Alors que les intermédiaires disent avoir toutes les peines du monde à satisfaire cette obligation, le superviseur estime au contraire qu’ils doivent faire « un effort supplémentaire », ses tests effectués sur le terrain s’étant révélés décevants. Deux visions qui s’affrontaient lors d’un événement organisé par l’AFG le 3 octobre.
L’obligation de recueillir les préférences ESG du client a maintenant presque deux ans pour les CIF, un peu plus pour les intermédiaires en assurance (IAS). Pour autant, elle est encore loin d’être ancrée dans le paysage, en témoignait une table-ronde consacrée à ce sujet lors d’une matinée organisée par l’Association française de la gestion financière (AFG), le 3 octobre.
Pratique récente
« Les questionnaires de durabilité sont déployés depuis peu, rapporte Pascal Baussant, présidente de la commission durabilité de la CNCGP. Les questions ne sont pas faciles à appréhender pour les CGP, qui se heurtent à une problématique de formation. »
Difficile en effet de jongler avec les différentes réglementations pour estimer le pourcentage d’alignement à la taxonomie environnementale et la proportion minimale d’investissements durables souhaités par le client au sens de la SFDR, ou les principales incidences négatives (PAI) sur les facteurs de durabilité qu’il souhaite éviter.
Le tout, une fois décrypté, devant bien sûr se traduire par des propositions concrètes de placements. C’est là que le bat-blesse : « en face d’un client dont l’appétence à la durabilité est élevée, nous sommes dans l’embarras pour trouver un produit qui lui corresponde », poursuit Pascal Baussant. Le devoir de conseil s’accommode mal du rétrécissement de l’univers d’investissement, peu propice à la diversification de l’épargne et à la décorrélation des placements.
Univers d’investissement concentré
« La réglementation a amené certains acteurs à concentrer leurs investissements sur les mêmes secteurs ou valeurs, analyse Bertrand Merveille, président de la commission commercialisation AFG. On retrouve les mêmes portefeuilles d’une société de gestion à l’autre, ce qui crée des incompréhensions, d’autant plus que les termes ne sont pas maîtrisés par les réseaux de distribution et que la performance n’est pas au rendez-vous. »
Au-delà de la réglementation, la question de la performance est au cœur du problème de popularité de l’ESG chez les épargnants. « Il y a eu des déceptions en 2022 avec des performances décorrélées de ce qu’avaient fait les marchés, rappelle Pascale Baussant. Je ne pense pas que les épargnants soient prêts à avoir des performances négatives plusieurs années d’affilée sous prétexte de durabilité, leurs placements doivent rapporter plus que l’inflation. »
Temps long
Le sujet de la performance est cependant contesté par d’autres professionnels, qui estiment que les fonds axés sur la durabilité ne sont pas considérés sur un temps suffisamment long. Mimouna Boutchich, directrice de l’épargne financière et de l’assurance chez LBP AM, rétorque que sur 16 ans, le MSCI World délivre une performance annualisée de 5,7 %, contre 5,3 % pour le MSCI World classique.
Un baromètre annuel dressé par le gérant fait d’ailleurs état d’une progression dans la prise en compte des préférences ESG par le réseau de distribution maison : « La moitié de nos clients ont été interrogés sur leurs préférences contre 36 % pour le marché au global, et nos CGP proposent 40 % du temps un produit qui respecte ces critères. »
Recueil parcellaire
Pour l’AMF, qui a livré en juin les résultats d’une campagne de visites mystères réalisée auprès de 182 conseillers, on est encore loin du compte. L’étude faisait le constat d’un recueil « encore parcellaire » des préférences de durabilité. « Un effort supplémentaire est attendu des distributeurs, qui ne sont pas au rendez-vous sur des métriques simples, tance Philippe Sourlas, secrétaire général adjoint de l’AMF. Les intermédiaires ont tendance à se défausser sur le producteur, mais c’est leur rôle d’ouvrir le capot, de comprendre ce qu’ils vendent et de sélectionner en amont les bons produits. »
Face au régulateur, Pascale Baussant plaide la cause des intermédiaires, arguant que « beaucoup de pression est mise » sur eux. « C’est certes le maillon clé de la chaine qui peut convaincre, mais il doit pouvoir proposer une offre adéquate, avec le bon niveau de risque et la bonne performance. Un écart se creuse entre les spécialistes des sujets de durabilité et l’épargnant final que nous n’avons pas réussi à embarquer. »
L’enchevêtrement des réglementations et surtout le manque d’articulation entre elles est souvent cité comme obstacle à la bonne prise en compte des préférences ESG. Il est par exemple actuellement difficile de trouver des produits financiers avec un degré élevé d’alignement à la taxonomie.
SFDR : une refonte au long cours
L’Autorité européenne des marchés financiers européenne (Esma), également présente lors de la table ronde, est revenue sur la révision de la SFDR. Celle-ci pourraient notamment amener à la refonte des article 8 et 9, utilisés aujourd’hui à tort comme des outils de classification. L’autorité a fait le constat de leur échec, faute de délimitation claire ou d’incapacité à prendre en compte le concept de transition.
« Il est temps de faire un état des lieux du fonctionnement des règles sur le terrain pour simplifier et aider à leur mise en œuvre, sans renier les efforts déjà fournis par l’industrie, indique Mathilda Loussert, policy officer sustainable finance à l’Esma. De nouvelles catégories pourraient avoir un rôle plus important dans le marketing, en étant assez large pour simplifier le rôle des distributeurs et la compréhension des clients mais en permettant également de mettre en valeur les produits les plus ambitieux du marché. »
Cette fois, l’Esma veut prendre son temps pour ne pas répéter les erreurs du passé. Sa proposition de refonte ne verra donc le jour que courant 2025, voire en 2026.