Michel Audeban, directeur général de Gemway Assets, revient sur le tour de force de Xi Jinping lors du 20e congrès du Parti Communiste Chinois et ses conséquences sur les marchés financiers.
Profession CGP : Quel regard d’investisseur portez-vous sur le dernier congrès du Parti communiste chinois ?
Michel Audeban : Il n’est pas bon : nous avons assisté avec une reprise en main violente de la part du président chinois Xi Jinping. La non-reconduction de deux des sept membres du Bureau du Parti, les modérés Li Keqiang et Wang Yang, et la sortie de Hu Jintao, l’ancien président totalement humilié, illustrent bien la situation. Le bureau est donc clairement inféodé à Xi Jinping qui devrait rester président pour encore de longues années. Cela n’augure rien de bon.
Alors que la Chine n’avait que peu réagi lors de l’attaque des Etats-Unis sur la tech chinoise, on peut s’attendre à une réaction violente. Désormais on peut s’attendre à avoir une Chine plus belliqueuse, avec une Chine rangée derrière son chef, Xi Jinping, qui porte désormais le titre de « dirigeant du peuple », comme Deng Xiaoping.
Tout cela ne va pas dans le bon sens pour le monde, la croissance mondiale et les marchés.
En conséquence, les actions chinoises qui n’étaient pas chères, le sont encore moins, mais cela ne nous donne pas forcément envie de nous repositionner tout de suite…
Aucun signe positif à retenir donc ?
On peut trouver une note d’espoir à deux niveaux. Le premier est que les personnes assises au premier rang lors du congrès, les sept membres du bureau, ne portaient pas de masque. Le message est donc que le Covid n’est plus si grave sous sa forme Omicron et l’on peut s’attendre à un assouplissement des règles. Nous avions déjà eu un premier signe avec la suppression de la quarantaine à Hong-Kong.
A plus long terme, on constate que l’économie chinoise reste une économie libérale « encadrée » qui bénéficie du soutien de l’Etat à l’image du marché immobilier. Elle reste puissante avec une croissance de +4/5 % sur le long terme. Lorsqu’on mise sur le développement et l’enrichissement des classes moyennes, cela reste un fort facteur de soutien, notamment pour les valeurs locales qui vont tirer parti du protectionnisme et de la hausse du pouvoir d’achat.
Comment vous positionnez-vous sur ce marché aujourd’hui ?
Nous sommes légèrement sous-pondérés au sein du fonds GemEquity, à 26 % contre 30 % pour notre indice. Néanmoins, nous disposons de 15 % d’actions A (contre 5 % pour l’indice) qui sont des valeurs qui bénéficient de la croissance chinoise et de l’économie domestique qui devrait bien se porter.
Et s’agissant de la devise chinoise ?
Nous ne sommes pas négatifs car la Chine dispose du tiers des réserves de change mondiale et que Xi Jinping a toujours manifesté son désir d’avoir une monnaie puissante. Autre élément positif : l’excédent commercial chinois a atteint 100 milliards de dollars en août, du jamais vu.
Hormis la Chine, sur quelles zones êtes-vous positionnés ?
Trois zones nous intéressent plus particulièrement. Il s’agit tout d’abord de l’Inde. Si les valorisations demeurent élevées la croissance est forte 7 % et celle des résultats des entreprises également. Ensuite vient le Brésil, dont la politique monétaire et économique a été pragmatique avec une inflation bien combattue. Enfin, le Golfe, en particulier l’Arabie Saoudite, a su évoluer vers d’autres secteurs que le pétrole et libéraliser son économie. La Bourse de Ryad explose avec de nombreuses introductions notamment.
Quel est votre sentiment sur les marchés obligataires des pays émergents ?
Au travers GemBond, même si la hausse du dollar n’a pas facilité, nous sommes très favorables aux marchés obligataires pour plusieurs raisons :
1/ ces pays sont en forte croissance et donc solvables ;
2/ ces pays ne sont pas hyper endettés, à 60 % du PIB en moyenne, contre 120 % pour les pays développés ;
3/ vis-à-vis de l’inflation, les taux réels sont positifs à neutres, contrairement aux pays développés qui sont eux très négatifs. Cela suggère que l’inflation redescend ou va redescendre plus rapidement et qu’une baisse des taux approche ;
4/ les taux actuariels sont élevés : 8,5 à 9 % avant couverture du risque de change et plus de 5,5 % après couverture pour des signatures et maturités comparables au marché européen ;
5/ les obligations des pays émergents permettent d’améliorer le couple rendement/risque d’un portefeuille car la corrélation est faible (0,45). Ajouter 15 à 20 % d’obligations émergentes souveraines en devises fortes à un portefeuille de dette européenne permet d’augmenter le rendement attendu et diminue le risque.
Un mot sur votre politique ESG ?
L’intégration des critères extra-financier est fondamentale pour nous car elle réduit sensiblement le risque de nos investissements. Elle nous a permis d’éviter certaines catastrophes. Nous votons énormément en AG, à 96 % l’an dernier, et nous opposons parfois à certaines résolutions. Si notre voix ne permet pas d’infléchir les décisions, elle suscite des interrogations de la part des entreprises et invite au dialogue. C’est le cas par exemple lorsque nous votons contre lors de renouvellements d’administrateurs où seuls des hommes sont proposés alors que le taux de femmes au sein des conseils est trop faible. A terme, nous considérons qu’une bonne politique ESG permettra aux entreprises de bénéficier d’une prime de survalorisation.