Comment abandonner les énergies fossiles tout en restant exposé aux sociétés pétrolières et gazières ? Voilà tout le dilemme des investisseurs. Cette contradiction est l’un des principaux résultats de l’Enquête mondiale sur le climat de Robeco, qui évoque les conséquences de la crise énergétique déclenchée en 2022.
Augmentation des allocations au pétrole et au gaz pour éviter la sous-performance des indices
Poursuite des désinvestissements, tandis que le développement des énergies renouvelables convainc de plus en plus
Poursuite des campagnes en faveur de la décarbonation et augmentation du recours au dialogue actionnarial (engagement)
L’un des rares bénéficiaires de la guerre en Ukraine a été le secteur de l’énergie, les prix du pétrole et du gaz ayant atteint des niveaux record l’année dernière. Et dans la mesure où l’énergie représente 5 % des deux indices les plus suivis (le MSCI World et le S&P 500), éviter les géants fossiles aurait provoqué une sous-performance des portefeuilles d’actions en 2022. Les gérants d’actifs ont été ensuite contraints de conserver, voire d’accroître, leurs participations dans ces géants, de peur de ne pas honorer leur obligation fiduciaire de générer des rendements pour leurs clients, tout en s’efforçant d’honorer leurs engagements à atteindre zéro émission nette de carbone d’ici à 2050. La bonne nouvelle est que la crise ukrainienne a renforcé la conviction des investisseurs que les énergies renouvelables, en particulier le solaire et l’hydrogène vert, peuvent mettre fin à la consommation d’énergies fossiles et aux émissions qu’elles produisent, tout en améliorant la sécurité énergétique, en réduisant la dépendance au gaz russe. À plus long terme, l’engagement à décarboner les portefeuilles reste intact et soutenu par une utilisation accrue des techniques d’actionnariat actif telles que le dialogue actionnarial pour encourager les sociétés pétrolières et gazières à passer aux renouvelables.
« La crise énergétique de 2022 a révélé de manière très concrète une chose que nous savions déjà : la route vers la neutralité carbone est sinueuse, chaotique et disruptive », commente Lucian Peppelenbos, stratégiste climat et biodiversité chez Robeco.
Une route chaotique et disruptive
« La crise énergétique de 2022 a révélé de manière très concrète une chose que nous savions déjà : la route vers la neutralité carbone est sinueuse, chaotique et disruptive », commente Lucian Peppelenbos, stratégiste climat et biodiversité chez Robeco. « Combinée à la reprise post-Covid-19 et à d’autres facteurs, la hausse des prix de l’énergie a déclenché une crise du coût de la vie qu’il faudra gérer avec précaution pour conserver le soutien populaire à la transition verte. Cela a clairement montré que l’on ne peut pas sortir progressivement des énergies fossiles sans en diminuer la demande. Il est nécessaire de trouver le bon équilibre entre les mesures favorisant l’offre et la demande pour assurer une transition vers la décarbonation qui évitera des pressions inflationnistes et des pénuries trop importantes. »
La peur de passer à côté de quelque chose…
La flambée des prix de l’énergie en 2022 a conduit 38 % des investisseurs européens à admettre qu’à court terme, ils augmentent en réalité leurs allocations aux sociétés pétrolières et gazières afin d’éviter de sous-performer. Ce chiffre atteint 48 % en Amérique du Nord et 59 % dans la région Asie-Pacifique. L’exposition accrue aux énergies fossiles est cependant considérée comme temporaire, le temps que la crise énergétique se termine.
À la suite des événements récents, seuls 30 % des 300 investisseurs mondiaux interrogés ont accéléré leurs efforts de décarbonation des portefeuilles, en partie pour éviter des coûts énergétiques plus élevés, tandis que 25 % les ont mis en pause ou réduits. Près de la moitié des investisseurs déclarent avoir révisé certaines de leurs approches en matière d’ESG afin de ne pas sous-performer à court terme. Cependant, ils ont le sentiment qu’ils devraient davantage utiliser leur statut d’actionnaire pour faire évoluer les modèles économiques. Environ 40 % ont augmenté leurs actions d’engagement auprès des sociétés pétrolières et gazières pour les inciter à passer aux énergies renouvelables, bien que 29 % admettent s’être trouvés moins réactifs en raison des bons profits qu’ils généraient et de leur besoin accru de sécurité énergétique.
… mais les désinvestissements se poursuivent
La tendance sous-jacente reste que les niveaux moyens de désinvestissement des actifs à forte intensité carbone ont augmenté, conformément aux promesses de décarbonation. Les investisseurs institutionnels ont en moyenne abandonné 13 % de leurs actifs très carbonés au cours des 12 derniers mois, tandis que les investisseurs wholesale qui utilisent des portefeuilles modèles classiques ont désinvesti à hauteur de 27 % en moyenne. Ces deux chiffres représentent une hausse de respectivement 7 % et 8 % en 2022, peut-être dans un but de rattrapage en matière de réduction des expositions au charbon thermique. Il est essentiel de savoir quelles sociétés sont dans un processus de transition crédible pour identifier les opportunités d’investissement, les possibilités de dialogue actionnarial et les décisions de désinvestissement. Pour autant, seuls 27 % des investisseurs indiquent avoir obtenu une vue prospective de la trajectoire d’émissions suivie par les entreprises dans lesquelles ils investissent. Ces indicateurs prospectifs deviendront plus importants durant la transition énergétique, car ils donnent une image plus précise de l’offre d’énergies fossiles, mais aussi de la demande dans des secteurs tels que l’industrie lourde, le transport et la construction. La plus forte augmentation des désinvestissements du pétrole et du gaz devrait provenir des investisseurs qui sont dans la démarche d’engagement en faveur des objectifs de zéro émission nette, et passer de 14 % d’investisseurs qui désinvestissent déjà à 39 % qui prévoient de le faire dans les deux années à venir. Dans ce dernier groupe, plus d’un quart devraient également devenir des actionnaires actifs des entreprises pétrolières et gazières, en utilisant l’engagement comme une carotte pour mettre fin aux énergies fossiles.
Les investisseurs n’ayant pas de feuille de route pour la décarbonation sont les plus susceptibles de continuer à investir dans les sociétés pétrolières et gazières, tant qu’elles fourniront de bonnes performances. Mais pour les deux prochaines années, de plus en plus d’investisseurs affirment qu’ils adopteront une approche prudente dans ce secteur et qu’ils deviendront des actionnaires actifs afin d’encourager l’abandon des énergies fossiles en faveur des énergies renouvelables.
Le solaire toujours en tête
Environ 51 % des investisseurs mondiaux ont indiqué que la guerre en Ukraine a renforcé l’importance d’abandonner les énergies fossiles au profit des énergies renouvelables. Cette conviction est plus forte en Europe (54 %) et dans la région APAC (60 %). Le solaire reste la source d’énergie renouvelable préférée pour deux tiers des investisseurs dans le monde, suivi de l’hydrogène vert, de l’énergie hydroélectrique traditionnelle et de l’éolien. L’hydrogène vert, qui consiste à créer de l’énergie par électrolyse à partir d’électricité renouvelable, est en particulier considéré comme une solution de long terme pour le transport lourd, notamment le fret routier et le transport maritime. Le nucléaire reste populaire pour la moitié des investisseurs et l’intérêt pour la biomasse a augmenté. Les investisseurs cherchent également à investir dans les réseaux d’énergie, les systèmes de stockage et l’efficacité plutôt que dans la production d’énergie, révèle l’enquête. Dans le secteur de la distribution, davantage d’investisseurs identifient des opportunités dans la distribution de gaz naturel : 69 % en Amérique du Nord, où la production devrait atteindre des niveaux record en 2023, et 66 % en Asie-Pacifique, où la croissance de la demande devrait être la plus forte dans les deux prochaines décennies. En Europe, seuls 46 % des investisseurs considèrent ce domaine comme une source importante d’opportunités d’investissement.
Scope 1, 2 et 3
Dans le même temps, parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050 nécessite de décarboner les portefeuilles d’environ 7 % par an en réduisant les émissions de Scope 1, 2 et 3. Les émissions de Scope 1 sont générées par les entreprises, celles de Scope 2 sont liées à l’énergie utilisée pour fabriquer un produit et celles de Scope 3 sont relatives à tout le cycle de vie du produit (gaz d’échappement d’une voiture par exemple). Ces dernières sont beaucoup plus difficiles à mesurer. Alors que toutes les industries génèrent des émissions de Scope 1 et 2, le secteur de l’énergie est responsable d’une part significativement élevée des émissions de Scope 3. Celles-ci proviennent essentiellement des appareils à gaz domestiques et du transport à essence. Une chaudière domestique à gaz ou une voiture, par exemple, génère des émissions de Scope 3 pendant des décennies. L’électrification des appareils et des voitures est considérée comme la solution à long terme. De nombreux investisseurs ont à présent réalisé un bilan carbone et une évaluation de l’empreinte de leurs portefeuilles. Environ 57 % des investisseurs européens le font pour les émissions de Scope 1 et 52 % pour celles de Scope 2, contre respectivement 46 % et 33 % en Amérique du Nord. Seuls 20 % des investisseurs dans le monde mesurent les émissions de Scope 3, pourtant plus importante. L’accès aux données relatives au Scope 3 reste difficile en raison de leur complexité et de la non-obligation de les publier. Mais l’International Sustainability Standards Board (ISSB) a annoncé son intention de rendre obligatoire la publication des émissions de Scope 3 dans sa nouvelle directive prévue en 2023.
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