Dans un Point de vue, Raphaël Moreau, gérant depuis 2008 chez Amiral Gestion, se demande si la pause cyclique dans l’industrie européenne n’est pas le prélude à une « décennie en or ».
Inflation, surchauffe, hausse des taux… Si la sortie du Covid laissait espérer un fort démarrage économique, boosté par des sociétés et des ménages « bien capitalisés » après avoir été protégés pendant la crise et souhaitant rattraper le temps prévu, l’inflation s’envole et c’est tout droit vers une récession que se dirigerait l’économie mondiale, alors que les banques centrales souhaitent apaiser l’inflation en renchérissant le loyer de l’argent. C’est ce que constate Raphaël Moreau, gérant chez Amiral Gestion.
« Cette inflation, analyse le professionnel, est à la fois la conséquence directe des largesses de la planche à billets, mais aussi des perturbations de l’offre, celles qui sont liées au Covid en Chine et à la guerre en Ukraine. Les sanctions contre les exportations russes viennent raréfier l’énergie disponible et créent une nouvelle pression sur l’offre. » Un cocktail explosif dans un contexte de forte demande ! A défaut de pouvoir stimuler l’offre, les autorités monétaires n’ont pas d’autre choix que de calmer temporairement la demande pour casser une spirale inflationniste « délétère » pour le pouvoir d’achat.
Les conditions d’une nouvelle donne
Les conséquences de la hausse des taux d’intérêt sur les valeurs de croissance ont été largement commentées. Cela dit, elles se sont également traduites par un plongeon des valeurs cycliques. « Le diagnostic semble imparable, estime Raphaël Moreau : tout sera fait pour ramener la demande plus en ligne avec les biens disponibles. On aura donc à minima un fort ralentissement économique, voire une récession. » Le phénomène de mondialisation entamé dans les années 80 à l’approche de la chute du rideau de fer, renforcé par l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001, a radicalement transformé l’industrie européenne. En aplanissant les frontières, la mondialisation a permis une augmentation de la consommation des ménages, mais aussi détruit des emplois manufacturés dans les pays développés, les entreprises devant s’adapter pour survivre en délocalisant leurs usines dans des pays à main-d’œuvre bon marché.
Selon le gérant d’Amiral Gestion, trois phénomènes remettent en cause cette tendance lourde et pourraient créer les conditions d’une nouvelle donne, beaucoup plus favorables aux acteurs industriels disposant d’actifs de production sur le Vieux Continent : la souveraineté (désormais en haut des agendas politiques après la prise de conscience, notamment sous l’effet de la crise sanitaire, des fragilités inhérentes à l’interdépendance des régions du monde), la démographie chinoise (des centaines de millions de Chinois sortent du dispositif productif mondial, tandis que la compétitivité salariale diminue dans l’empire du Milieu) et la prise en compte de l’urgence climatique (beaucoup plus forte en Europe que sur les autres continents, ce qui induit une attitude plus protectionniste, avec la réduction de l’empreinte carbone découlant d’efforts d’investissements considérables et l’instauration d’une taxe carbone aux frontières).
« Marquées par les ruptures de chaînes logistiques, développe encore Raphaël Moreau, les deux dernières années donnent un aperçu sur des économies plus isolées les unes des autres. Les aciéristes, par exemple, affichent des rentabilités record. Les cas d’ArcelorMittal, Aperam et Bekaert illustrent bien comment les actifs industriels européens – qui, dans un contexte de mondialisation, étaient souvent des boulets pour la rentabilité de leurs propriétaires – peuvent devenir des actifs très rentables à l’heure où la priorité stratégique passe à une meilleure autonomie. » L’automatisation des chaînes de production et l’industrie 4.0 vont être des thèmes porteurs au fur et à mesure du rapatriement d’outils de production vers des zones aux salaires plus élevés et où la main-d’œuvre est insuffisante.
ML