Les marchés ont-ils vendu la peau de l'inflation avant de l'avoir tuée ? C'est fort possible : malgré la baisse du pétrole, la hausse des prix continue de surprendre. En dépit de la remontée des taux, le marché de l'emploi ne faiblit pas aux Etats-Unis. Il soutient la consommation, qui à son tour nourrit l'inflation, celle tenace et dangereuse, qu'on appelle "core". Un casse-tête pour Powell, qui connaît le parcours semé d'embuches de Volcker et sait que le plus dur l'attend…
En mai 1980, le taux de chômage remonte de 1% sous l'effet de la hausse des taux. La pression sociale et politique devient insoutenable : le Président de la Réserve Fédérale cède. Il fait machine arrière alors que l'inflation culmine à 15%. Erreur stratégique : les attentes d'inflation dérapent, la hausse des prix ne faiblit pas.
L'embrasement continue, l'eau n'a pas suffi, l'asphyxie est sans effet. Dos au mur, Volcker n'a plus qu'une solution : l'explosion. Il sature l’espace en oxygène : il porte les taux à 20%. Noyé d'air pur, le brasier se fait déflagration, si forte, (la récession qui s'ensuit, en 1981, est l'une des plus violentes) qu'il n'est plus rien à brûler. La déflagration a tout consumé, air autant que carbone. L'inflation chute avec la contraction économique. Privé d'oxygène et de combustible, l'incendie est éteint mais l’édifice est dévasté.
Il ne faut pas croire que les taux directeurs à eux seuls garantissent la fin de l'inflation.
Si l'on compare la politique monétaire à une arme : les taux sont la poudre à canon. Le sabot est la récession, le chômage en est l'ogive. C'est en combinant les trois qu'on frappe la cible.
Jusqu'à présent, les banques centrales ont tiré à blanc. Quoique forte, la hausse des taux a été un coup de semonce relativement indolore pour l'économie, une manœuvre d'intimidation telle que celles que pratiquent les Mig ou Sukhoi russes en mer baltique, visant à contraindre l'économie à atterrir en douceur.
Mais les chiffres de cette semaine ont montré qu'il fallait désormais tirer à balle réelle.
Selon Olivier Blanchard, le seuil du taux de chômage à partir duquel l'inflation cesse de progresser (le fameux NAIRU pour "non accelerating inflation rate of unemployement) est désormais de 5% aux Etats-Unis, en raison de l'écart historique entre l'excès d'offre d'emploi par rapport à la demande (plus de 5 millions).
D'après l'ex-économiste en chef du FMI, afin que la FED l’emporte sur l’inflation, il faudrait que le chômage (3,6% actuellement) atteigne au moins 6%.
Depuis mardi, les investisseurs réalisent que les banques centrales risquent de devoir s’en remettre à cet Armageddon anti-inflation. Ils risquent donc de devoir rehausser leurs anticipations de taux terminaux (attendus aujourd’hui pour fin 2022 autour de 2,5% pour la BCE et entre 4 à 5% pour la FED) tout en réduisant davantage leurs attentes bénéficiaires. Au fur et à mesure de la prise de conscience d’un scénario récessif sévère, nous devrions désormais assister à une remontée paradoxale de la valorisation des actions au fur et à mesure de la dégradation des anticipations des bénéfices combinée à la hausse de la prime de risque. C’est le phénomène dit de « Molodovsky » que l’on observe souvent au fur et à mesure que l’on se rapproche du véritable point bas d’un bear market…
Thomas Planell, CFA, Gérant-analyste
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