Nous avons débuté l’année avec une vision bien plus optimiste que celle du consensus au sujet des perspectives de croissance des économies américaine, européenne et chinoise et le premier semestre se conclut sur des données macroéconomiques effectivement supérieures aux attentes. Avec la croissance acquise au cours des six derniers mois, les États-Unis devraient, sauf choc exogène, s’assurer une croissance annuelle proche de 2,5 %, la Chine dépasser les 5 % et celle de la zone Euro devrait avoisiner 0,7%-0,8%. Alors, Mirova conserve-t-il son optimisme malgré les quelques nuages qui apparaissent ça et là ? La réponse penche vers l’affirmative ! Mais les tendances se feront bien moins spectaculaires qu’au cours des six mois passés.
BEAUCOUP D’INDICATEURS RESTENT AU VERT
L’économie mondiale bénéficie toujours d’une baisse graduelle et parfois heurtée de l’inflation, autorisant le retour à une croissance du revenu réel des ménages, ainsi que d’une activité très dynamique dans les services et de politiques budgétaires toujours accommodantes un peu partout dans le monde. Les entreprises restent en outre très profitables dans l’ensemble, ce qui maintient l’emploi et l’investissement. Autre facteur positif, le rebond du cycle manufacturier au niveau mondial, avec un début de restockage qui commence à soutenir l’industrie et des reprises progressives dans des pays qui ont souffert, comme l’Allemagne.
La désinflation a ainsi permis à plusieurs banques centrales d’amorcer une baisse des taux, comme au Canada, en Suède, en Suisse, en Zone Euro et dans plusieurs pays émergents. Le solde est désormais en faveur des banques centrales baissières par rapport à celles qui montent leurs taux, et le mouvement devrait se poursuivre au cours des prochains mois. Sur les marchés, la tendance a été marquée par l’hyperconcentration de la performance sur les plus gros poids des indices, notamment les 7 Magnifiques aux US, se resserrant progressivement sur 5 valeurs technologiques, à commencer par Nvidia. Le marché américain représente un peu moins des 2/3 des indices mondiaux et, en son sein, ces 5 valeurs pèsent plus de 25 %.
Néanmoins l’agenda politique/géopolitique fait peser un risque baissier sur l’activité au second semestre. La moitié de la population mondiale est cette année appelée aux urnes et chaque élection a pour l’instant engendré des replis boursiers, comme nous avons pu le voir en Inde, en Zone Euro et notamment en France dans le sillage de la dissolution de l’Assemblée nationale. Cette dissolution a ravivé les craintes sur la trajectoire budgétaire que va prendre la France, avec une possible – probable ? – aggravation du déficit. Les tensions politiques pourraient également s’accentuer de l’autre côté de l’Atlantique jusqu’aux élections présidentielles en fin d’année. Des élections qui font elles aussi craindre un emballement de la dette pour les États-Unis, si l’on se fie aux programmes affichés par les deux candidats.
Les six prochains mois, la question politique restera à coup sûr au centre des attentions, alors que les tensions géopolitiques du premier semestre – Ukraine/Russie, Moyen-Orient, Chine/Taiwan – n’ont finalement eu que des répercussions contenues sur les marchés jusqu’à présent.
Couplée à des signes de ralentissement de la croissance, il y a fort à parier que la période à venir se fasse plus agitée pour les marchés avec le maintien d’un biais positif. Nous n’anticipons en effet pas pour autant de forte correction, la croissance demeurant positive et les baisses de taux des principales banques centrales pouvant encore délivrer leurs fruits, mais un marché avec un régime de volatilité plus élevée, légèrement haussier, où une certaine finesse tactique sera de rigueur.
EUROPE : « IT’S POLITICS, STUPID »
Le premier semestre européen a surpris en bien, notamment via un rebond des exportations, conjugué à une légère reprise de la consommation. Les ménages ont profité d’une amélioration de leurs revenus réels, grâce à une poursuite de la désinflation, à un marché de l’emploi solide et aux hausses de salaire. La confiance des consommateurs a connu une embellie et les importantes réserves d’épargne laissent espérer un second semestre positif d’autant plus qu’on assiste à un début de détente des conditions financières, qui devrait s’accentuer un peu avec les futures baisses de taux de la BCE.
Cette dynamique peut-elle être entravée par les bouleversements politiques français ? Nous ne le pensons pas à ce stade. Certes l’incertitude politique pourrait encourager les ménages à revenir sur des réflexes d’épargne, accompagnée d’un gel des investissements. Une période attentiste qui coûterait quelques dixièmes de points à la croissance française. Mais difficile d’extrapoler au-delà des frontières de l’hexagone à court terme.
Concernant la trajectoire de la dette française, ces élections mettent en lumière quelques fragilités du pays, avec la possibilité – très ténue – d’un bras de fer avec l’Union Européenne si l’alliance de Gauche tenait à mettre en oeuvre une politique budgétaire très expansionniste, et qu’elle le pouvait, avec des conséquences négative sur le spread OAT-Bund. Une coalition sans majorité viendrait bloquer les réformes d’ampleur pour se consacrer à des domaines plus consensuels, ce alors que l’UE somme la France de dénicher quelques dizaines de milliards d’euros d’économies à réaliser d’ici fin 2025. La prochaine grande échéance scrutée par les marchés sera la présentation du budget du prochain gouvernement, à la rentrée.
Aussi estimons nous que l’appréciation du marché sur le déficit français dépendra de l’orientation des investissements et dépenses publics. Si ces derniers servent à préparer un rehaussement de la croissance potentielle, en se dirigeant vers des secteurs tels que l’innovation, la transition, les infrastructures, le marché pourrait tolérer un déficit qui demeure encore quelques années au-dessus du seuil de 3%. Sinon, il pourrait en prendre ombrage. Or, nous notons que les programmes politiques favorisés par les élus français semblent privilégier des dépenses courantes et non de tels investissements.
DETTE QUI FILE ET CONTAGION : LE SCÉNARIO DU PIRE
Le scénario du pire, à la réalisation duquel nous n’adhérons pas néanmoins, consisterait en une incapacité du gouvernement français à stabiliser le ratio dette/PIB et le basculement dans une crise de la dette, avec effet de contagion. La Commission a mis sous surveillance la trajectoire de 7 pays européens et ceux-ci compteraient parmi les premiers à basculer, notamment l’Italie, premier récipiendaire net du budget européen. La France reste à l’inverse – jusqu’ici – le deuxième contributeur à ce même budget. Quant à l’Allemagne, elle se trouverait empêchée de voler au secours des autres Etats membres, la résistance politique au sein du gouvernement actuel s’accroissant sur ce sujet.
ROYAUME-UNI, ÎLOT DE SÉRÉNITÉ
Le Royaume-Uni semble débuter un nouveau cycle. Il referme enfin l’épisode du Brexit, dont les répercussions politiques et économiques se seront donc ressenties sur plusieurs années et gouvernements. Les élections ont comme prévu porté au pouvoir les Travaillistes, étrangers au Brexit. Le pays pourrait désormais faire figure d’îlot de stabilité.
ÉTATS-UNIS : « IT’S THE ECONOMY… AND POLITICS, STUPID »
Après une fin d’année 2023 exceptionnelle, les États-Unis ont consolidé leurs acquis de croissance au premier se- mestre. Mais depuis, apparaissent certains signaux moins favorables, de nature à justifier davantage de baisses de taux de la part de la Fed sur les prochains trimestres afin d’éviter qu’elles ne prennent de l’ampleur d’ici 2025. En premier lieu, notons la fragilité des ménages à revenus faibles et modérés, qui se traduit par une augmentation des défaillances sur les crédits consommation et automobile. Malgré un marché de l’emploi résilient, ces ménages se voient pénalisés par des prix toujours élevés et des loyers très coûteux. Les ménages à hauts revenus ont, quant à eux, profité de la bonne santé des actifs, actions et immobilier en tête, pour ne pas ressentir ces mêmes effets, du moins pas dans les mêmes proportions. Si cela s’avère très positif pour l’économie américaine, cela pose aussi la question de sa dépendance aux prix des actifs financiers. Au second semestre, l’immobilier va se trouver au coeur des attentions. Avec un marché du neuf ralenti à cause de taux élevés, le report a été massif sur le marché de la location, qui ne peut absorber la demande, aboutissant donc à des loyers élevés, qui pénalisent les ménages. Pour dégripper le marché et faire cesser l’inflation des loyers, il pourrait devenir utile que la Réserve fédérale abaisse ses taux, afin de débloquer les transactions et les mises en chantiers. Le paradoxe tient à ce que si la Fed a pu briser la spirale inflationniste sur l’essentiel des biens courants par une hausse des taux, c’est par une baisse qu’elle pourra obtenir des résultats sur le plus essentiel des secteurs où l’inflation lui résiste : le logement. L’afflux migratoire aux États-Unis a permis de combler un fort besoin de main d’oeuvre après le covid, de faire gagner en productivité certains secteurs et de soutenir la consommation. Cependant, la pression qu’il met sur les loyers et les inquiétudes de certains Américains en font désormais un thème de campagne majeur pour les deux candidats. Cette question complexe rappelle que le pays fait actuellement face à des signaux contradictoires, et ce à plusieurs niveaux de son économie. La production industrielle a ainsi rebondi à la fin du premier semestre, les plans de relance continuent de stimuler l’économie, la situation de l’emploi se normalise, mais la politique higher for longer de la Fed commence à générer des conséquences notables sur le pouvoir d’achat des consommateurs. Sans oublier qu’une grande partie de la population est fortement exposée aux marchés actions et souffrirait en cas de retournement de tendance. Au final, nous anticipons une poursuite du ralentissement de la croissance américaine qui devrait rapidement converger vers sa tendance de long terme (2% de croissance réelle en rythme annualisé), une poursuite de la désinflation en raison de la décélération progressive des loyers et des salaires sur fonds de rééquilibrage offre/demande sur le marché de l’emploi et un début de cycle de baisse des taux Fed dès cet automne en amont des élections présidentielles, mais qui pourraient rapidement se heurter au programme des candidats.
DEUX PROGRAMMES ET UNE INQUIÉTUDE SUR LA DETTE
Les programmes des candidats à la présidentielle Joe Biden et Donald Trump ne prévoient pas d’assainissement budgétaire et pointent plutôt en direction d’un déficit public autour de 6 % à 7 % du PIB. Le coût de la dette serait de 3 % par an, avec un solde primaire négatif. Les politiques telles qu’affichées aujourd’hui se feront inflationnistes, avec un effet haussier sur les taux. Cela pourrait ainsi écarter certaines baisses de taux de la Fed en 2025, en théorie du moins.
Si les programmes des candidats ont ceci de commun, ils diffèrent en revanche sur de très nombreux points. Joe Biden privilégierait pour sa part une hausse des dépenses sociales, ce qui creuserait le déficit. Il amorcerait également une hausse de la taxation sur les entreprises et les ménages à hauts revenus. Donald Trump, lui, affiche une volonté de réduire le déficit commercial et l’immigration et de poursuivre sa politique de baisses d’impôts entamée en 2017. Freiner l’immigration pourrait avoir des conséquences inflationnistes voire casser la dynamique de croissance. Quant à la politique de hausse de 10% des tarifs douaniers sur toutes les importations, y compris d’Europe, elle ne saurait être sans effet sur le pouvoir d’achat des Américains. En revanche, ce choix pourrait écarter le risque de surproduction qui pèse sur l’économie américaine. Donald Trump n’aura pas besoin de l’approbation du Congrès pour les décisions portant sur l’immigration et la politique commerciale, en revanche celui-ci doit être consulté pour la prolongation de la loi sur les impôts et l’emploi. En cas de victoire de Trump, il faudrait s’attendre à des taux plus élevés sur la partie longue et une courbe plus pentue.
LES BANQUES CENTRALES À LA MANOEUVRE
Au cours du second semestre, la Réserve fédérale devrait concrétiser une première baisse de taux, car l’économie montre des signes de ralentissement et la seule compo- sante qui persiste réellement dans l’inflation est celle des loyers (voir ci-dessus). Notre scénario central est celui d’une décélération de l’économie au cours de l’été et d’une baisse de taux à la rentrée, suivie probablement d’une autre avant la fin de l’année. Une position plus dovish que celle du marché.
En Europe, certains effets de base défavorables ne permettront pas d’atteindre une inflation cible à 2% rapidement ; néanmoins aucune réaccélération n’est attendue, d’autant que les salaires continuent de se normaliser. Une première baisse de taux de la Fed viendrait également conforter la BCE dans son propre cycle d’assouplissement. En revanche, si la Fed n’agissait pas, la zone euro subirait alors de l’inflation importée, avec une baisse de l’euro. Parmi les risques, demeurent les incertitudes politiques/ géopolitiques et leurs conséquences sur la consommation, ainsi qu’une crise de la dette si les budgets des grands pays européens – notamment la France – ne sont pas maîtrisés. Une nouvelle preuve que la composante politique pourrait influer sur les décisions de la BCE. Après la baisse de 25bp en juin nous tablons sur 2 baisses supplémentaires d’ici la fin de l’année, a priori en septembre puis décembre. Au Japon, la Banque centrale a la volonté de normaliser ses niveaux de taux (à la hausse), mais avancera prudemment car il n’est pas certain que la croissance à terme débouche sur une forte hausse des salaires réels, la faiblesse du Yen générant de l’inflation importée. La Chine a suffisamment de latitude pour procéder à de nouvelles baisses de taux afin de soutenir son marché immobilier et la dynamique de crédit, d’autant que le pays n’est pas inquiet d’un yuan déprécié, alors que son économie repose sur les exportations. L’inflation a connu un léger rebond au premier semestre, mais devrait rester contenue au second entre 1% et 1,5% en raison de la baisse des prix de l’énergie et de la résistance à la hausse des prix de l’alimentation et des prix des services.
CHINE ET PAYS ÉMERGENTS DANS UN MONDE PLUS PROTECTIONNISTE
Au second semestre, la Chine va devoir continuer de trou- ver de nouveaux relais de croissance, alors que la crise de l’immobilier n’est toujours pas derrière elle. Les prix continuent de corriger, tandis que la dette des gouvernements locaux a explosé. Une solution envisageable serait de centraliser cette dette au niveau gouvernemental ou de forcer les institutions locales à racheter le parc invendu, afin de soutenir les prix. Cette situation continue de peser sur le moral des ménages, confrontés à un effet de richesse négatif. La contraction des prix de l’immobilier, des mises en chantier et de l’investissement se poursuit donc, alimentée d’un point de vue structurel par une tendance démographique défavorable. Le pays est également engagé dans une surproduction, alors même que les frontières du monde, notamment aux États-Unis et en Europe, se ferment pour la Chine. Néanmoins, le soutien budgétaire et monétaire parvient à soutenir l’économie du pays, qui a affiché une production industrielle au-dessus des attentes. L’inflation devrait continuer à se renforcer au second semestre pour passer au-dessus de 1%, le spectre de la déflation s’éloignant. Les PMI composites sont en ligne avec une croissance annualisée pouvant atteindre 5,5 % en 2024, avant un ralentissement en 2025. Les indices PMI ont ainsi touché au premier semestre leur plus haut depuis un an dans les services et depuis 2 ans sur le manufacturier. Nous ne croyons donc pas à un choc récessif, ni à une aggravation brutale sur l’immobilier qui rendrait toute possibilité de croissance anémique sur les 18 prochains mois. Il faut maintenant s’attendre à un renforcement de la concurrence de la part des pays d’Asie du Sud Est. Les pays occidentaux les plébiscitent dans leur stratégie de diversification, tandis que l’Inde renforce ses exportations de produits intermédiaires. Cette dernière a réélu Narendra Modi à sa tête, toutefois sans majorité absolue. Son objectif sera de poursuivre le développement du pays. Un pays de plus en plus puissant sur le plan industriel, qui est parvenu à sécuriser ses importations d’énergie et de matières premières. L’Inde apparait désormais comme un relais pour les investisseurs qui délaissent la Chine. La croissance indienne entraîne dans son sillage d’autres pays d’Asie du Sud Est, qui font ainsi mieux que prévu. La Corée, l’Indonésie, Taiwan, connaissent un rebond et profitent également de la reprise du cycle des semi-conducteurs. L’ Asie apparaît donc comme un pôle de croissance et d’intérêt pour les investisseurs. Sur les marchés, les émergents ont déçu au premier semestre, principalement sur les actions, mais dans une moindre mesure sur la dette. Ils devraient désormais profiter d’une normalisation de la politique de la Fed et d’un éventuel plafonnement du dollar.
Conclusion : un second semestre trop tranquille ?
En guise de conclusion, nous n’avons cette fois guère d’éléments iconoclastes à offrir à nos lecteurs : le soft landing se poursuit tranquillement en ce second semestre, avec une résorption de l’inflation vers des niveaux restant toute- fois supérieurs à ceux d’avant le covid… et permettant aux banquiers centraux d’abaisser les taux avec d’autant plus de probabilité que cela peut débloquer les loyers aux États-Unis, où ils représentent le dernier bastion inflationniste important.
Attention cependant, 2025 pourrait s’avérer plus chahuté, car MM. Biden et Trump semblent décidés, chacun à leur façon, à ajouter de l’expansionnisme budgétaire à l’expansion économique : inutile donc, selon nous, d’attendre un cycle de baisse des taux aussi marqué que ceux du passé, et cela, le marché l’anticipera dès les prochains mois.
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