2023 a été un bon cru pour les produits structurés qui ont vu leur collecte augmenter dans un contexte des plus favorables. Revue de détail chez différents acteurs du marché.
Difficile de trouver un acteur des produits structurés pour vous dire qu’il a fait une mauvaise année 2023. C’est même mission impossible ! « Notre collecte auprès des conseillers en gestion de patrimoine a approché les deux milliards d’euros en 2023, ce qui est une année record », affirme ainsi Benjamin Cazenave, directeur d’Adequity, entité du groupe Société générale présente sur ce marché depuis vingt-deux ans. Le son de cloche est similaire chez d’autres acteurs du marché. La collecte enregistrée par DS Investment Solutions approche les 750 millions d’euros, soit plus de 50 % de croissance par rapport à 2022, confirmant la forte tendance observée depuis 2020.On peut voir plusieurs explications à cela. D’abord, les clients avaient du cash à réinvestir. « Une des raisons de la forte collecte en 2023 est que l’immense majorité du marché est constituée de produits à rappel, explique Benjamin Magny, directeur du développement de la Financière d’Orion. Quand les marchés montent, la plupart sont rappelés rapidement, et les investisseurs ont ainsi de l’argent à redéployer. Le laisser en cash serait une erreur, car l’inflation ronge l’épargne non investie. » Mais surtout, c’est bien entendu le changement du contexte financier qui a joué. « Les produits structurés fonctionnent bien quand les taux d’intérêt et la volatilité sont élevés. Ce sont des titres de créance vis-à-vis d’une banque émettrice, rappelle Benjamin Magny. Un taux plus élevé, toutes choses égales par ailleurs, signifie plus de rentabilité pour le client, en particulier sur les produits garantis où la partie obligataire est très importante et est investie dans un titre zéro coupon, acheté à une décote et qui va retrouver progressivement le pair. » Si la volatilité reste contenue sur les marchés, le changement a été radical pour les taux, malgré le reflux récent. Finis les taux zéro !Une croissance plus structurelle qu’il n’y paraît« La croissance de 2023 est liée, pour une bonne partie, à l’offre de produits offrant une garantie sur le capital et les coupons versés, que nous avons pu relancer depuis un an et demi. Cette catégorie de produits a représenté plus de 50 % de notre activité l’an dernier et nous permet de toucher une partie de la clientèle historique des CGP, averse au risque, donc très sensibles à la notion de produit garanti, mais aussi d’adresser certaines personnes morales, comme les trésoreries d’entreprises », précise Benjamin Cazenave.Benjamin Magny fait un constat similaire : « la hausse a étendu le spectre des couples rendement-risque possibles pour les produits structurés. La croissance du marché en 2023 ne signifie donc pas uniquement que les clients habituels vont plus sur les structurés:on a aussi ajouté une belle flèche à notre carquois et touché une clientèle qui n’en faisait pas », explique-t-il.Mais ce changement de conjoncture, qui profite au petit monde des structurés autant qu’il est un vent de face pour l’immobilier, n’explique pas tout. « L’accélération du marché s’explique certes par un effet taux, qui a favorisé certaines typologies de produits, mais aussi, plus structurellement, par un travail de fond des acteurs des produits structurés depuis le début des années 2010 pour expliquer cette classe d’actifs, alors mal comprise des CGP qui considéraient les produits comme trop complexes, pense Brice Gimeno, président de DS Investment Solutions. Les acteurs se sont retroussé les manches pour faire un effort de pédagogie et les rendre plus lisibles, plus compréhensibles. L’AMF nous a d’ailleurs aidés, en nous obligeant à nous limiter à trois mécanismes de complexité par produit, améliorant la lisibilité des produits. » La personnalisation accrue est une autre tendances structurelle poussant la classe d’actifs. « Depuis maintenant plusieurs années, nous avons commencé à proposer plus largement à nos partenaires la création de produits dédiés, ce qui a produit un deuxième effet accélérateur, ajoute Brice Gimeno. On a pu leur expliquer plus finement le fonctionnement des produits, l’impact du choix d’une durée de vie plus ou moins longue sur le montant des coupons, l’impact de la volatilité, etc. Mettre ensemble les mains dans le cambouis a permis de vulgariser ces produits, de les rendre plus accessibles. » Chez DS Investment Solutions, les produits de gamme restent dominants, avec 60 % environ de la collecte, mais quelque deux cents à deux-cent-cinquante produits dédiés sont distribués chaque année, typiquement accessibles à partir de 150 000 ou 200 000 euros. Et chez un émetteur comme Adequity, les produits dédiés représentent désormais plus de 80 % de l’offre, alors que les produits de gammes dominaient largement il y a dix ou quinze ans, ce qui va de pair avec l’innovation. « Nous avons continué à innover en développant de nouveaux sous-jacents visant à diversifier et décorréler les portefeuilles de nos clients, explique Benjamin Cazenave. Notamment nous avons construit de nombreux produits structurés sur des indices sectoriels – banques, ressources de base, par exemple – et même sur des indices thématiques:cybersécurité, intelligence artificielle, etc. »Les perspectives pour 2024A l’heure où commence le nouveau millésime, certaines offres qui ont attiré les investisseurs durant l’année précédente sont devenues moins intéressantes. En octobre dernier, Lynceus Partners avait pu offrir un joli rendement de 6,3 % sur douze ans, avec une garantie portant sur le capital et les coupons. Mais la fenêtre de tir n’est plus grande ouverte. « La fin d’année 2023 a été marquée par une baisse des taux réels, ce qui rend moins intéressants les produits à capital garanti, de même que la fenêtre des comptes à terme bien rémunérés va se refermer, affirme Patrick Chotard, PDG fondateur de Lynceus Partners. On devrait assister à un retour des produits autocall soutenus par le marché actions.»Et si le contexte change en cours d’année ? «La structuration est juste un outil, martèle Patrick Chotard. Le terme de produit structuré cache une myriade de produits différents. Quelle que soit la configuration de marché, il y a toujours un type de produits qui va fonctionner. Dans la situation actuelle, avec une volatilité modeste, on va plutôt proposer des produits de participation et moins de produits à coupon.» Pour surfer sur l’appétit pour les produits garantis, une autre idée a germé chez DS Investment Solutions:celle de créer une enveloppe de taux pure. Ce produit construit sur douze ans sera rappelable à l’issue de la première année au gré de l’émetteur et garantit, en attendant cette éventualité, un coupon annuel de 5 %, tout comme l’intégralité du capital.Une nouvelle offre de la Financière d’Orion surfe sur cette thématique d’une poursuite du reflux des taux. « Nous allons proposer à notre réseau un produit autocall à capital garanti à échéance ayant pour sous-jacent le taux CMS 10 ans. C’est assez nouveau. Le produit sera rappelé si les taux à dix ans reviennent sous les 2,5 %. Les taux semblent redevenir volatils, ce qui ouvre un horizon de nouveaux investissements pertinents », détaille Benjamin Magny. L’ambition de continuer à faire des produits garantis ne se dément pas chez Adequity, mais Benjamin Cazenave a aussi un autre objectif : « dans un marché que nos clients considèrent souvent comme historiquement haut, un enjeu sera de trouver des solutions adaptées pour proposer des produits en lien avec le marché actions. Une grande partie du succès des produits structurés tient au fait qu’ils permettent de faire investir les clients dans les marchés boursiers, tout en offrant une protection jusqu’à 40 ou 50 % de baisse », rappelle-t-il. Une solution peut-être de construire des produits actions sur des indices plus ciblés. « Actuellement, nous souhaitons proposer sous forme de produits dédiés des thématiques ayant sous-performé par rapport à la tendance globale des marchés, indique par exemple Brice Gimeno. Nous nous appuyons pour cela sur les analyses de la Financière de l’échiquier. Par exemple, nous aimons bien la thématique du secteur santé, en retard par rapport au marché actions en 2023, où l’on peut espérer une forme de rattrapage de performance dans les deux ou trois ans, qui pourrait profiter à nos produits. » Quel que soit le type de produits, une chose reste essentielle:ne pas s’affranchir de la réalité financière du moment.« La beauté des structurés est de toujours pouvoir élaborer un scénario et un produit en fonction de la conjoncture, se félicite Benjamin Magny. Il y a toujours quelque chose d’intéressant à faire. L’écueil à éviter, c’est de s’obstiner à servir encore et toujours le même rendement potentiel. Il faut être capable d’expliquer au client que les conditions de marché ont changé et que le produit qui générait 10 % d’espérance de rendement auparavant ne donne plus que 8 % à niveau de protection équivalent. » Cela ne signifie pas que le produit ne soit plus intéressant, juste que le contexte lui permet de délivrer une performance moindre.
La question du sous-jacentA côté des classiques produits sur indices, l’essor des produits dédiés est évidemment allé de pair avec le développement de produits plus spécifiques, portant sur une action individuelle. Ils ne sont pas forcément du goût de tous. « Nous sommes très prudents face aux produits dits “single stock” que nous considérons plus comme des produits spéculatifs que comme faisant partie d’une bonne gestion de patrimoine », estime ainsi Brice Gimeno. Sans doute répondent-ils à une typologie spécifique de client final et surtout de distributeur, certains étant plus à l’aise que d’autres avec les subtilités de la Bourse.A la Financière d’Orion, les produits de masse disponibles en assurance-vie, qui peuvent collecter 30 millions d’euros, sont forcément construits sur indices. Mais le single stock à la demande en produit dédié existe, permettant des stratégies différentes en compte-titres.C’est aussi une offre très demandée par les clients de Lynceus Partners. Comment choisir quelles actions cibler ? « L’idée est de raisonner par l’absurde et de se demander quelle valeur ne peut pas perdre 50 % dans les cinq ans à venir », explique Patrick Chotard. En pratique, les produits sur une seule action seront souvent construits sur une durée plus courte (trois ans), alors que Lynceus privilégient des durées de cinq à six ans pour les produits sur indices, ce qui est déjà très inférieur à la norme française, plus proche des dix ans.Et c’est bien sur ce créneau du single stock que le recours à des plates-formes capables d’interroger un panel de banques pour construire un produit. « On a vu des écarts de prix proposés se creuser entre les banques, se justifie Patrick Chotard. Cela peut correspondre à des politiques différentes en termes de marge, à un besoin de liquidité différent d’une banque à l’autre, mais aussi à l’appétit de certains traders pour tel ou tel titre. » De tels écarts existent aussi sur les produits basés sur indices, mais dans une moindre mesure. Lynceus propose aussi des produits worst-of sur des paniers d’actions, où c’est la pire performance parmi trois actions qui servira de référence. « Nous essayons d’importer ce concept qui fonctionne partout ailleurs », indique Patrick Chotard. Risqué, mais avec l’avantage de la transparence sur le support, clairement identifié.
Les indices synthétiques en questionCar pour Patrick Chotard, le débat est ailleurs. « La vraie question est de savoir si on utilise des indices classiques ou synthétiques, créés spécialement et optimisés pour permettre d’afficher des rendements plus attrayants sur les autocalls. Il faut bien comprendre que ce rendement supplémentaire correspond à un risque plus élevé. Si on rentre dans une phase baissière durable, ces produits synthétiques risquent de connaître des déconvenues », craint-il. Pourtant, ces indices synthétiques sont bien installés dans le paysage français des structurés depuis leur lancement par Adequity. « C’est une innovation que nous avons lancée, et les indices synthétiques forment aujourd’hui la majorité de notre collecte sur le marché actions. Leur avantage est un couple rentabilité-risque souvent plus intéressant pour les clients », pense Benjamin Cazenave. Leur principe est de prélever un dividende fixe sur l’indice spécifique utilisé, plutôt que de devoir anticiper les dividendes à venir d’un indice existant, ce qui n’est pas simple sur dix ans. « L’ingénierie apportée par les indices synthétiques doit être bien expliquée mais c’est une innovation intelligente, affirme Brice Gimeno. Elle permet de fixer le dividende qui est l’une des composantes du modèle, donc de lever une incertitude. La construction du produit coûte ainsi moins cher. » Mais gare aux excès ! « Il faut faire attention au taux de dividende fixe prélevé dans l’indice, prévient Benjamin Magny. Plus il est important, plus le produit semblera intéressant, mais si les dividendes réels du sous-jacent sont inférieurs, cela sera au détriment de l’investisseur. » Ici, la compréhension du mécanisme par le client final reste un point clé, surtout lorsque le sous-jacent n’est plus un indice, mais… une action synthétique.
Les rappels, ce n’est pas automatiqueLes produits dits autocall, qui vont être débouclés automatiquement lorsque le sous-jacent atteint un certain niveau à la date de constatation prévue, représentent le must du marché français des structurés. Ces produits sont souvent construits sur une durée de dix ans : en cas de krach faisant reculer l’indice sous-jacent, celui-ci aura tout le temps de revenir vers la valeur permettant le rappel du produit. Mais cette durée de dix années reste jusqu’à présent très théorique. « Il y a un vrai biais sur la perception des produits autocall, pense Patrick Chotard. On a pris l’habitude que ces produits n’aillent jamais à maturité et soit rappelés par anticipation au bout d’un ou deux ans, ce qui est le cas ces dernières années grâce à la hausse du marché des actions. » Quid du cas d’un marché baissier qui serait suivi d’une longue stagnation ? L’hypothèse n’est pas à exclure, au moment où l’endettement important des Etats pèse sur la croissance potentielle de l’économie. Ici encore, le marché des structurés est appelé à s’adapter. « De plus en plus, nous construisons des produits à barrière de rappel dégressive ou assortis à un best strike, c’est-à-dire regarder deux points de départ au lancement d’un produit et en prenant le plus bas, indique Benjamin Cazenave. Ce genre de mécanisme est construit dans l’objectif de limiter la duration du produit. » Dans le cas des produits à rappel dégressif, le niveau de constatation du sous-jacent qui doit être atteint pour le rappel est abaissé de 3 ou 5 % chaque année, pour maximiser la probabilité de rappel. « Cela coûte un peu de performances, admet Brice Gimeno. Mais cela peut avoir de la valeur si l’on considère que le marché est à un niveau élevé. Les produits dits daily, qui sont l’une de nos spécialités, ont aussi un intérêt dans une telle configuration. A partir du premier anniversaire, la constatation devient quotidienne et peut entraîner chaque jour le rappel. C’est un vrai confort de gestion. » Ces produits à rappel quotidien représentent 60 à 70 % de la collecte de DS Investment Solutions depuis dix ans, même si cela fut moins vrai en 2023.
Les structurés dans la cour des grandsLes conseillers en gestion de patrimoine aiment de plus en plus les structurés. «En moyenne, les CGP avec qui nous travaillons intègrent 25 % de produits structurés dans les allocations qu’ils proposent et cela continue d’augmenter, estime Patrick Chotard. On voit même de petits cabinets se lancer en offrant exclusivement des structurés. L’essentiel est alors de diversifier entre différents types de produits non corrélés entre eux.»A la Financière d’Orion, qui propose une gamme complète de produit, la préconi-sation est même de 30 %, pour la capacité des structurés à procurer une bonne diversification au côté des actions, du Private Equity ou de l’immobilier. De tels chiffres peuvent sembler très élevés, mais il faut bien comprendre qu’ils supposent une diversification à l’intérieur même de la poche de structurés, la palette de stratégies et de niveaux de risque étant très étendue, puisqu’on peut aller de la note à taux fixe au produit à effet levier construit pour doubler la performance d’un indice.Si le marché français reste relativement uniforme pour le moment, la courbe d’expérience des distributeurs pourrait les guider dans les années à venir sur de nouveaux sous-jacents, comme l’immobilier ou les matières premières (pétrole, or). Le champ des possibles est très vaste et on peut même imaginer des produits short.En revanche, les produits structurés ne sont certes pas en première ligne de la vague de fond de l’investissement ESG. Si les CGP ne semblent pas particulièrement proactifs vis-à-vis de leurs fournisseurs sur le sujet, ces derniers prennent quelques initiatives. Ainsi, Financière d’Orion a fait deux campagnes en 2023 où la partie obligataire du produit était une obligation verte. Lynceus Partners a de son côté lancé en 2021 un indice inspiré des Objectifs de développement durable (ODD) et construit des produits dont une partie des commissions était reversée à la Fondation des hôpitaux (opération Pièces jaunes).Attention toutefois à ce que l’argument solidaire ne soit pas un moyen de cacher des frais ! DS Investment Solutions a eu une démarche plus globale en 2019 en décidant que tous les sous-jacents des produits de gamme seraient ESG et l’entreprise a même obtenu la certification B Corp accordée aux sociétés répondant à certaines exigences environnementales ou sociétales.Quant à la digitalisation du métier, elle est en marche, mais ne répond pas encore à tous les besoins. « Le digital apporte du confort à nos clients qui peuvent suivre plus facilement leurs portefeuilles notamment, mais il reste important pour nous d’être présents aux côtés des conseillers en gestion de patrimoine au quotidien pour leur apporter les conseils dont ils ont besoin. La relation que nous mettons en place avec les CGP peut être différente selon qu’il s’agisse d’un cabinet avec lequel nous travaillons depuis de nombreuses années ou d’un cabinet plus néophyte », résume Benjamin Cazenave.Les CGP clients de la Financière d’Orion peuvent souscrire sur la plate-forme Canopia l’ensemble de l’offre, directement connectée aux contrats assurance-vie, ce qui va leur économiser du temps d’arbitrage. Mais le contact humain reste essentiel. « La digitalisation est un moyen de donner accès à l’information à nos clients. Pour ce qui est de la création de produits en direct sur une plate-forme en ligne, cela nous semble encore prématuré. Nous sommes sur une classe d’actifs où pour arrêter les paramètres du produit, un dialogue entre le client et son interlocuteur est toujours nécessaire », conclut Brice Gimeno. Pour les CGP, la relation de proximité avec le distributeur est importante, mais le choix de l’émetteur est clé. « Lorsqu’on travaille avec des banques européennes dites systémiques leaders sur leur marché national, les investisseurs ont du mal à croire à la possibilité d’un défaut », pense Patrick Chotard. L’année 2023 a tout de même vu la faillite de Crédit suisse, avertissement sans frais pour le marché des structurés, puisque tous ont été remboursés. Mais attention à ne pas se laisser abuser. « Le choix de l’émetteur du produit structuré est important, juge Benjamin Magny. Plus il est risqué, plus il servira un rendement important du fait de son rating. Un meilleur rendement, c’est alors plus de risque embarqué. » Un peu de diversification semble une attitude raisonnable, de préférence entre des émetteurs pas trop exotiques.