Vontobel - La confiance survoltée qui propulse Tesla

19/01/2021 - source : Patrimoine 24

Tesla compte parmi les actions qui ont atteint de véritables sommets en 2020. Si l’optimisme relatif à l’avenir des véhicules électriques (VE) est compréhensible, la valorisation actuelle de Tesla reflète les hypothèses audacieuses sur sa dominance sur le marché des véhicules électriques et l’éventail de ses activités annexes.

En surface, Tesla connaît une croissance structurelle dans le domaine des VE avec des effets réseau potentiels, des avantages significatifs du fait de sa position de pionnier et des possibilités en apparence illimitées dans ses activités connexes. Autant de facteurs qui ont propulsé la valorisation de Tesla à un niveau ahurissant de 700 milliards de dollars. En plus de vendre des VE, les activités annexes et axées sur les services de Tesla semblent receler un potentiel immense. Pour les entreprises proposant ce type de nouvelles offres annexes ou orientées sur les services, les investisseurs paient généralement une petite prime en contrepartie d’une faible probabilité de potentiel futur important. Cependant, la valorisation actuelle de Tesla traduit une forte probabilité que son activité dans les VE va continuer de dominer et que ses autres activités, qui n’ont pas encore fait leurs preuves, vont faire un carton.

Des prévisions optimistes

Les mesures prises par les Etats du monde entier jouent un rôle important dans la croissance du secteur des véhicules électriques. En effet, les gouvernements ont commencé à mettre en œuvre des politiques soutenant les véhicules zéro émission, comme les véhicules électriques, afin de lutter contre le réchauffement climatique. Les principaux marchés automobiles du monde (soit la Chine, les Etats-Unis et l’Europe) ont mis en place un mélange de subventions et de réglementations qui contribue au développement de l’industrie des véhicules électriques, ce qui s’est traduit par une hausse notable des prévisions de croissance des volumes pour Tesla.

La valorisation actuelle de Tesla n’inquiète pas uniquement les spéculateurs à la baisse sur les véhicules électriques. Si l’on suppose un taux de croissance annuel moyen des ventes de véhicules électriques de 22% au cours des dix prochaines années, cela signifie que Tesla se négocie à plus de 60x le BPA 2030 ! Même pour les investisseurs les plus optimistes, ce prix est trop élevé pour une simple entreprise du secteur automobile. Ainsi, nous estimons qu’un peu moins de la moitié de la valeur marchande de Tesla provient de la vente de véhicules électriques et le reste de ses activités annexes. Alors que l’action de Tesla a tendance à devancer ses fondamentaux, à en juger par les niveaux actuels, l’entreprise devrait non seulement dominer les ventes de VE, mais un grand nombre de ses activités annexes devraient constituer un pari gagnant. En résumé, pour que cette valorisation soit justifiée, le succès doit être au rendez-vous.

La thèse concernant Tesla repose en grande partie sur sa position avantageuse de pionnier de la technologie des batteries et sa maîtrise de la chaîne d’approvisionnement. En théorie, ce statut de pionnier lui a permis d’atteindre une position dominante de laquelle elle semble indétrônable pour ce qui est de la propriété intellectuelle sur les batteries et de la chaîne d’approvisionnement, ce qui devrait favoriser une production à des coûts extrêmement bas. Une fois cette dernière en place, Tesla pourra alors réduire ses prix de vente aux consommateurs et vendra moins cher que ses rivaux dès que la courbe en S de l’adoption des véhicules électriques se concrétisera. L’entreprise devrait voir ses ventes passer de 500.000 voitures par an actuellement à près de 4 millions d’ici à 2030, générant des marges brutes supérieures de 1% à 4% à celles de ses pairs du secteur de l’automobile. A titre de comparaison, GM a vendu en moyenne 4 millions de véhicules à travers le monde au cours des trois dernières années, avec des marges brutes de 19%.

La thèse haussière relative à Tesla s’accompagne de nombreuses hypothèses dérangeantes à propos de la concurrence, mais, compte tenu de sa capitalisation boursière, nous sommes d’avis que sa réussite est plus complexe que la simple vente de véhicules électriques comme n’importe quel autre fabricant d’équipement d’origine. Sinon, sa valorisation ne serait pas si élevée.

Plus qu’un constructeur automobile ?

Le modèle d’affaire de Tesla repose sur le nombre de véhicules électriques vendus par la marque. L’avantage de l’entreprise lié à son statut de pionnier engendre la création d’une base d’automobilistes qui, selon les analystes du secteur, va se transformer en abonnés pouvant être monétisés chaque mois, puisque ceux-ci devront payer une cotisation mensuelle pour obtenir divers services supplémentaires. Enfin, cela va générer des bénéfices prévisibles assortis de marges similaires à celles des logiciels, déterminées par le nombre d’utilisateurs actifs mensuels multiplié par le prix moyen par unité.

Quels sont les services offerts par Tesla ? Les analystes du secteur font preuve d’une imagination débordante à ce sujet. Ils sont nombreux à se figurer une gamme de services potentiellement disponibles pour un supplément mensuel que les abonnés pourraient choisir afin d’améliorer leur véhicule, par exemple : un package pour véhicule autonome (intégré actuellement au coût initial), des mises à niveau de performance régulières, des frais de suralimentation mensuels, des packs mensuels d’entretien et même un système d’infodivertissement complété par des programmes de streaming en direct et/ou Tesla Arcade.

Tesla offre également des services annexes qui pourraient être monétisés et conditionnés avec ses véhicules, comme Tesla Energy, Tesla Insurance et Tesla Mobility. En d’autres termes, Tesla ne se contente pas d’être un fabricant d’équipement d’origine, c’est aussi une entreprise de SaaS (logiciel en tant que service). Mais attendez, cela ne s’arrête pas là ! Tesla a annoncé récemment des améliorations significatives de sa technologie de batterie, ainsi que l’augmentation de ses capacités de production de batteries. L’entreprise pourrait ainsi fournir des batteries aux autres équipementiers également.

Cela vous fait déjà envie ? Le cours de l’action nous indique que nous pouvons tous avoir une part du gâteau. Si certains éléments de l’histoire palpitante de Tesla pourraient se concrétiser sur les 5 à 15 prochaines années, la progression ne devrait pas être aussi linéaire que semble indiquer le marché. Or, il est possible selon nous que le marché néglige plusieurs risques importants.

Batteries : la concurrence s’accroît

Trois ingrédients sont nécessaires pour pérenniser l’avantage créé par la situation de pionnier1 :

le temps nécessaire à l’établissement d’une expertise technique considérable ;

l’accumulation de ressources potentiellement rares (fournisseurs de premier plan, employés de talent, etc.) ; et

une base de consommateurs devant assumer des frais de transfert élevés.

Malheureusement, nous pensons que Tesla ne dispose que du premier de ces ingrédients et que sa situation avantageuse due à son statut de pionnier pourrait se dégrader.

Si la technologie de batterie de Tesla est supérieure actuellement, la concurrence la rattrape rapidement. Selon Wolfe Research, les nouveaux venus sur le segment des véhicules électriques ont levé 36 milliards de dollars ces deux dernières années. Parallèlement, les équipementiers automobiles traditionnels ont dépensé 50 milliards de dollars en recherche et développement et en dépenses d’investissement dans la technologie applicable aux VE. A travers le monde, nombreux sont les gouvernements à avoir fortement favorisé la construction de véhicules électriques. L’avantage de Tesla en tant que pionnier ne devrait pas durer, tandis qu’investisseurs et constructeurs réclament cette croissance.

La technologie liée aux batteries évolue rapidement et la position dominante de Tesla n’est aucunement assurée. A l’heure actuelle, Tesla est à l’avant-garde dans ce domaine avec des projets de batteries sans cobalt, un composant onéreux et difficile à obtenir. Cependant, la plupart des experts pensent que les batteries à électrolyte solide constituent le nec plus ultra pour les véhicules électriques, car elles ont une autonomie supérieure (800 km/500 miles), se rechargent plus rapidement et ont une durée de vie plus longue. Si le développement de ce type de batteries a été difficile jusqu’à présent, des concurrents de Tesla, dont Toyota, QuantumScape et Samsung SDI, estiment qu’ils pourraient démarrer sa production commerciale dans les dix prochaines années.

Attentes élevées pour les services

Même si Tesla atteint les volumes cibles attendus grâce à l’adoption plus rapide que prévu des véhicules électriques, son action affiche tout de même une valorisation trop élevée par rapport au potentiel de ses autres activités. En bref, la valeur de l’option intégrée des autres activités de Tesla prend en compte une probabilité quasi certaine de réussite, en dépit des risques susceptibles de freiner la rentabilité.

Mais surtout, ses concurrents pourraient commencer à fournir gratuitement certains des services proposés par Tesla. Les équipementiers automobiles traditionnels ne sont pas connus pour leur logique, surtout pendant les périodes de baisses cycliques. Dans le même temps, nombreuses sont les start-ups dans le domaine des véhicules électriques à lorgner le gâteau de Tesla. Les améliorations de performance, frais de suralimentation et packs d’entretien sont des frais qui seront faciles à déstabiliser quand les fabricants d’équipement d’origine vont commencer à commercialiser des véhicules électriques connectés assortis de fonctionnalités similaires.

Tesla Insurance est également menacée. En effet, son concurrent GM prépare sa propre offre d’assurance qui devrait se baser sur les données relatives aux habitudes de conduite de ses clients recueillies dans les véhicules. Quand les autres constructeurs auront conçu leurs véhicules électriques, la collecte de données va rapidement augmenter et les offres d’assurance pourraient suivre.

Les packages de conduite autonome et de mobilité que Tesla pourrait offrir présentent également des risques de sécurité. Tesla est la seule entreprise a avoir créé une technologie de conduite autonome qui n’utilise pas le LiDAR (Light Detection & Ranging), un système laser de localisation important qui permet à l’ordinateur de bord d’un véhicule de créer une représentation en 3D de l’environnement qui entoure le véhicule, ce qui améliore la sécurité. La grande majorité des experts convient que la mise à l’écart de cette technologie au profit d’options moins onéreuses basées sur les radars et les caméras présente des risques de sécurité à plus long terme.

Conclusion

Il ne fait aucun doute que Tesla a bouleversé le secteur de l’automobile, probablement en bien. Sous son influence, le monde entier commence à tourner la page d’un moteur à combustion interne vieux de 150 ans et ses concurrents ont été contraints de revoir la totalité de l’architecture de leurs véhicules. Tesla a mis en place des capacités de production impressionnantes et ouvert la voie en ce qui concerne la conception de batteries et leur propriété intellectuelle. Ses services et activités annexes présentent également du potentiel.

De notre point de vue, même si la situation de Tesla comporte beaucoup d’éléments positifs, les risques sont trop élevés à l’heure actuelle concernant sa thèse de croissance et sa valorisation est assortie d’une marge de sécurité (presque) inexistante, ce que les investisseurs à long terme devraient considérer comme un gage de succès.

Rob Hansen, Research Analyst

 

 

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