Par Didier Kling, président du groupe CNCEF, et Stéphane Fantuz, président CNCEF Patrimoine
Les Français sont plus fourmis que cigales. Ils ont épargné 33,2 milliards d’euros lors du second trimestre 2023(1). Cette épargne de précaution déjà amorcée pendant la pandémie s’installe comme une tendance durable dans la paysage financier. Ce mouvement de précaution est la traduction de fortes inquiétudes tant envers la conjoncture nationale qu’internationale. Un climat peu serein incite 73% de nos concitoyens à orienter une partie de leurs revenus en direction des produits réglementés.
On estimait d’ailleurs au début de l’automne que les livrets A et LDDS thésaurisaient 547,5 milliards d’euros à eux deux(2). Un chiffre record qui traduit un manque de confiance en l’avenir, alors que la rémunération de cette épargne est inférieure à l’inflation. Sociologiquement, tous les niveaux de revenus remplissent le bas de laine. Les plus aisés placent jusqu’à 500 euros par mois. 10,5 millions de ménages modestes ont ouvert un Livret d’épargne populaire.
Cette position défensive est dictée par l’évolution des prix de l’immobilier, l’inflation et les conflits sur la scène internationale. La décollecte n’est donc pas pour demain à plus forte raison que ces différentes réserves bénéficient de la hausse des taux des produits réglementés. Les rendements sécurisés confortent donc les épargnants dans leur choix si bien d’ailleurs qu’ils profitent de la diversité des placements possibles. Outre les livrets classiques, ils ont une appétence plus marquée pour l’assurance-vie et les placements en bourse. Des orientations qui se font au détriment du marché de l’immobilier où 38% des projets sont reportés ou annulés(3).
Un équilibre difficile à trouver
Le plan d’épargne logement, rémunéré à hauteur de 2,25%, demeure peu attrayant pour redonner une dynamique au financement du logement. S’il permet d’obtenir plus facilement un prêt pour un achat immobilier ou des travaux, sa période de détention minimale de quatre ans ne peut répondre aux enjeux présents. Par ailleurs, il aurait fallu l’indexer sur l’inflation comme nous en avions fait la proposition pour le rendre attractif.
Les Français font bien plus qu’anticiper les coups durs et les impondérables… Ils doutent fortement de l’avenir, y compris de leur propre situation professionnelle. L’attentisme que nous traversons s’explique donc pour partie, par une diminution des liquidités en circulation conjuguée à une baisse de la consommation.
Pour autant, cette épargne sécuritaire n’a que faiblement réduit la pression sur les prix et l’inflation. Un véritable casse-tête pour les pouvoirs publics et les banques centrales qui cherchent un équilibre entre une épargne assurant le financement de l’économie et de l’autre, une croissance robuste.
Comment se projeter en 2024 ? Hélas, la propension des Français à épargner va se confirmer. Outre les aléas conjoncturels, ils citent la réforme des retraites. Promulguée récemment, elle est mal appréciée et source de replis. C’est pourquoi, ils préfèrent placer leur argent dans cette perspective et renoncer à d’autres investissements immédiats.
Enfin, les récentes annonces du gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024 ne modifieront pas les réflexes sécuritaires des épargnants pour l’année à venir. Ceci même alors que le taux du livret A sera plafonné à 3% jusqu’en 2025. En revanche, les Français sont partagés sur le fait de financer avec ce dernier, les entreprises du secteur de l’armement. Cumulé au Livret de développement durable et solidaire, les deux produits représentent 200 milliards d’euros potentiellement disponibles(4).
Un fort besoin de confiance
Alors que la transition écologique n’a cessé d’être promue comme une nécessité absolue par tous les acteurs politiques et financiers, les impératifs budgétaires de la Défense placent les établissements bancaires et les épargnants face à un dilemme éthique. C’est-à-dire d’un côté, les 200.000 emplois directs générés par l’industrie de l’armement qui pèse 8 milliards d’euros dans la balance commerciale et de l’autre, les enjeux colossaux du climat et la montée en puissance de l’investissement socialement responsable. Une ambivalence que l’Etat devra régler au plus vite, à plus forte raison que la COP 28 a marqué de nouvelles avancées en direction d’une économie mondiale moins polluante, moins carbonée, moins dépendante des énergies fossiles.
Dans cette période d’incertitudes, le besoin de confiance des Français n’a jamais été aussi fort. Cela nécessite une certaine forme de courage politique pour y parvenir. Particulièrement pour flécher et réorienter l’épargne vers l’économie réelle. La seule qui est au service des hommes, qui contribuent à leur mieux-être, à la prospérité des entreprises, aux projets du pays, à la justice sociale et à l’exigence climatique.
1. Source Banque de France - Statistiques novembre 2023
2. Le Monde - Les Françaises et les Français continuent d’épargner massivement - 24 août 2023
3. Le baromètre de l’épargne, de la retraite et des placements - Odoxa-Groupama pour Capital et BFM 22 novembre 2023
4. Source Odoxa