Interview de Alistair Wittet, Gérant - Comgest
Quelles sont les principales caractéristiques de la SICAV Comgest Renaissance Europe ?Comgest Renaissance Europe est un fonds investi en actions européennes. Labélisé ESG LuxFLAG, il répond à une gestion de conviction, indépendante de tout indice de référence, le MSCI Europe. Pour construire le portefeuille, notre démarche de stock picking, basée sur l’analyse fondamentale des entreprises, nous permet d’identifier des sociétés de qualité dont la dynamique de croissance est estimée supérieure à 10 % par an. Dans la mesure où nous mettons l’accent sur la résilience des modèles économiques, nous nous positionnons sur la durée, l’idéal étant de détenir une valeur le plus longtemps possible. C’est par exemple le cas de L’Oréal, détenue depuis 1989.
Comment est structurée l’équipe de gestion ?Nous sommes quatre co-gérants pour piloter ce fonds : Laurent Dobler, Franz Weis, Pierre Lamelin, et moi-même. Chacun des membres de l’équipe d’investissement est à la fois analyste et gérant, l’idée étant d’implémenter les résultats de notre recherche dans le portefeuille. Nous sommes également tous actionnaires de Comgest. De ce statut d’associé, partagé par plus de 180 personnes au sein du Groupe Comgest, émane une culture d’entreprise qui encourage la réflexion à long terme et le travail collégial. Il implique aussi une vraie stabilité des effectifs sur la durée et, par conséquent, une fiabilité renforcée des travaux de recherche.
Quelle est votre philosophie d’investissement ?Elle repose sur une conviction forte : le cours de l’action d’une entreprise converge à long terme vers la croissance de ses bénéfices et ce sont précisément les entreprises de qualité, intégrant les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, qui sont les plus à même de conserver, voire de renforcer, leurs avantages concurrentiels. Chez Comgest, nous veillons à appliquer avec rigueur cette philosophie d’investissement simple depuis plus de 35 ans.
Quel est le profil du portefeuille ?Il s’agit d’un portefeuille concentré, qui est le reflet de nos convictions. Pour le construire, nous investissons dans un nombre limité d’entreprises – 36 au 31 août 2023 – qui bénéficient selon nous d’avantages concurrentiels durables. Nous nous appuyons sur deux notions centrales et complémentaires : la qualité et la croissance durable. La qualité de l’entreprise, ou plus précisément celle de son modèle économique, est ce qui lui permet de délivrer un bon niveau de croissance. Elle peut, pour cela, s’appuyer sur une franchise forte, des barrières à l’entrée élevées ou encore sur un bon niveau de pricing power, c’est-à-dire la capacité de pouvoir augmenter ses prix. Tous ces éléments protègent les entreprises de certains facteurs externes comme, notamment, l’évolution des taux d’inflation et de change. C’est ainsi, par exemple, que L’Oréal a pu récemment conserver une marge brute stable malgré la hausse notable des matières premières.
La stabilité est également un critère central dans votre démarche. Comment l’appréhendez-vous ?Elle se manifeste, pour les entreprises, au travers d’une vision stratégique à long terme, portée par une gouvernance qui s’inscrit dans le temps. C’est le cas pour les entreprises qui bénéficient d’un actionnariat stable. Celui-ci peut être familial, comme pour L’Oréal, ou encore prendre une autre forme, à l’instar de la fondation Novo Nordisk qui détient des intérêts dans le groupe du même nom. Cette continuité dans la gouvernance et la stratégie permet au management de s’inscrire dans la durée et, comme chez Dassault Systèmes, de déployer des plans stratégiques, à trois, cinq ou dix ans, qui permettent aux équipes d’appréhender pleinement le paysage concurrentiel et de se positionner.
Vous évoquez aussi la notion de croissance durable. Que recouvre-t-elle ?Elle prend plusieurs formes qui ont toutes pour point commun de permettre la génération d’une croissance organique du chiffre d’affaires, l’augmentation des marges étant par nature sujette à plafonner. On vise une croissance organique moyenne des valeurs du portefeuille entre 7 et 8 % par an. Celle-ci peut ensuite être complétée par d’autres sources de revenu ou de croissance, ce qui permettrait d’atteindre la moyenne de 10 % évoquée plus haut. Cette croissance est rendue possible par des investissements importants. Ainsi, Novo Nordisk consacre 13 % de son chiffre d’affaires en recherche et développement et L’Oréal en consacre 30 % à son poste advertising. L’objectif de ces firmes n’est pas d’optimiser leurs résultats à court terme au détriment du long terme mais d’investir ou réinvestir, le cas échéant, dans de nouvelles infrastructures, dans leurs outils de production, dans leurs marques et bien sûr dans l’innovation.
Quels sont les biais, sectoriels ou autres, observables dans votre portefeuille ?Nous évitons autant que possible les activités cycliques, ce qui implique que nous ne sommes par exemple pas présents sur les secteurs bancaires, miniers et pétroliers. A l’inverse, nous apprécions la récurrence importante du chiffre d’affaires de certains acteurs technologiques et du secteur du logiciel notamment. Nous sommes également présents sur le secteur de la santé et de la pharmacie et avons un biais important sur les franchises fortes avec des marques comme Hermès, LVMH, L’Oréal ou encore Ferrari.
Quelle place occupe l’ISR dans votre démarche ?L’ISR et les critères ESG ont été intégrés de longue date dans nos analyses. Dans le cadre d’une approche de long terme telle que la nôtre, nous considérons qu’il s’agit d’un impératif de gestion. Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance ne peuvent bien évidemment pas être mis de côté lorsqu’on parle de croissance durable. On l’a ainsi vu dans l’industrie textile : si la chaine de valeur intègre un mauvais traitement du personnel ou des sous-traitants, cela porte immanquablement atteinte à l’entreprise sur le long terme. Avec la transition climatique, l’environnement est quant à lui passé de sujet écologique à sujet économique avec, progressivement, l’intégration des crédits carbone dans l’équation économique.
A ce sujet, compte tenu des secteurs – non cycliques – qui y sont majoritairement représentés, le portefeuille présente naturellement une empreinte carbone bien plus faible – 24 contre 72 – que son indice de référence le MSCI Europe au 30 juin 2023*. Enfin, comme évoqué, nous sommes attentifs à la gouvernance et, notamment, à son impact sur les actionnaires minoritaires. Intégrer de tels facteurs de risque dans notre démarche d’investissement est essentiel, c’est pourquoi nous instaurons systématiquement une relation solide avec les dirigeants des sociétés cibles. Nous pouvons ainsi les sensibiliser aux meilleures pratiques responsables, mais aussi plus aisément faire porter notre voix d’actionnaire.
Thierry Bisaga