. Les grands équipementiers ont été fortement touchés également. Et surtout, les prix de ces obligations se sont ajustées et reflètent d’ores-et-déjà les difficultés rencontrées par ces entreprises. L’ensemble du secteur devrait profiter tout de même, malgré la rude concurrence chinoise, de la reprise des volumes dans l’industrie.
Le secteur de la construction a été impacté par la hausse des coûts de financement et une demande plus faible pour les nouveaux projets. Cependant, les investissements publics dans les infrastructures (routes, ponts, énergies renouvelables) restent un moteur clé de la demande en Europe, soutenant les acteurs exposés aux projets publics. La réduction des prix des
La chimie, un secteur également cyclique, a traversé des turbulences dues à la hausse des coûts énergétiques en 2022-2023 et une contraction de la demande industrielle et de la consommation dans certains segments (plastiques, produits intermédiaires). Néanmoins, nous observons un recul des coûts énergétiques : Les prix du gaz naturel européen sont retombés autour de 40 €/MWh, après les pics de la crise énergétique, réduisant la pression sur les marges. Par ailleurs ce secteur bénéficie de la diversification des débouchés. En effet, de nombreuses entreprises renforcent leur exposition à des segments à forte valeur ajoutée (spécialités chimiques, solutions pour batteries).
En conclusion, les obligations High Yield européennes, notamment dans le segment BB, représentent une opportunité unique :
des rendements attrayants avec un profil de risque contrôlé, notamment dans des secteurs cycliques où les entreprises se sont restructurées et bénéficient de la normalisation des conditions macroéconomiques.
et des perspectives positives pour 2025, avec une baisse attendue des taux par la BCE et une stabilisation de l’économie européenne.
Une approche sélective, favorisant les leaders du secteur et les entreprises avec des bilans solides, nous permet de capter la valeur offerte par ce segment tout en maîtrisant les risques.
Les subordonnées financières : Le contexte favorable aux Additional Tier 1 (AT1)Ces obligations, émises principalement par des banques et des assureurs, bénéficient d’un environnement stable grâce à des bilans solides dans le secteur financier.
Les obligations Additional Tier 1 (AT1), un segment clé des subordonnées financières, se distinguent dans le paysage actuel. Ces instruments hybrides, souvent qualifiés de CoCo bonds (Contingent Convertibles), offrent des rendements très attractifs en contrepartie d’un risque de coupon suspendu en cas de stress bancaire.
Cependant, le secteur bancaire européen est aujourd’hui bien préparé pour absorber les chocs potentiels, grâce à un renforcement des ratios de capital et des excès de capital :
Les banques européennes ont significativement augmenté leurs exigences de capital avec des ratios de CET1 (Common Equity Tier 1) qui atteignent en moyenne 14-15 % en 2024, bien au-dessus des exigences minimales fixées par la BCE.
Le Total Capital Requirement (TCR), imposant un niveau de fonds propres prudentiel, est respecté avec des marges confortables, renforçant la solidité des bilans.
Les banques européennes affichent des excédents de capital importants, avec un surplus moyen de 400 à 500 points de base par rapport aux exigences minimales, leur offrant une flexibilité pour gérer des conditions de marché plus complexes.
Cette dynamique est particulièrement marquée pour les banques du sud de l’Europe, qui affichent désormais une amélioration significative après des années de restructuration.
Les banques des pays comme l’Italie, l’Espagne et le Portugal, autrefois perçues comme plus vulnérables, présentent aujourd’hui des fondamentaux très robustes. À titre d’exemples, Intesa Sanpaolo (Italie) : ratio CET1 à 15,5 %, avec un excès de capital supérieur à 600 points de base, CaixaBank (Espagne) : forte amélioration de la rentabilité et des niveaux de provision, avec un rendement des AT1 autour de 8 %, ou encore Millennium BCP (Portugal) : progression notable de la solidité financière, offrant des AT1 à des spreads intéressants. Ces banques bénéficient d’un soutien structurel de la BCE et d’une économie qui, bien que fragile, est stabilisée par des politiques monétaires accommodantes.
Les AT1 offrent actuellement des rendements entre 6 % et 9 %, bien supérieurs aux autres instruments obligataires, notamment grâce à des spreads élevés, reflétant encore une prime de risque résiduelle liée à leur structure subordon- née et une liquidité suffisante pour permettre des ajustements tactiques en portefeuille.
Au total, investir dans ce segment est une opportunité à ne pas manquer. Dans un contexte de stabilisation des conditions macroéconomiques et de solidité accrue du secteur bancaire européen, les Additional Tier 1 se présentent comme une opportunité clé pour les investisseurs à la recherche de rendements élevés. Le rattrapage des banques du sud de l’Europe offre une diversification intéressante, tandis que les grandes banques de la zone euro restent des choix sûrs grâce à leurs bilans solides et leur excès de capital. Une approche sélective et bien calibrée nous permet de capter la valeur de ce segment en pleine transformation.
Les hybrides corporate constituent une belle opportunité dans un contexte de marché en mutationLes obligations hybrides corporate, émises par des entreprises non financières, occupent une position intermédiaire entre la dette senior et les capitaux propres. Elles offrent des rendements attractifs, souvent compris entre 5 % et 7 %, en contrepartie d’une structure légèrement plus risquée avec des caractéristiques spécifiques, comme une maturité perpétuelle (avec des options de remboursement anticipé) et la possibilité de suspension des coupons dans certaines conditions.
Ces instruments sont particulièrement intéressants dans l’environnement actuel où les banques centrales stabilisent leurs taux ou envisagent des baisses, soutenant la valorisation des instruments obligataires à plus long terme et sachant que la prime de risque sur les hybrides reste élevée, en partie en raison des tensions passées sur des secteurs comme l’immobilier.
Le secteur Real Estate, qui a émis une part significative des hybrides corporate, traverse une période délicate mais offre des belles opportunités d’investissement. Mais malgré de nombreux défis, plusieurs éléments suggèrent une forte amélioration potentielle : la baisse prévue des taux directeurs en 2025 devrait offrir un soulagement important aux acteurs immobiliers en réduisant leurs coûts de refinancement. Par ailleurs, de nombreux acteurs ont intensi- fié la vente d’actifs non stratégiques pour ren- forcer leur bilan car les valorisations des actifs immobiliers atteignent des niveaux attractifs pour les investisseurs opportunistes.
Les hybrides ne se limitent pas au secteur immobilier. Les entreprises dans les secteurs de l’énergie et des utilities émettent également des hybrides attractifs comme par exemple TotalEnergies qui a des obligations hybrides avec des rendements de 5,2-5,5 %, soutenues par des cash-flows stables, ou encore Enel, ses obligations hybrides offrant des rendements autour de 5,8 %, et bénéficiant d’une transition énergétique bien financée. Là encore, une sélection rigoureuse reste essentielle pour maximiser les rendements tout en évitant les acteurs les plus vulnérables.
Les performances du marché du crédit observées en 2024 pourront être répliquées l’année prochaine, mais pas avec les mêmes moteurs de performance car le point de départ de l’année 2025 diffère nettement de celui de fin 2023.
Le marché du High Yield européen, plus particulièrement le segment BB, présente actuellement une combinaison intéressante de rendements élevés et de risques modérés.
Les subordonnées financières bénéficient d’un environnement stable grâce à des bilans solides dans le secteur financier, tandis que les obligations hybrides corporate, présentent des opportunités dans divers secteurs tels que l’énergie et l’immobilier, notamment en raison de la baisse des taux.
Par Alain Krief, Head of Fixed Income
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