Une nouvelle fois, l’interdiction des commissions est au cœur des discussions en Europe. Fortes d’arguments puissants, les associations professionnelles, unies dans leurs démarches, demeurent vigilantes face à cette menace qui refait régulièrement surface.
Le débat est revenu sur la table comme un serpent de mer. Suite à la consultation Retail Investment Strat-egy lancée en mai 2021, Mairead McGuinness, commissaire européenne aux services financiers, a annoncé son intention d’interdire les commissions sur les produits financiers. Les levées de boucliers, en France, mais aussi dans d’autres pays européens, ne se sont pas fait attendre, ce d’autant plus que les arguments développés par la commissaire européenne apparaissent fragiles et que la mise en place de la RDR outre-Manche (Retail Distribution Review) ne s’est pas révélée une franche réussite, aussi bien pour les professionnels concernés que pour les clients. Mais la commissaire européenne aux services financiers affiche sa détermination. « Mairead McGuinness ne semble pas vouloir faire machine arrière, alors que la commission Econ ne va pas dans son sens, que même l’association européenne d’épargnants, Better Finance, ne tire plus à boulets rouges sur système actuel, que maintenant vingt Etats représentant donc la majorité de la population européenne se sont exprimés contre cette éventuelle réforme, que l’étude Kantar s’est révélée erronée, que les Pays-Bas reconnaissent qu’il existe toute une partie de leur population exclue du conseil…, énumère David Charlet, président de l’Anacofi. Même les Anglais reconnaissent s’être trompés sur la RDR. On ne peut pas avoir de meilleur argument ! Il me semble que nous sommes confrontés à une personne jusqu’au-boutiste qui, même en position minoritaire, mène le combat de sa vie. Et peu importe si elle met en danger tout un pan de l’économie de l’Union ! » Distorsion de concurrencePour Philippe Loizelet, président de l’ANCDGP, les débats se sont quelque peu déplacés cette fois-ci. « Initialement seules les rétrocommissions, à savoir des rémunérations à l’initiative du fournisseur susceptibles d’influencer les intermédiaires dans leurs prescriptions étaient dans le viseur. Les commissions sur versement ou encours, négociées avec le client et donc connues, restaient possibles et étaient, sous délégation, retenues par le fournisseur qui les versait ensuite à l’intermédiaire. Le véritable sujet est donc la transparence de la rémunération revenant au professionnel (honoraires, commissions…). Etaient néanmoins tolérées et encadrées les “incitations” mineures en termes de chiffres d’affaires de l’intermédiaire, dès lors, qu’elles étaient la contrepartie d’un service complémentaire assumé par l’intermédiaire et améliorant le service rendu au client. Depuis, nous sommes passés à un débat autour de l’interdiction des commissions pour les réseaux non captifs (c’est-à-dire qui ne concerne pas les réseaux salariés et les agents).»Dès lors, le passage au tout honoraires poserait un problème de distorsion de concurrence entre les acteurs. « Les honoraires sont, contrairement aux commissions, soumis à la TVA à 20 %, développe Philippe Loizelet. De plus se pose la question de la déductibilité de ces honoraires pour le client sur les plus-values et revenus lors du calcul du PFL (prélèvement forfaitaire libératoire) ou du PFU (prélèvement forfaitaire unique), contrairement aux commissions payées par délégation d’encaissement.»Le président de l’ANCDGP se veut également plus globalement offensif vis-à-vis des attaques portées, y compris en France, contre les rémunérations des CGP : « Les débats autour des commissions qui viendraient grever la rentabilité des actifs nous paraissent illégitimes : le client est accompagné par un conseil dont la mission doit être protégée, valorisée dont la rémunération doit être connue… Or notre profession subit depuis de nombreuses années une surcharge administrative que nous assumons et qui est source de coûts pour nos entreprises en termes de salaires, outils logiciels, sécurité informatique, entre autres, sans pour autant nous assurer une autonomie vis-à-vis des fournisseurs ».
Liberté de choixAlors que les modèles de rémunération par commission et par honoraires coexistent en France, la CNCGP maintient sa position «qui consiste à offrir au client la liberté de choisir comment il souhaite rémunérer son conseil, en commissions ou en honoraires, ainsi que pour le CGP, celle de choisir son modèle économique», rappelle son président Julien Seraqui. Et Stéphane Fantuz, président de la CNCEF Patrimoine, s’interroge : « Pourquoi vouloir détruire un système qui fonctionne bien depuis des dizaines d’années et l’imposer à tous les pays ? »Le précédent britanniquePhilippe Feuille, président de la Compagnie des CGP, rappelle les conséquences fâcheuses de la mise en place de la RDR (Retail Distribution Review) outre-Manche : « Nous sommes face au paradoxe selon lequel une commissaire veut suivre le mouvement initié par l’Angleterre il y a une dizaine d’années et qui aujourd’hui fait machine arrière ! Rappelons qu’en Angleterre, ce sont douze mille cabinets qui ont disparu suite à l’application de la RDR. »Une étude tronquéeS’agissant de la fameuse étude Kantar sur laquelle Mairead McGuinness s’est appuyée pour émettre ses propositions, Julien Seraqui développe : « Elle a bâti sa réflexion sur une étude Kantar erronée, selon laquelle l’épargnant supporterait un surcoût de 35 % entre un produit commissionné et un produit non commissionné. Or il a été démontré que ce chiffre était finalement surévalué et qu’il reposait sur un panel de produits limité ou qui n’existent pas sous la forme sans com-mission, en particulier pour les fonds immobiliers ou de capital-investissement. Cela revenait donc à comparer des pommes et des poires… De plus, l’étude ne réintégrait pas le coût des honoraires de conseil:la comparaison n’était pas valable. »Les travers des honorairesEn France, les associations professionnelles ont rappelé les conclusions de l’étude qu’elles avaient commandée à KPMG. « Comme toujours, la stratégie de la CNCEF est de nous associer aux autres associations professionnelles pour faire valoir nos arguments comme lorsque nous avons, ensemble, missionner KPMG pour réaliser une étude sur les modèles de distribution pour les investisseurs particuliers en 2022. Ce rapport a démontré que notre modèle était vertueux », rappelle Stéphane Fantuz. Julien Seraqui détaille : « L’étude réalisée par KPMG conclut qu’un système reposant uniquement sur l’honoraire est élitiste. Aux Pays-Bas, unique pays de l’UE ayant adopté ce système, il est prouvé que seule 8 % de la population – c’est-à-dire ceux disposant d’un patrimoine financier d’au moins 500 000 euros – accède aux conseils d’un professionnel ; de facto, 92 % de la population en est exclue… Cela va donc à l’encontre de la volonté de l’UE d’inciter les épargnants à investir vers l’économie réelle. Les données du marché hollandais le prouvent:avec 5 %, le taux d’investissement en actions est l’un des plus bas en Europe, contre 41 % en Belgique ou 24 % en Allemagne». Pour Philippe Feuille, cette proposition d’interdire les commissions est une preuve que la profession reste mal connue : « Notre clientèle n’est pas constituée que de clients fortunés qui sont, eux en capacité de payer des honoraires; et la posture de la commissaire ignore totalement notre mission qui ne consiste pas uniquement à conseiller des produits financiers, mais aussi à diversifier les patrimoines, les organiser d’un point de vue juridique et fiscal, à s’assurer de la mise en place de contrats de prévoyance… Par ailleurs, ne réserver nos conseils qu’à une partie mineure de la population viendrait à laisser en déshérence un nombre important de clients à l’éducation financière malheureusement faible et qui serait la proie des arnaques qui pullulent sur le marché ».
Souveraineté européenneJulien Seraqui développe un autre argument : « Plus important encore, l’interdiction des commissions poserait un problème de souveraineté stratégique pour l’Europe. En effet, les pourfendeurs des commissions associent systématiquement leur interdiction à la promotion de la gestion passive, hors 80 % de cette gestion est tenue par des sociétés non européennes. De fait, interdire les commissions revient à livrer l’épargne des Européens aux non-Européens ».
Front uni et vigilanceMais le risque de voir le modèle économique des CGP revisité existe. Les associations professionnelles font front commun : « Si Mairead McGuinness a reconnu s’être positionnée à partir d’une étude Kantar comportant une erreur grossière, nous restons vigilants, puisque le sujet prend une dimension politique, alors que 2024 est une période de renouvellement de mandats, explique Stéphane Fantuz. Avec nos confrères, nous utilisons la voie diplomatique – AMF, ACPR, Bercy – pour faire passer nos messages. Dans ce sens, nous avons apprécié les déclarations de ces entités qui ont affirmé s’opposer aux intentions de la commissaire aux services financiers, Mairead McGuinness, tout comme nous avons noté la même détermination d’autres pays, notamment celle du ministre des Finances allemand. »Autres actualitésParmi les autres sujets relatifs aux associations professionnelles, la mise en place de la réforme du courtage qui a mobilisé leurs équipes. Certaines d’entre elles ont ainsi dû gérer jusqu’à plusieurs milliers de demandes d’adhésion en quelques mois. « C’est plus que ce que nous avions imaginé, et pour nos équipes, la période d’adhésion a été lourde à gérer », indique David Charlet. De son côté, la CNCGP a, comme elle l’avait annoncé, limité les adhésions de courtiers à ceux qui opèrent sur le patrimoine (financement de bien immobilier, courtage de solutions d’épargne et de prévoyance). Néanmoins, environ mille cinq cents nouveaux adhérents ont rejoint l’association. « Nous avons apprécié le délai accordé par le Trésor pour finaliser les inscriptions à l’Orias, tout comme l’action menée par le registre unique pour alerter les retardataires qui, le plus souvent, étaient des mandataires pas forcément au courant de la réforme », note Stéphane Fantuz qui envisage de faire évoluer les animations proposées aux membres tout au long de l’année : « Face au développement de notre nombre d’adhérents, nous avons la volonté de développer des événements et une communication au plus proche de chacun de nos pôles d’activité, en nous appuyant sur les webinaires. Dans ce contexte, nous n’organisons pas nos Assises, et nous réfléchissons d’ores et déjà à donner un nouveau format à notre grand rendez-vous annuel de 2024 ». Par ailleurs, des changements sont intervenus à l’Anacofi parmi ses instances dirigeantes lors des assemblées générales des associations qui se sont tenues le 6 avril dernier. Ainsi, la suppression des postes de secrétaires généraux, prévue suite à la nomination en décembre dernier de Valéria Faure-Muntian en tant que déléguée générale, a été entérinée, tandis que plusieurs associations ont changé de président. David Charlet détaille : « A l’Anacofi-CIF, Nebosja Srekovic a pris la place de Patrick Galtier. Quant à l’Anacofi-Immo, Sébastien Bareau succède à Jean-Jacques Olivié. Je prépare une transmission de la présidence de l’Anacofi-Courtage à l’un des vice-présidents, Pascal Labigne, et j’abandonne la vice-présidence de l’Anacofi-CIF ». Pour sa part, la CNCGP a annoncé la tenue de son assemblée générale et de son congrès en juin prochain. « Cette année, nous organisons notre événement annuel sur deux journées sur un format novateur. Notre assemblée générale se tiendra le 20 juin au musée du quai Branly et sera suivie d’une soirée au même endroit, et notre congrès, appelé MidSommar du Patrimoine, se déroulera le lendemain au stade Jean-Bouin. » De son côté, la Compagnie des CGP organise sa convention annuelle, le 15 juin prochain, au mk2 Bibliothèque. L’association présidée par Philippe Feuille compte, par ailleurs, renforcer les liens entre et avec ses adhérents dans la seconde partie de l’année : « Un de nos objectifs 2023 est de renforcer les animations en région pour faciliter les échanges et l’interprofessionnalité entre nos membres, dont certains sont spécialisés sur des niches très intéressantes ».
Certifier les apprentisCGPC (Association française des conseils en gestion de patrimoine certifiés) s’est ouverte à l’apprentissage. En effet, à travers différents partenariats, CGPC permet à des étudiants en cursus diplômant à bac +5 de passer la certification Expert conseil en gestion de patrimoine de CGPC, enregistrée au niveau 7 du RNCP, reconnue dans vingt-sept pays sous la désignation Certified Financial Planner et donnant droit au niveau mondial à la certification ISO 22222. « Nous avons conclu des accords avec différents instituts et écoles dotés de CFA, qui les habilitent à former au conseil en gestion de patrimoine en utilisant notre descripteur des connaissances et compétences utiles pour exercer le métier et nos outils d’évaluation des compétences reconnus par la profession ». Ces étudiants réalisent leur formation en alternance, le plus souvent dans des établissements bancaires, mais aussi dans des compagnies d’assurance ou des cabinets de gestion de patrimoine. A l’issue de leur formation, les diplômés peuvent se prévaloir d’une certification de haut niveau, synonyme d’opérationnalité pour le conseil, et adhérer à CGPC.