Pierre Schang, analyste-gérant chez Tocqueville Finance, présente dans une tribune les catalyseurs qui pourraient permettre à la France de redevenir un leader.
En rupture avec le complexe d’infériorité qui caractérise souvent les constats liés à notre économie, Pierre Shang, analyste-gérant chez Tocqueville Finance – filiale de LBP AM – a cherché ce qui pourrait déclencher une remontada de la France dans le paysage international. Il évoque l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Canada qui, par des réformes structurelles, sont redevenus compétitifs.
De douloureuses remises en cause
« France is back ! » L’expression est-elle à nouveau simplement incantatoire ou traduit-elle un mouvement qui a commencé à s’inscrire dans le réel ? Si beaucoup semblent ne plus y croire, l’histoire enseigne qu’un retournement économique d’envergure est possible pour un pays comme la France, à l’instar des exemples allemand sous Gerard Schröder, anglais sous Margaret Thatcher ou canadien sous Jean Chrétien. « Ces trois cas, indique le professionnel, ont en commun plusieurs facteurs qui expliquent en partie leur redressement : la mise en œuvre de réformes internes structurelles, le bénéfice d’un environnement macroéconomique favorable et une influence politique croissante. »
Entre 2003 et 2005, le chancelier Schröder a porté la réforme la plus importante de l’économie moderne allemande avec la modernisation du marché du travail : réforme du service public de l’emploi, création de « mini jobs » exonérés de toute charge, fusion de l’allocation chômage longue durée avec l’aide sociale, durée du versement des indemnités de chômage réduite de 12 mois. « Socialement douloureux et controversé, souligne l’auteur de la tribune, ce paquet de lois et aussi considéré comme la clé du miracle allemand qui a propulsé le pays au rang de locomotive économique de l’Europe. »
Outre-Manche, la libéralisation « à marche forcée » des années 80, à travers un vaste programme de privatisations, une réforme du travail et un « big bang » de la finance, a relancé l’économie britannique. « Sans occulter d’indélébiles cicatrices sociales et le creusement des disparités causés par ces rugueux bouleversements, nuance Pierre Schang, leurs effets économiques ont surtout été visibles ultérieurement, entre les années 90 et 2000. Avec près de 3 % de croissance annuelle du PIB entre 1997 et 2006, soutenue par une productivité retrouvée. »
Au Canada, c’est un ensemble de réformes de l’Etat qui est engagé à partir de 1993. L’enjeu est alors d’assainir les finances publiques. « Cela passe, rappelle l’analyste-gérant de Tocqueville Finance, par une coupe drastique du nombre de fonctionnaires et du budget des différents ministères, avec une réflexion systématique sur l’intérêt public des dépenses, le rôle de l’Etat et la possibilité de transfert de compétences via des partenariats publics-privés. » Résultat : dès 1997, le déficit budgétaire disparaît au bénéfice d’excédents annuels jusqu’en 2008 et la dette publique passe de 70 % à moins de 30 % du PIB entre 1994 et 2008. Le Canada efface la récession de 1991 par 17 années de croissance, avec un pic à près de 6 % par an au tournant des années 2000.
Un choc fiscal inédit
En ce qui concerne la France, ce type de retournement observé ailleurs dans le passé semble être en maturation. « Pour les réformes internes, précise Pierre Schang, nous avons choisi d’alléger les impôts sur les sociétés de 33 % à 25 %, du supprimer la taxe d’habitation, de réduire la CVAE [cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) et d’instaurer le CICE [crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, converti ensuite en allégement de cotisations sociales]… Il s’agit bel et bien d’un choc fiscal inédit, toujours en cours, dont la compétitivité pourrait récolter les fruits au cours des prochaines années. »
Plus globalement, l’évolution des économies émergentes vers des modèles de consommation domestique soutenus par des classes moyennes en forte croissance, une moindre coopération multilatérale au niveau mondial et la prise de conscience quant à la nécessité de décarboner l’économie sont des tendances de plus en plus favorables aux expertises françaises : biens de luxe, loisirs (nautisme, tourisme, ski, gastronomie, événementiel, hôtellerie, mode, design…), art de vivre, défense, aéronautique, nucléaire… « Ne mésestimons pas les forces de notre économie, insiste le professionnel. Notre territoire est attractif pour les investisseurs étrangers. » L’exercice écoulé s’est révélé très dynamique en la matière, avec 1.259 projets d’investissement créateurs d’emplois (+ 3 % en un an), représentant près de 38.000 emplois.
Enfin, la nécessité pour l’Allemagne de réinventer son modèle (notamment sur les sujets de défense, d’énergie, de protectionnisme et d’environnement) fragilise sa position et son influence politique au sein de l’Union européenne. « La France, conclut Pierre Schang, a une importante carte à jouer pour reprendre le leadership continental et influencer davantage la contribution européenne en sa faveur et celle des pays qui lui ressemblent. Si la voie de la transformation est encore longue et semée d’embûches, il n’en reste pas moins qu’elle s’est déjà engagée sur sa trajectoire. »
ML