Rationaliser ses portefeuilles, disposer de plus de réactivité face aux fluctuations des marchés, avoir un accès direct aux gérants et à l’information… Les raisons poussant à la création d’un fonds sur mesure sont multiples.
La liste des sociétés de gestion proposant de créer des fonds sur mesure pour le compte d’un ou plusieurs cabinet(s) de gestion de patrimoine, voire pour un groupement, est longue, notamment du côté des sociétés de gestion entrepreneuriales. C’est qu’il existe un besoin chez les professionnels du patrimoine de s’appuyer sur un fonds (parfois plusieurs) construit et géré pour leur compte, selon un cahier des charges défini en compagnie de la société de gestion. L’objectif pour le conseiller en gestion de patrimoine consiste, le plus souvent, à rationaliser le suivi des portefeuilles de ses clients, à réduire ses contraintes réglementaires et administratives liées aux arbitrages proposés à chacun d’eux, et de disposer d’une solution réactive face aux soubresauts des marchés financiers. Pour autant, avant de lancer ce type de véhicule – potentiellement plus rémunérateur –, le CGP doit s’assurer que cette solution s’adapte à son offre globale et qu’il puisse drainer les encours suffisants pour que la solution soit viable. « Dès lors qu’un cabinet gère plusieurs dizaines de millions d’euros d’encours, il paraît même indispensable pour les cabinets d’avoir un fonds dédié pour réduire la pression administrative et faire face à la volatilité des marchés », résume Laurent Durin Monteillet, directeur général adjoint en charge du développement et associé chez Claresco Finance.Une gestion personnaliséeDans tous les cas, un fonds dédié est créé et géré selon un cahier des charges établi en compagnie du ou des conseillers en gestion de patrimoine. « Le plus souvent, il s’agit de portefeuilles exposés à l’international et très flexibles pour s’ouvrir tout le champ des possibles », poursuit Laurent Durin Monteillet.Avant tout flexible et diversifiéDans les cas les plus fréquents, il s’agit donc de fonds patrimoniaux/diversifiés. Leur gestion est mise en musique via toute une palette d’instruments financiers, même si les dispositions de Value for Money semblent limiter le recours aux fonds gérés activement. « Ce cadre nous contraint également à ne pas trop faire tourner les portefeuilles », indique Romain Mahieu, directeur gestion sous mandat et solutions de Richelieu Gestion (cf. également encadré page 92). « Dans la gestion de nos fonds, nous utilisons aussi bien des OPC traditionnels, avec des parts institutionnelles ou des clean shares, mais aussi des ETF, des titres vifs (actions, obligations, obligations convertibles), des produits structurés (généralement 20 % maximum) et des produits dérivés listés (notamment en couverture) », liste Sébastien Grasset, directeur général asset management chez Auris Gestion. Roni Michaly, président-directeur général de Galilee AM, ajoute : « Le CGP peut choisir une gestion réalisée en titres vifs, en multigestion ou qui combine l’ensemble de ses outils. Chez Galilee AM, nous observons que c’est la multigestion qui est privilégiée par les CGP. Par ailleurs, nous privilégions les gestions pures (100 % OPCVM ou ETF ou titres vifs) car elles sont plus faciles à suivre et présentent chez nous empiriquement des meilleurs couples rendement-risque. » Un exemple concret : chez Richelieu Gestion, le fonds sur mesure Stella Maris vise une allocation cible composée à 70 % d’actions et 30 % de produits de taux, avec à l’intérieur des OPC (20 % maximum de fonds Richelieu Gestion), des ETF et des titres vifs (européens et américains). Dès lors, ces fonds dédiés à profil patrimonial sont « souvent utilisés comme le premier pilier de l’allocation d’actifs cotés », note François Jubin, CEO de Zenith AM. Sébastien Grasset complète : « Pour le CGP, le fonds sur mesure est le plus souvent l’unité de compte de base de ses allocations, généralement autour de 30 à 40 %. Cela lui permet ainsi de rationaliser ses portefeuilles. Il s’agit généralement d’un fonds mixte international, avec un SRI 3 ou 4, même si nous avons des demandes spécifiques plus ou moins risquées. Généralement, les CGP adhèrent à notre approche macroéconomique, mais nous avons aussi des demandes spécifiques, comme l’intégration d’une exposition aux commodities, aux actifs numériques ou encore le déploiement d’une gestion davantage tactique (par le recours plus dynamique à des couvertures). » Outre l’accès à des fonds qui ne sont pas référencés dans les contrats d’assurance-vie, Guilaine Perche, responsable distribution auprès des conseillers en gestion de patrimoine chez Lazard Frères Gestion, observe que « Le fonds sur mesure permet également aux CGP d’accéder à des instruments financiers auxquels ils n’accèdent pas en direct, comme les produits de taux ou les devises. » Lazard Frères Gestion a développé une offre de fonds sur mesure depuis plus d’une dizaine d’années, avec un premier fonds dédié lancé en 2012. La société de gestion gère aujourd’hui dix-huit fonds, avec de nouveaux fonds en cours de création, pour un total de 400 millions d’euros d’encours.Une demande qui évolueSi l’appétit des CGP s’est d’abord fixé sur des fonds au profil patrimonial/flexible, il semble évoluer vers des solutions plus pures, obligataires ou actions. « C’est notamment le cas des grands groupes de CGP disposant souvent de leur propre société de gestion et qui choisissent le modèle de sous-délégation sur des expertises spécifiques, avec un cahier des charges précis, indique Guilaine Perche. Les demandes se portent actuellement sur des fonds obligataires, eu égard au niveau actuel des taux, mais aussi sur des fonds actions internationales avec une approche de stock-picking sur des titres de qualité à prix raisonnable. » Chez Galilee AM, on observe une grande diversité dans les styles des fonds gérés sur mesure. « Nous assurons la gestion de six fonds dédiés avec des profils très différents, notamment un fonds actions internationales, un fonds basé sur un modèle systématique, un fonds carte blanche ou encore un fonds small et mid-caps », indique Roni Michaly.Uniformiser les allocations et accroître la réactivitéParmi les différentes motivations incitant les professionnels du patrimoine à créer ces fonds sur mesure, la rationalisation des allocations des clients – et la réduction des contraintes administratives et réglementaires qui en découle – et l’accès à une gestion plus réactive arrivent en tête. « Le fonds sur mesure répond à la volonté du conseiller en gestion de patrimoine d’homogénéiser ses portefeuilles, notamment la poche stratégique de ses allocations avec le fonds en euros, aux côtés de la poche tactique constituée d’autres actifs, estime Laurent Durin Monteillet. Cela lui offre également de la réactivité face aux évolutions de marché (sans avoir à justifier les arbitrages), avec un gérant professionnel aux commandes du fonds, mais aussi le décharge de la gestion administrative. Il gagne un temps considérable. ». Guilaine Perche abonde dans ce sens : « L’avantage du fonds sur mesure est qu’il offre de la réactivité et de la flexibilité aux CGP, sans avoir à procéder à des arbitrages. Le conseiller rationalise ainsi ses allocations et simplifie sa gestion administrative. » Elle ajoute : « Pour les gros cabinets cela est essentiel, notamment pour ceux qui procèdent à des rachats de portefeuilles et qui voient ainsi leur éventail de fonds à suivre augmenter sensiblement. » Le recours à un fonds sur mesure adoptant une gestion « patrimoniale » permet donc au professionnel de limiter ses arbitrages. Cela assure également une rapidité d’exécution qui est loin d’être le cas dans le cadre de l’assurance, quand bien même les compagnies et plates-formes ont digitalisé leurs processus. « Même si les démarches sont désormais totalement digitalisées chez la plupart des assureurs, réaliser un arbitrage demande plusieurs jours, entre l’envoi de la proposition au client et sa réalisation au sein du contrat. Par ailleurs, avec un fonds sur mesure, tous les clients sont arbitrés au même moment », assure Roni Michaly. Les clients bénéficient alors d’une gestion plus efficiente de leurs portefeuilles. Romain Mahieu expose : « La crise du Covid, puis la guerre en Ukraine ont révélé la nécessité pour les CGP d’avoir plus de réactivité pour faire face aux pics de volatilité et aux rotations sectorielles. Or, le passage d’ordres sur les contrats d’assurance-vie est fastidieux et chronophage. Le fonds dédié permet également d’arbitrer les clients de façon équitable, tous en même temps. »Une vision éclairée de l’allocation et des marchésEu égard au lien étroit entretenu entre le CGP et la maison de gestion, les sociétés proposent à leurs partenaires une communication de proximité et un accès facilité aux gérants. « Durant la vie du fonds, nous apportons un maximum d’informations au partenaire CGP pour qu’il puisse suivre l’allocation d’actifs. Il bénéficie également d’un accès direct aux équipes de gestion », confirme Sébastien Grasset. Chez Auris Gestion, onze personnes sont dédiées à la gestion des fonds sur mesure, une activité stratégique pour la société de gestion, avec plus de soixante fonds créés pour 480 millions d’euros d’encours. « Le CGP bénéficie également d’un accès privilégié à l’information, tant sur la gestion du fonds que sur les marchés. L’ensemble des services associés au fonds dédié est important chez nous : rapport de risque, transparisation, accès direct au gérant… », assure également Roni Michaly. La transparence et la proximité sont en effet des enjeux cruciaux pour les CGP selon François Jubin : « Chez Zenith AM nous gérons deux fonds sur mesure : l’un depuis cinq ans, l’autre depuis près de quatre ans (entre 15 et 20 millions d’euros d’encours chacun). Le premier est totalement géré en titres vifs (actions US et européennes, et obligations gouvernementales et Investment Grade), le second à 50 % en titres vifs et 50 % en fonds et ETF. Dans les deux cas, ces CGP souhaitaient bénéficier d’une solution transparente sur la stratégie et le processus d’investissement afin d’avoir une bonne visibilité sur l’évolution du portefeuille, le tout avec un positionnement international et l’intégration de titres vifs. Cette formule vient également améliorer leurs dispositifs de contrôle des allocations. Cela permet au CGP d’avoir une bonne compréhension de la stratégie du fonds, compte tenu du contexte de marché, et donc de bien cerner les enjeux pour ses clients. Ainsi, il peut restituer l’information à son client de façon plus facile. Par ailleurs, ce lien privilégié avec le CGP permet d’élargir la discussion sur d’autres offres de la société de gestion. »Le CGP conseiller du fondsPour aller plus loin, le CGP peut être nommé conseiller du fonds, ce qui est généralement le cas. Cependant, tous les asset managers affirment leur fermeté : les décisions de gestion restent leur prérogative. « Sur les fonds patrimoniaux, les CGP peuvent être conseil du fonds (pas sur les fonds purs). Ils nous apportent leur vision de l’allocation et leur connaissance des clients. Dans tous les cas, nous restons maîtres de la gestion », indique notamment Guilaine Perche. François Jubin ajoute : « Pour chacun des deux fonds sur mesure que nous gérons, le CGP partenaire est conseil. Dans les deux cas, ces CGP avaient auparavant exercé sur les marchés financiers, au sein de sociétés de gestion. Sans être gérants, ils peuvent faire entendre leur voix, Zenith AM restant maître de ses décisions d’investissement ». Le gestionnaire de patrimoine peut également être accompagné d’une société conseil en allocation d’actifs et/ou sélection de fonds. « Certains CGP souhaitent bénéficier de conseils externes, comme ceux de Cros Investing ou EOS Allocations », confirme Laurent Durin Monteillet. « Ce schéma de “co-conseillers” nous convient parfaitement, à partir du moment où il est bien orchestré et formalisé », affirme, pour sa part, Sébastien Grasset. « Par exemple, notre fonds Stella Maris, créé avec les cabinets BJ Finance, DG Sport et Numa Conseil, bénéficie du soutien de la société Fundesys, spécialiste dans la sélection de fonds et de l’allocation d’actifs », indique Romain Mahieu.Pour quels cabinets ?Si la question de l’utilité d’un fonds dédié doit donc être mûrement réfléchie, il convient également de disposer des encours nécessaires pour qu’il soit bénéfique à l’ensemble des parties. Par le passé, certaines initiatives n’ont pas rencontré le succès escompté, le cabinet n’ayant su – ou pu drainer – des encours suffisants. « Entre les objectifs initiaux, notamment commerciaux, et la réalité, il y a souvent un écart, indique un professionnel du secteur. Les CGP ont en effet souvent tendance à surestimer leur capacité de traction de leurs clients sur ce type de solution. Le CGP doit ainsi bien positionner son fonds sur mesure dans sa proposition de valeur. Attention à ne pas perdre de vue ce que les clients recherchent en s’adressant à eux, à savoir une offre en architecture ouverte. Le cabinet doit être suffisamment mûr et avoir une surface d’encours suffisante avant de créer un fonds dédié. » Le plus souvent, les sociétés de gestion considèrent que le cabinet doit être en capacité de drainer une dizaine de millions d’euros d’encours rapidement, généralement sous douze à dix-huit mois. La gestion d’un fonds dédié engendre différents frais qu’il convient de supporter avant d’atteindre la rentabilité : frais du dépositaire, coûts liés au commissaire aux comptes, frais de valorisation… Chez Lazard Frères Gestion, le seuil est fixé à 10 millions d’euros : « Le CGP doit disposer de la surface financière pour pouvoir drainer suffisamment d’actifs vers le fonds, tout en diversifiant bien les portefeuilles de ses clients, note Guilaine Perche. La plupart de nos cabinets partenaires sur ce type de solutions disposent d’au moins 80 à 100 millions d’euros d’encours, ou sont en fort développement, notamment grâce à leur croissance externe. » Une société de gestion fait figure d’exception. En effet, Auris Gestion vise à atteindre les 3 millions d’euros d’encours dans les neuf à douze mois qui suivent son lancement. « Nous avons pu négocier des frais fixes mesurés auprès de nos partenaires : dépositaire, valorisateur et commissaire aux comptes, et cette négociation joue à plein à partir de 3 millions d’euros d’actifs », précise Sébastien Grasset. Avant de se lancer, les asset managers cherchent donc à identifier le potentiel du cabinet en scrutant le niveau global d’encours du cabinet, mais aussi la typologie des sous-jacents utilisés dans les portefeuilles, c’est-à-dire la part du fonds en euro, la composition de la poche d’unités de compte, par exemple, et des clients. La plus ou moins large diversification des partenaires assureurs est également observée pour des questions de référencement du fonds sur mesure qui, lui aussi, à un coût non négligeable chez certaines compagnies. « Chez Claresco, nous pouvons envisager de créer un fonds sur mesure dès lors que l’on estime que le cabinet peut collecter 10 millions d’euros sous dix-huit mois, confie Laurent Durin Monteillet, dont la société de gestion qui gère trois fonds dédiés. Cela est donc possible pour un cabinet dont les encours s’élèvent à 50-60 millions d’euros et restent concentrés chez un nombre restreint d’assureurs. Cela revient à ce que le cabinet alloue 20 à 35 % de ses portefeuilles dans le fonds. » Roni Michaly conseille, quant à lui, aux conseillers en gestion de patrimoine de « s’assurer que la gestion de fonds sur mesure constitue une activité stratégique pour la société de gestion avec qui ils s’associent. Beaucoup de sociétés de gestion ont, par le passé, proposé ce service de façon accessoire et uniquement pour capter des encours, ce qui a pu contribuer à donner une image moyenne aux fonds sur mesure. »
Contraints par Value for MoneySelon Roni Michaly, PDG de Galilee AM, le cadre de Value for Money pénalise la multigestion. Il invite les assureurs à prendre en compte les spécificités des fonds sur mesure. « Pour entrer dans le cadre Value for Money, les multigérants sont contraints de construire leurs allocations via des ETF. Le cas spécifique de la multigestion n’a pas été pris en compte par les assureurs, et le risque est de détruire une partie de la gestion actions française, qui est pourtant la plus puissante d’Europe, et, parallèlement, de renforcer les gérants d’ETF qui sont le plus souvent américains… Chez Galilee AM, nous avons déjà fortement augmenté notre poche d’ETF qui représente désormais 50 % de nos fonds sur mesure ».