Groupe La Française I Crédit Mutuel Asset Management - Législation Omnibus de l'UE : Une simplification au détriment de la qualité du reporting ESG ?

23/01/2025 - source : Patrimoine 24

Afin de renforcer les pratiques ESG (Environnementales, Sociales et de Gouvernance) des entreprises et d’améliorer la fiabilité et la comparabilité des données ESG, l'Union européenne (UE) a mis en place de nombreuses réglementations. Bien que ces mesures entendent encadrer la responsabilité des acteurs et encourager des attitudes transformatrices fondées sur le reporting, cette multitude de textes a considérablement élargi les exigences de déclaration, rendant ainsi le processus plus complexe.

Deepchikha SINGH La Française CMAMYingwei LIN, Analyste ESG, Crédit Mutuel Asset Management

Pour relever ce défi et ainsi réduire la complexité bureaucratique imposée aux entreprises, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a proposé une législation Omnibus en novembre 2024. La proposition vise à consolider et à simplifier la directive sur les informations en matière de durabilité des entreprises (CSRD, 2022, qui renforce les obligations d'information non financière pour les entreprises), le règlement de l'UE sur la taxonomie (2020, qui classe les activités économiques durables) et la directive sur le contrôle diligent en matière de durabilité des entreprises (CS3D, 2024, qui impose un devoir de vigilance pour identifier et traiter les impacts négatifs sur l'ensemble des chaînes de valeur). Alors que les efforts visant à simplifier les procédures administratives sont les bienvenus, la législation Omnibus proposée soulève une question cruciale : risque-t-elle de compromettre les progrès réalisés en matière d’information sur la durabilité ? De plus, étant donné la complexité de ces trois règlements (CSRD, CS3D, taxonomie de l'UE) et le contexte politique plus large au sein de l'UE, une législation Omnibus peut-elle atteindre de manière réaliste les objectifs visés ?

Le consensus s’avère difficile

Bien que motivée par de bonnes intentions, la consolidation de ces trois cadres pour parvenir à un consensus semble compliquée compte tenu des approches et des priorités contradictoires des États membres de l'UE. A titre d’exemple, la CSRD a déjà dû faire face à d'importants défis lors de son élaboration et sa mise en œuvre. A fin 2024, soit quelques mois à peine avant la publication des premiers rapports relatifs à la CSRD, certains régulateurs européens réclament encore un assouplissement du cadre de la CSRD. Ursula von der Leyen a souligné les défis posés par la surrèglementation pour les PME (petites et moyennes entreprises), tandis que d'autres dirigeants, comme l'ancien Premier ministre français Michel Barnier, ont suggéré un « moratoire » pour retarder l’application de la CSRD en France. L’ancien ministre fédéral allemand de la Justice, Marco Buschmann, a quant à lui demandé une révision du texte concernant la CSRD. Le consensus sur la CSRD n’ayant pas encore été atteint, il est peu probable qu’une législation Omnibus regroupant ces trois règlements soit finalisée à court terme. Selon Forbes, la Commission européenne devrait débattre de cette question en février 2025.

Alors que le règlement Omnibus vise à réduire le poids et le coût du reporting en matière de durabilité pour les entreprises, la CS3D va au-delà du simple reporting et des déclarations. La CS3D exige également que les entreprises instaurent des processus solides pour identifier et traiter les questions relatives aux droits de l'homme et à l'environnement. Par conséquent, le champ d'application de la législation Omnibus doit être clairement défini, et il existe essentiellement deux alternatives. En tant que réglementation globale, le champ d’application de la législation Omnibus pourrait englober celui des trois règlements (CSRD, taxonomie de l’UE et CS3D), couvrant à la fois le reporting et des aspects au-delà du reporting. Cependant, une telle approche ne réduirait pas la charge pesant sur les entreprises. Autrement, la législation Omnibus pourrait se limiter à refléter les exigences communes en matière de reporting et d’information sur la durabilité prévue par les trois réglementations. Les autres sujets seraient alors soit traités dans les textes initiaux, soit « écartés ». Cela pourrait entraîner une réduction modérée de la charge et des coûts pour les entreprises, ou au contraire, une simplification excessive au détriment de pratiques ESG solides et de normes de reporting de qualité supérieure. En outre, ces règlements demeurent sujets à d'éventuelles modifications fondées sur les retours des parties prenantes. Par conséquent, regrouper ces législations sous un cadre unique s’avère un défi considérable.

Simplification ou dérégulation des normes de reporting ESG ?

Dans un contexte de sentiment négatif, alimenté par des réglementations en matière de durabilité qui sont perçues comme un frein à la compétitivité et à la souveraineté européenne, l’inquiétude grandit quant au fait que la législation Omnibus ne soit régressive. La CSRD, le règlement de l'UE sur la taxonomie et la CS3D qui sont conçus chacun pour compléter le cadre de durabilité avec des ambitions et des champs d'application distincts, pourraient être réduits à un « autre » ensemble de règlements. Ce changement pourrait s'avérer contre-productif :  lever la charge pesant sur les entreprises au détriment des objectifs de durabilité. Par exemple, la version finale de la première série de normes européennes d'information sur la durabilité (ESRS, normes de la CSRD) a déjà été fragilisée, à savoir moins d’éléments de données et une attention plus étroite accordée à la matérialité par rapport à ses versions initiales. De nouvelles simplifications, en particulier sur les concepts fondamentaux de la CSDR, pourraient s'avérer contreproductives et compromettre les efforts visant à établir des pratiques solides en matière de durabilité.

Les modifications réglementaires pourraient pénaliser les pionniers

La législation Omnibus proposée a créé une incertitude importante pour les entreprises, envoyant des signaux troublants. Les changements majeurs apportés à la CSDR risquent de pénaliser les précurseurs qui ont investi des ressources importantes pour ajuster leurs stratégies et affaiblir leurs efforts proactifs, tandis que les entreprises retardataires pourraient, paradoxalement, subir moins de perturbations. Pendant des années, les entreprises ont été encouragées à adopter rapidement les mesures de durabilité, mais en raison des révisions en cours, ce conseil apparaît maintenant presque ironique. Cette dynamique fait écho à des cas récents, comme celui de la réglementation européenne sur la déforestation, où les premiers adoptants ont été désavantagés.

Le calendrier de mise en œuvre de la CSDR varie selon la taille des entreprises et commence par les grandes entreprises. Cette approche progressive crée une courbe d'apprentissage, permettant aux entreprises de taille inférieure de tirer parti des expériences des grandes entreprises, et potentiellement, de réduire leurs coûts. De plus, les grandes entreprises ont la possibilité d’accompagner et de soutenir leurs fournisseurs pendant la transition puisque la CSRD nécessite des informations sur la chaîne d'approvisionnement, si cela est pertinent. Cela encourage les entreprises à adopter une marche proactive dans leurs efforts. Toutefois, les incertitudes entourant la réglementation en matière de durabilité ont perturbé cette série d'événements, réduisant ainsi la capacité des précurseurs à influencer les autres. Cette instabilité réglementaire incite les entreprises à considérer la CSDR et les cadres associés comme de simples obligations de conformité plutôt que des occasions de transformation stratégique. En conséquence, de nombreuses entreprises pourraient reporter leurs préparatifs en matière de reporting sur la durabilité jusqu'au dernier moment possible.

Mauvais calendrier pour une législation Omnibus

La proposition omnibus exacerbe les défis existants. En septembre 2024, 17 États membres n'avaient pas encore transposé la CSRD dans leur législation nationale. D'autres retards sont probables tant que le processus Omnibus ne sera pas finalisé. Pendant ce temps, l'adoption des normes de l'International Sustainability Standards Board (ISSB) progresse rapidement, avec 40 % de la capitalisation boursière mondiale et 50 % du commerce européen déjà alignés sur les normes de l'ISSB, dépassant le rythme de mise en œuvre plus lent de la CSRD. Cela présente un risque important : si l'adoption de l'ISSB continue de se propager plus rapidement en Europe que la CSRD, elle pourrait réduire la valeur ajoutée apportée par la CSRD, comme la double matérialité. De plus, l'adoption généralisée de la CSRD pourrait s'avérer plus difficile, d'autant que les normes de l'ISSB deviennent de plus en plus la référence mondiale en matière de transparence des chaînes de valeur et d'information axée sur les investisseurs. Le président de l'ISSB, Emmanuel Faber, a souligné que les normes de l'ISSB fournissent le type d'information dont les investisseurs ont besoin plus efficacement que la CSRD.

En outre, l'ESRS sectoriel, dont l'adoption est prévue pour 2026 et qui vise à fournir des informations plus pertinentes, pourrait subir de nouveaux retards ou faire l’objet de compromis en raison de l'accent mis par la présidence belge sur le renforcement de la compétitivité européenne et l'adoption plus large des normes ISSB, tant au niveau mondial qu'en Europe.

Conclusion :

Les régulateurs européens affirment que leur objectif est d'alléger la charge de reporting pesant sur les entreprises - un objectif positif et nécessaire - tout en soutenant les initiatives de développement durable. Toutefois, il demeure préoccupant que les efforts de simplification des réglementations puissent diminuer leur efficacité, en les dépouillant de leur substance et en représentant effectivement un recul dans les normes réglementaires de durabilité.

La stabilité des réglementations en matière de durabilité est cruciale pour que les entreprises puissent planifier et ajuster efficacement leurs opérations. Toutefois, les incertitudes créées par la proposition de législation Omnibus, associées au paysage politique européen actuel, envoient des signaux négatifs aux entreprises. Cette situation pénalise les premiers adoptants, ce qui pourrait les décourager à se conformer aux futures réglementations ESG. Par conséquent, les entreprises pourraient commencer à considérer les rapports sur la durabilité comme une simple obligation de conformité plutôt qu’une priorité stratégique.

 

Par Yingwei LIN, Analyste ESG, Crédit Mutuel Asset Management

 

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