Par Apinaja Uthayakumar, ingénieure juridique et patrimonial chez Eres
La loi sur le partage de la valeur vise à renforcer la justice sociale dans les entreprises françaises en favorisant une meilleure redistribution des bénéfices aux salariés. Entrée en vigueur le 29 novembre 2023, elle établit de nouvelles règles pour les entreprises, notamment celles de petites et moyennes tailles, afin d’encourager la mise en place de dispositifs comme l’intéressement, la participation, l’abondement ou la prime de partage de la valeur (PPV).
Cette réforme traduit une volonté politique claire : stimuler le partage de la valeur en impliquant davantage les salariés dans la réussite collective, tout en assurant une meilleure répartition des richesses générées par l’entreprise.
Evolutions récentes du partage de la valeur dans les entreprises Partage obligatoire de la valeur dans les entreprises d’au moins 11 salariésA partir du 1er janvier 2025, les entreprises comptant au moins onze salariés (sur la moyenne du nombre de personnes employées au cours de chacun des mois de l’année civile précédente) et jusqu’à quarante-neuf salariés, seront tenues de mettre en place un dispositif de partage des profits. L’objectif étant d’associer davantage les salariés à la réussite économique de l’entreprise. Ce partage pourra se faire sous la forme d’un versement d’une prime de participation, d’une prime d’intéressement, d’une prime de partage de la valeur ou d’un abondement dans un plan d’épargne salariale. Cette obligation s’appliquera uniquement aux entreprises ayant une certaine rentabilité financière. Sont ainsi concernées celles qui réalisent un bénéfice net fiscal (calculé selon les règles de la participation légale) au moins égal à 1 % du chiffre d’affaires pendant trois années consécutives.
Cette loi marque une avancée significative car jusqu’à présent, le partage de la valeur n’était obligatoire que pour les entreprises de plus de cinquante salariés via la participation obligatoire. Cette expérimentation, prévue sur cinq ans, offrira une double opportunité : permettre aux entreprises de onze à quarante-neuf salariés de mesurer l’impact de ces dispositifs sur leurs collaborateurs, et donner aux pouvoirs publics un levier pour pérenniser ces mécanismes au sein des petites structures.
Participation avec formule de calcul dérogatoire : une innovation expérimentale
Depuis le 29 novembre 2023, les entreprises de moins de cinquante salariés ont la possibilité de conclure un accord de participation prévoyant une formule de calcul dérogatoire inférieure à la formule légale. Autrement dit, cela signifie qu’il est désormais possible de distribuer des montants de participation supérieurs ou inférieurs à ceux calculés selon la formule légale traditionnelle.
La véritable nouveauté réside dans la levée de la règle d’équivalence des avantages à la formule légale qui était jusqu’alors obligatoire. Cet assouplissement est essentiel pour les petites structures, souvent contraintes par une faible marge de manœuvre financière. Il permet de mieux calibrer la participation en fonction de leurs capacités réelles pour récompenser et motiver les collaborateurs sans risquer de mettre en péril l’équilibre économique de l’entreprise.
Une entreprise pourra désormais se fonder sur une formule de calcul reposant sur un pourcentage du bénéfice net, du résultat courant avant impôts, du résultat d’exploitation ou de l’excédent brut d’exploitation de l’entreprise.
Ce dispositif pouvant avoir un résultat inférieur à la formule légale, il doit obligatoirement faire l’objet d’un accord négocié avec les salariés ou leurs représentants. La mise en place unilatérale, y compris en cas d’échec des négociations, n’est pas possible.
Cette nouveauté est un dispositif expérimental pour une durée de cinq ans, avec l’objectif d’inciter les plus petites entreprises à mettre en place un dispositif de participation en le rendant moins contraignant que pour les plus grandes. Cela permettra également de mesurer son impact sur l’attractivité des petites entreprises. A l’issue de cette expérimentation, le législateur pourra décider de pérenniser cette mesure dans le cas où ce mécanisme est bien accueilli par le public concerné.
Evolutions des dispositifs d’intéressement et de participation
Des mesures visant à encourager une répartition plus équitable des bénéfices tout en s’adaptant aux réalités financières des entreprises ont été précisées et rendues applicables dès la publication de la loi.
Bien que déjà possible pour l’intéressement, la loi a désormais consacré la possibilité pour les entreprises de verser des avances périodiques sur les primes d’intéressement et les primes de participation.
Des planchers et plafonds de rémunération peuvent être fixés pour le calcul de la répartition en proportion de la rémunération de la prime d’intéressement afin de réduire les écarts de primes entre les salariés. A noter que pour la participation, la loi prévoit un plafonnement obligatoire des rémunérations à trois Pass, soit environ 139 000 euros pour 2024. Il est également possible d’instaurer un salaire plancher.
Plans d’épargne et transition énergétique
Depuis la publication du décret d’application du 30 juin 2024 relatif à la transposition de la loi partage de la valeur, les règlements des plans d’épargne (PEE, PERECO) doivent obligatoirement inclure au moins un fonds labellisé répondant à des critères d’investissement socialement responsable (ISR) ou de transition écologique.
Les labels pouvant être utilisés sont les suivants : CIES, ISR, Finansol, Relance, France Finance Verte (GreenFin). Le projet de loi initial prévoyait l’ajout de deux fonds. On peut regretter cette avancée un peu timide pour l’instant.
Ces dispositions illustrent l’engagement du législateur à promouvoir des comportements responsables, tant pour les entreprises que pour les salariés.
Nouveaux cas de déblocage anticipé des fonds
Le Conseil d’Etat, par décret en date du 6 juillet 2024, a précisé les modalités de trois nouveaux cas de déblocage anticipé des avoirs détenus dans un PEE. Les plans d’épargne-retraite (PER) ne sont pas concernés.
L’épargne peut donc désormais être débloquée avant l’échéance des cinq ans aussi dans les cas suivants :
- dépenses liées à la rénovation énergétique de la résidence principale : il s’agit de couvrir les dépenses liées à la rénovation énergétique de la résidence principale. Cette mesure concerne les dépenses réalisées dans la résidence principale et portant notamment sur une « action efficace d’amélioration de la performance énergétique du logement ou du bâtiment concerné ». La demande de déblocage doit être effectuée dans les six mois suivant la réalisation des travaux. Le fait générateur de la demande doit être postérieur à l’entrée en vigueur du décret ;
- dépenses engagées pour l’acquisition d’un véhicule propre : l’acquisition d’un véhicule propre, neuf ou d’occasion, à l’exception des vélos d’occasion et des trottinettes électriques, permet désormais de débloquer son épargne. Cette mesure vise à encourager l’adoption de véhicules électriques ou à hydrogène. La demande de déblocage doit être effectuée dans les six mois suivant l’achat du véhicule. Le fait générateur de la demande doit être postérieur à l’entrée en vigueur du décret ;
- dépenses engagées pour l’activité de proche aidant : cette activité concerne les proches aidants, offrant au salarié ou à son conjoint/partenaire de Pacs la possibilité de soutenir une personne en situation de handicap ou de perte d’autonomie. Elle est soumise à des critères spécifiques, tels qu’un lien familial ou une relation de proximité avec la personne accompagnée, ainsi que la nécessité pour celle-ci de résider de manière stable et régulière en France. La demande de déblocage peut être effectuée à tout moment. Le fait générateur de la demande peut être antérieur ou postérieur à l’entrée en vigueur du décret.
Un question/réponse de l’administration précise, par ailleurs, les justificatifs à fournir pour débloquer ces sommes.
Abondement unilatéral augmenté
Les décrets d’application de la loi partage de la valeur ont relevé le plafond d’abondement unilatéral en se calquant sur les plafonds de la PPV. Plafonné précédemment à 2 % du Pass, l’abondement unilatéral sur le PERECO est désormais plafonné à 3 000 euros, et peut atteindre jusqu’à 6 000 euros en présence d’un accord d’intéressement ou de participation volontaire dans l’entreprise. Cet abondement, entièrement pris en charge par l’entreprise, ne nécessite aucun versement initial du salarié.
PPV : un levier d’épargne plus pérenne et attractifEnfin, la loi a reconduit les exonérations de cotisations sociales et patronales jusqu’au 31 décembre 2026 sur la prime de partage de la valeur (PPV) pour les entreprises de moins de cinquante salariés en y insérant une avancée que l’on peut considérer comme majeure. Elle peut désormais être versée dans des plans d’épargne salariale tels que le PEE ou le PERECO. Cette mesure permet aux salariés, notamment ceux dont la rémunération est supérieure à trois fois le Smic, de bénéficier d’une exonération fiscale sur les montants placés. Il en est de même pour les salariés d’une entreprise de plus de cinquante salariés peu importe le niveau de rémunération. A noter que l’investissement de la prime comporte toutefois des risques, notamment celui d’une perte en capital.
Toutefois, bien que l’intégration de la PPV dans les plans d’épargne marque une avancée significative, et transforme cette prime ponctuelle en un véritable outil d’épargne à long terme pour les salariés, il faut noter qu’elle ne constitue pas un levier efficace de motivation. Contrairement à l’intéressement ou à la participation, son versement n’est pas conditionné à l’atteinte d’objectifs collectifs ou d’un niveau de profitabilité, mais repose sur une décision unilatérale de l’employeur. Par ailleurs, en cas d’utilisation récurrente, la PPV pourrait après quelques années déséquilibrer le climat social de l’entreprise si l’employeur décide d’en interrompre le versement, alors même que les salariés l’auraient intégrée comme un avantage acquis.
Pour rappel, jusqu’au 31 décembre 2026, la prime est exonérée de cotisations sociales et patronales. Ce plafond est fixé à 3 000 euros par bénéficiaire. Il est rehaussé à 6 000 euros lorsque l’entreprise a mis en œuvre au titre de l’exercice de versement un accord de participation volontaire ou un accord d’intéressement quand cette dernière est déjà assujettie à la participation obligatoire.
En outre, depuis la publication des décrets d’application, la PPV investie dans les plans d’épargne peut générer un abondement de l’entreprise offrant ainsi un supplément d’épargne attractif pour les collaborateurs. Cette mesure constitue une véritable opportunité de fidélisation.
Pour illustrer notre propos, prenons l’exemple d’unsalarié dont l’employeur choisirait de verser une PPV de 1 000 euros brut dans un PEE. Le placement de cette dernière pourrait générer jusqu’à 3 000 euros d’abondement bruts supplémentaires versé par l’entreprise (avec un taux d’abondement à 300 %), offrant ainsi une épargne totale de 3 614 euros, nette de CSG/CRDS et entièrement exonérée d’impôt sur le revenu. Dans la plupart des cas, l’ajout d’un abondement sur le flux de PPV requiert un avenant aux règlements des plans. Il convient à ce titre de respecter le formalisme : l’avenant doit être modifié selon les mêmes conditions que la mise en place du plan.
Le rôle du CGPLa mise en place de dispositifs d’épargne salariale tels que l’intéressement, la participation, l’abondement ou la prime de partage de la valeur peuvent nécessiter un accompagnement spécifique. L’expertise du CGP joue un rôle clé en offrant un soutien personnalisé aux entreprises et à leurs dirigeants :
- analyse patrimoniale globale : évaluation approfondie de la situation patrimoniale de l’entreprise et de ses dirigeants, afin d’optimiser les choix fiscaux et financiers liés aux dispositifs de partage de la valeur ;
- conception sur mesure : accompagnement dans la conception et la mise en place des mécanismes de partage de valeur (plans et primes) avec des conseils adaptés à la taille, aux spécificités et aux objectifs stratégiques de chaque entreprise (RH, performance, objectifs extra-financiers) ;
- gestion optimisée des flux financiers : accompagnement dans la gestion des flux générés par ces dispositifs, garantissant une optimisation fiscale avantageuse, aussi bien pour l’entreprise que pour ses collaborateurs ;
- allocation d’actifs : accompagnement (éventuellement), si le CGP est CIF, des collaborateurs dans la définition de leur stratégie patrimoniale et la construction de leur portefeuille cible.
Pour le conseiller en gestion de patrimoine, cette nouvelle loi est une opportunité de conseil supplémentaire. Son expertise permettra à ses clients et prospects d’avoir un regard positif. L’enjeu ? Transformer une contrainte perçue par certains en une occasion de motiver et fidéliser leurs collaborateurs. Les dispositifs à mettre en place offriront aussi des solutions avantageuses pour constituer une épargne projet ou retraite, aussi bien pour les salariés que pour le dirigeant, qui, rappelons-le, dans les entreprises de moins de deux-cent-cinquante salariés, est également bénéficiaire (sauf pour la PPV).
C’est également une formidable opportunité de renforcer l’interprofessionnalité, en collaborant étroitement avec les experts-comptables. Ensemble, CGP et experts-comptables, pourront accompagner les dirigeants dans la mise en œuvre optimale de ces dispositifs, tout en valorisant leurs expertises complémentaires au service des entreprises.