Par Stéphane Jacquin, Associé-Gérant, Responsable de l’ingénierie patrimoniale de Lazard Frères Gestion
L’article 843 du Code civil prévoit que tout héritier venant à une succession doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt. Cette règle du rapport à succession s’applique aux dons manuels. Elle est destinée à assurer l’égalité entre les héritiers. L’article 852 du Code civil prévoit, au contraire, que les présents d’usage ne doivent pas être rapportés.
La distinction entre don manuel et présent d’usage est donc importante au plan civil puisque le premier sera rapportable à la succession de celui qui le consent alors que le second ne le sera pas.
La distinction est également importante au plan fiscal puisqu’un don manuel sera taxable aux droits de mutation à titre gratuit sur le fondement des articles 757 et 784 du Code Général des Impôts alors qu’un présent d’usage ne le sera pas.
Dès lors, il convient de s’interroger sur la frontière entre l’un et l’autre. En deçà de quel montant la remise d’une somme d’argent à un enfant constitue-t-elle un cadeau et non un don manuel ? Y a-t-il une valeur maximale à ne pas dépasser pour que la remise d’un objet (bijoux, voiture, œuvre d’art) puisse être considérée comme un cadeau et non comme un don manuel ?
Avant de rechercher s’il existe une frontière en termes de montant entre présent d’usage et don manuel, il convient de souligner que pour qu’il y ait présent d’usage il faut que le don soit fait à l’occasion d’un évènement où il est usuel de faire un cadeau (anniversaire, Noël, mariage, réussite à un examen...). Un don qui intervient hors d’un évènement particulier ne peut être qualifié de présent d’usage.
Ce principe est rappelé dans un arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de cassation en date du 25 septembre 2013. Dans cette affaire, la Cour de cassation a censuré une Cour d’Appel qui avait qualifié un don de présent d’usage sans préciser à l’occasion de quel évènement et selon quel usage il avait été fait.
S’agissant du montant du présent d’usage, de sa valeur, l’article 852 du Code civil précise que « le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant ».
En premier lieu, il résulte de l’article 852 du Code civil que c’est à la date où le cadeau est fait qu’il y a lieu d’apprécier sa valeur et non ultérieurement.
Ce principe a été rappelé par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 10 mai 1995. Dans cette affaire, la Cour de cassation a confirmé un arrêt d’appel qui avait considéré que la remise par un père à sa fille de 8 aquarelles d’une valeur globale de 70 000 francs (11 000 € environ) à l’occasion du mariage de cette dernière en 1975 constituait, compte tenu de la fortune du père et de leur valeur à cette date, un présent d’usage quand bien même sept des huit aquarelles avaient été vendues par la fille, 10 ans après son mariage, pour un prix de 5 620 000 francs (860 000 € environ).
En second lieu, il résulte de l’article 852 du Code civil que pour apprécier s’il y a présent d’usage ou don manuel, il convient de tenir compte de la fortune de celui qui fait le cadeau.
Le principe posé par le Code civil est donc que plus une personne est fortunée, plus elle peut faire des cadeaux importants sans s’appauvrir et donc sans que cela constitue un don manuel. Soulignons en effet que si un présent d’usage n’est pas rapportable à la succession de son auteur, c’est parce qu’il ne constitue pas une libéralité, c’est-à-dire qu’il n’entraîne pas de dépouillement de son auteur.
En se fondant sur le principe de proportionnalité posé par l’article 852 du Code civil, la Cour d’Appel de Paris, dans un arrêt du 11 avril 2002, a considéré que des chèques de 100 000 francs (15 000 € environ) remis par une mère à chacun de ses deux fils à l’occasion des fêtes de Noël pour eux et pour leur famille respective constituait des présents d’usage compte tenu de sa fortune. Dans cette même affaire, en première instance, les juges du Tribunal de Grande Instance de Paris avaient considéré que les chèques remis par la mère à chacun de ses fils pouvaient être considérés comme des présents d’usage à concurrence de 30 000 francs (4 500 € environ) mais devaient être regardés comme des dons manuels pour le surplus.
Malheureusement, l’examen de différentes jurisprudences rendues à l’occasion de contentieux entre héritiers ou avec l’administration fiscale ne permet pas d’établir une règle de proportionnalité par rapport aux revenus ou à la fortune du donateur. Dans l’affaire précitée, les chèques remis par la mère à ses fils représentaient 2,4 % de son patrimoine. Cela a paru excessif aux juges de première instance mais pas à ceux de la Cour d’Appel.
L’administration fiscale ne fixe pas davantage de principes de proportionnalité. Elle indique au contraire dans sa doctrine que « la qualification de présent d’usage pour un cadeau consenti résulte (...) d’un examen des circonstances concrètes de chaque affaire, incompatible avec l’application de critères normatifs préétablis » (décision de rescrit du 3 avril 2013).
Au surplus, il semble résulter de la jurisprudence de la Cour de cassation que la proportionnalité entre les revenus et la fortune de celui qui fait le cadeau et la valeur de celui-ci ne soit pas sans limite. En effet, dans un arrêt du 6 décembre 1988, la 1re chambre civile de la Cour de cassation retient que les présents d’usage sont des cadeaux « n’excédant pas une certaine valeur » sans faire référence à la situation patrimoniale de l’auteur du don litigieux.
Au total, il apparaît donc qu’il n’est pas possible d’ériger une frontière claire entre présent d’usage et don manuel. En cas de contentieux, c’est au juge qu’il appartient d’apprécier si le cadeau fait à l’occasion d’un évènement particulier constituait un présent d’usage ou si au contraire, compte tenu de son importance, il a généré un appauvrissement du donateur et doit être qualifié de don manuel.