Article extrait du mémento « Droit de la famille 2024-2025 » paru aux éditions Francis Lefebvre
La société civile est un outil privilégié pour gérer et transmettre le patrimoine familial, qu’il soit principalement composé de biens immobiliers ou de titres en portefeuille.
La création d’une société civile de famille peut être envisagée à tout moment, dès lors que deux personnes au moins partagent des objectifs communs (conjoints, partenaires de Pacs, concubins, frères et sœurs, parents, enfants, petits-enfants, etc.).
Dotée d’une existence juridique distincte de celle de ses associés, la société possède un patrimoine qui lui est propre. Lorsque la société civile est constituée pour détenir un ou plusieurs immeubles, il s’agit d’une société civile immobilière (SCI) ; lorsque son patrimoine est composé de titres et valeurs mobilières, il s’agit d’une société civile (SC) de portefeuille.
Fréquemment conseillée pour éviter les blocages de l’indivision, la société civile peut également se révéler particulièrement intéressante pour transmettre le patrimoine familial à ses enfants ou petits-enfants.
Transmission anticipée du patrimoine familialLa détention d’un patrimoine, notamment immobilier, à travers une société civile permet, en de nombreuses circonstances, d’optimiser la transmission de ce patrimoine, du vivant des ascendants, à leurs descendants. Dans ce schéma, ce sont les parts de la société qui font l’objet d’une donation des parents à leurs enfants et/ou petits-enfants.
Optimisation patrimoniale Transmettre en conservant la gestionLa constitution d’une société civile présente un intérêt particulier pour des parents qui souhaitent, de leur vivant, transmettre une partie de leur patrimoine à leurs enfants, tout en continuant à gérer eux-mêmes ce patrimoine. La société se présente alors comme un moyen de dissocier habilement la propriété du patrimoine du pouvoir de le gérer.
S’il s’agit d’un patrimoine immobilier, les parents constituent une SCI à laquelle ils apportent leurs immeubles, puis donnent à leurs enfants des parts de la SCI. Les parents, ou l’un d’eux, sont nommés gérants de la société, les enfants n’ayant de droit de regard sur la gestion que dans le cadre de leurs prérogatives d’associés.
Transmettre en conservant les revenusOutre le pouvoir de gestion, les parents souhaitent fréquemment conserver les revenus du patrimoine transmis à leurs enfants, de façon à s’assurer un certain niveau de ressources leur vie durant. La création d’une société civile peut alors être avantageusement combinée avec la technique du démembrement de propriété. Deux schémas sont envisageables. Dans un premier schéma, les parents apportent la nue-propriété de tout ou partie de leur patrimoine immobilier à une SCI constituée avec leurs enfants, en se réservant l’usufruit des immeubles. Dès lors, ils ont seuls droit aux revenus des immeubles (les loyers), même s’ils transmettent, par donation, la totalité des parts de la société à leurs enfants.
Dans un deuxième schéma, les parents apportent à la SCI qu’ils ont constituée la propriété de leurs immeubles, puis donnent à leurs enfants la nue-propriété des parts sociales. Ce schéma offre une grande souplesse d’adaptation : les parents peuvent en effet, selon leurs souhaits, aménager largement dans les statuts les pouvoirs et droits respectifs des usufruitiers et des nus-propriétaires des parts sociales et ainsi s’assurer une totale maîtrise de la gestion et des revenus de la société.
Associer progressivement les enfantsDe façon générale, la création d’une société civile permet, si tel est le souhait des parents, d’associer progressivement leurs enfants à la gestion du patrimoine familial, en profitant de la souplesse qu’offre le cadre de la société (pour la nomination du gérant, la définition et la limitation de ses pouvoirs, la définition des pouvoirs de l’assemblée des associés, etc.).
Aspects fiscauxLa mise en société du patrimoine offre deux avantages principaux au regard des droits de donation : elle permet de pratiquer une décote sur la valeur du patrimoine transmis et de profiter à plein des abattements en étalant la transmission dans le temps.
Transmettre des parts avec décoteLe simple fait qu’un patrimoine, notamment immobilier, soit détenu à travers une société permet d’opérer une décote sur la valeur de ce patrimoine. La valeur vénale des parts est, en effet, toujours inférieure à la valeur vénale des biens détenus par la société ramenée au nombre de parts. Pour des sociétés à caractère familial, une décote d’au minimum 10 % peut généralement être pratiquée pour tenir compte de l’absence de marché et de l’existence de clauses d’agrément limitant la liberté de cession. Une décote supérieure peut être envisagée pour prendre en compte le caractère minoritaire d’une participation dans la société (Cass. com., 6 mai 2003, n° 01-13.118 F-D : RJF 8-9/03 n° 1056, ayant admis une décote de 15 % ; Cass. com., 23 novembre 2010, n° 09-17.295 : RJF 3/11 n° 382, ayant admis une décote de 20 %).
La décote sur la valeur du patrimoine joue également en matière de droits de succession et d’IFI pour déterminer la valeur des parts de la société.
Profiter des abattementsLa transmission des parts de la société civile par donations réalisées tous les quinze ans permet de profiter au mieux des abattements prévus en faveur des donations aux enfants et petits-enfants. Il est en effet plus facile de respecter les plafonds d’abattements (100 000 euros par enfant et 31 865 euros pour chacun des petits-enfants) lorsque les biens transmis sont des parts de société que lorsqu’il s’agit d’un patrimoine immobilier, par nature difficilement divisible.
Exemple : M. Lepère, veuf, souhaite transmettre à ses deux enfants, en février 2024, un appartement qu’il possède à Paris, évalué à 400 000 euros. S’il donne directement l’appartement, chaque enfant se voit attribuer la moitié de la valeur du bien, soit 200 000 euros. Sur ces 200 000 euros, un abattement de 100 000 euros est pratiqué, ramenant la base taxable à 100 000 euros par enfant. Supposons maintenant qu’une SCI a été constituée pour détenir l’immeuble. Par hypothèse, la société n’a pas d’autre actif et n’a aucun passif. La valeur de chaque part sociale, en admettant que le capital soit divisé en trois cents parts et en retenant une décote de 10 % par rapport à la valeur de l’immeuble, est de 1 200 euros (400 000 €/300 × 90/100). Dans ce cas, M. Lepère peut décider de donner quatre-vingt-trois parts à chacun de ses enfants dans un premier temps et de ne leur transmettre le solde que plus tard. La donation des quatre-vingt-trois parts par enfant sera évaluée à 99 600 euros (83 × 1 200 €). La base taxable est ramenée à zéro par le jeu de l’abattement. Quinze ans plus tard, la donation des cent-trente-quatre parts sociales restantes (soit soixante-sept parts par enfant) se fera de nouveau en franchise fiscale, par le jeu de l’abattement.
Transmission successorale du patrimoine familial Principaux avantages de la création d’une société civileLa création d’une société civile pour la détention d’un patrimoine, notamment immobilier, permet d’assurer la préservation de l’unité du patrimoine familial, par rapport aux risques que ferait courir une indivision entre héritiers. Elle facilite le partage, dans la mesure où il est évidemment plus facile de partager des parts de société qu’un immeuble, ou même plusieurs immeubles de valeur souvent inégale.
La création d’une société civile présente également plusieurs avantages en matière de droits de succession :
– elle permet de diminuer la valeur taxable des biens transmis par le jeu d’une décote ;
– elle permet d’éviter la présomption de propriété de l’usufruitier ;
– elle permet de préserver le différé de paiement des droits de succession.
Attention cependant : lorsque la société est constituée avec de futurs héritiers, la rédaction des statuts par acte notarié est fortement conseillée pour écarter toute suspicion de libéralité chez les autres héritiers. Tel pourrait être le cas, par exemple, lorsqu’une société est constituée entre des parents et certains seulement de leurs enfants. En effet, si cet avantage était prouvé, les bénéfices retirés par l’héritier de son association avec le défunt seraient considérés comme une donation indirecte faite du vivant du donateur ; ils devraient alors être rapportés à la masse successorale et pris en compte pour la détermination de la part revenant à chaque héritier. En revanche, en cas d’intervention d’un notaire, si l’acte constate un avantage au profit des futurs héritiers, cet avantage n’aura pas à être rapporté lors de l’ouverture de la succession (C. civ. article 854).
Eviter la présomption de propriété de l’usufruitierL’interposition d’une société civile permet d’écarter la présomption de propriété de l’usufruitier prévue, en matière de droits de succession, pour éviter certains abus liés à un démembrement de propriété.
En principe, la réunion de l’usufruit à la nue-propriété par décès de l’usufruitier n’emporte aucun droit de succession (CGI art. 1133).
Pour éviter les abus, la loi prévoit que, lorsque la nue-propriété est détenue par l’un des héritiers présomptifs de l’usufruitier (ses enfants notamment), l’usufruitier peut être considéré, sur le plan fiscal, comme ayant conservé la pleine propriété du bien ayant fait l’objet du démembrement (CGI art. 751).
Cette présomption de propriété de l’usufruitier ne s’applique pas lorsque la nue-propriété du bien appartient à une société civile, même lorsque les parts sont détenues par un héritier présomptif de l’usufruitier.
Cette solution vise non seulement le cas où la nue-propriété a été apportée à la société, l’apporteur se réservant l’usufruit, mais aussi celui où le bien a été acquis pour l’usufruit par les parents et en nue-propriété par une société civile constituée entre les enfants (BOI-ENR-DMTG-10-10-40-10 n° 250).
L’administration se réserve cependant le droit de mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit, selon les circonstances particulières de chaque affaire.
Préserver le différé de paiement des droits de successionTout héritier qui reçoit des biens en nue-propriété peut demander que le paiement des droits afférents à cette nue-propriété soit différé (Code général des impôts, annexe III, articles 397 et 404 B). Le paiement devient exigible, notamment à l’issue d’un délai de six mois à compter de la cession de cette nue-propriété.
La transmission d’un patrimoine à travers les parts d’une société civile peut faciliter le maintien du différé de paiement des droits de succession éventuellement obtenu.
Dans le cas d’un immeuble reçu en nue-propriété lors de la succession, l’héritier perd le bénéfice du différé de paiement des droits si l’immeuble est vendu avant le décès de l’usufruitier : dans les six mois de la vente, il devra payer les droits en suspens.
En revanche, s’il a hérité de la nue-propriété des parts de la société qui détient l’immeuble, il ne deviendra imposable que s’il cède ses droits sur les parts : si c’est la société qui cède l’immeuble, l’héritier qui conserve la nue-propriété de ses parts n’est pas déchu du différé de paiement obtenu.
Dans le cas d’un portefeuille de valeurs mobilières transmis en nue-propriété par voie de succession, l’administration admet que les héritiers nus-propriétaires du portefeuille puissent continuer à bénéficier du crédit de paiement différé des droits de succession si l’usufruitier procède à des cessions, mais à condition que l’intégralité du produit des cessions serve à l’acquisition de nouvelles valeurs dans le cadre du portefeuille (BOI-ENR-DG-50-20-30 n° 260). Pour justifier de ce réinvestissement, le nu-propriétaire peut adresser une fois par an à l’administration les relevés mensuels du portefeuille.
Le problème ne se pose pas lorsque le portefeuille appartient à une société civile. Dans ce cas, en effet, ce sont les parts de la société qui sont transmises et démembrées par succession. L’attributaire de la nue-propriété bénéficiera du paiement différé au titre de la transmission de ces parts. Le portefeuille appartenant à la société civile pourra dès lors faire l’objet de cessions (totales ou partielles) sans remettre en cause le différé de paiement des droits de mutation des nus-propriétaires, à la seule condition que les parts de la société civile ne soient pas cédées du vivant de l’usufruitier.