L’année 2022 a été particulièrement douloureuse pour la plupart des gérants obligataires.Pour autant, elle a marqué le retour du rendement qui avait disparu hormis sur les obligations High Yield et de fonds datés. Entre inflation en retrait, perspectives de croissance molle ou de récession faible et hausse de taux modérée, les conditions de marché semblent se normaliser. Toutefois, la prudence reste de mise chez les gérants.
Le constat est sans appel : « La hausse des rendements a été l’évènement marquant de l’année 2022 et a constitué le plus gros krach obligataire depuis les années 1980 », estime, sans concession, Sébastien Grasset, membre du directoire et associé d’Auris Gestion. Conséquence, les performances ont toutes été tirées vers le bas, hormis pour quelques fonds très flexibles qui ont su tirer leur épingle du jeu, comme chez Lazard Frères Gestion ou Sunny Asset Management. Matthieu Bailly, directeur général délégué d’Octo Asset Management, détaille : « Le marché du High Yield a chuté d’environ 10 %, tandis que les taux souverains ont dévissé de 15 %. Aujourd’hui, cela revient à considérer qu’il faut cinq à six années de portage pour récupérer les pertes enregistrées l’an passé sur les emprunts d’Etats, tandis que sur le High Yield, il faut un plus d’un an puisque les rendements sont aujourd’hui entre 7 et 8 %. » Il faut dire que l’on partait de loin. Le regain d’inflation, exacerbé par la guerre en Ukraine, a été l’élément déclencheur de la hausse des taux. Partis de zéro, ils ont fortement progressé ; une politique qui a surpris plus d’un investisseur. Et l’hypothèse d’une récession s’est invitée dans le décor… « 2022 a été l’année de la remise en cause de dix années de politiques monétaires très accommodantes. Sous l’argument de la lutte contre l’inflation, ce renversement en une seule année a été brutal. Eu égard à l’activité économique et à l’inflation, cette hausse des taux est normale, avant d’être restrictive, note Olivier de Larouzière, responsable de la gestion obligataire de BNP Paribas Asset Management. Ce qui a le plus surpris et fait le plus mal aux marchés, c’est l’écartement des spreads de crédit. En effet, en temps normal, dans un contexte habituel, les prismes de risque auraient dû se resserrer, car les fondamentaux sont bons. Quels que soient le segment de marché et les maturités, les performances ont donc été particulièrement mauvaises, d’autant plus que les marchés anticipent une récession. Sur le crédit, les spreads étaient élevés, alors que nous n’étions pas dans une crise du crédit, comme en 2008. Les taux implicites de défaut avaient atteint des niveaux records:40 % sur le High Yield, alors que le pire niveau connu était de 30 %, et 7 % pour l’Investment Grade (4 % au maximum). Depuis, les choses se sont calmées ; et si une dégradation est à prévoir, elle n’atteindra pas ces niveaux. » Chez Sunny AM, Etienne de Marsac, responsable Absolute Return et gérant du fonds Sunny Patrimoine 2.0, avait anticipé ce retour de l’inflation. « En février 2021, notre compréhension du discours des banques centrales nous a permis d’anticiper l’accélération de l’inflation. Or, les marchés n’avaient pas pris en compte les différents facteurs de ce regain d’inflation dû à la crise sanitaire, à la rupture des chaînes d’approvisionnement, au changement climatique et à la démondialisation ».
Des marchés défaitistes ?Selon Etienne de Marsac, les acteurs du marché obligataire, encore marqués par la crise des subprimes, sont actuellement déprimés et « refusent»de voir les facteurs positifs : « Depuis le milieu de l’année dernière, la quasi-totalité des investisseurs est persuadée du scénario du pire en zone euro, avec une inflation incontrôlée, les potentielles ruptures d’approvisionnement en gaz, la crise énergétique et le risque du crédit, une hausse des taux qui conduirait à une situation de défaut en Italie…, énonce le gérant. La communauté des investisseurs reste déprimée. Or, il existe des éléments positifs. Le marché est parfois schizophrène. En effet, les marchés actions retrouvent de l’optimisme pour 2023 et 2024, tandis que la courbe des taux est inversée, ce qui traduit une anticipation de récession forte qui conduira à une baisse des taux de la BCE. Cette situation s’explique par des marchés financiers qui ne sont plus efficients car ils fonctionnent de façon compartimentée. Les acteurs sont devenus hyperspécialisés et ne regardent plus les marchés dans leur globalité. La disparition des arbitragistes explique également ce phénomène. De plus, les marchés de taux sont encore traumatisés par la crise de l’immobilier de 2008 ayant entraîné la faillite de Lehmann. Le scénario du pire ne se met pas en place. Beaucoup sont convaincus que la hausse des taux américains ne peut pas bien se terminer. Or le marché actuel est bien différent. Le poids de la dette liée à l’immobilier est aujourd’hui bien moins important, puisque le consommateur s’est désensibilisé de l’immobilier avec un ratio dette immobilière-revenus des ménages passé de 120 à 80 %. En Europe, le risque systémique a été nettoyé, notamment avec des banques italiennes aux bilans solides qui ont apuré leurs comptes, passé des provisions. Or les banques sont le poumon de l’économie:en bonne santé, elles continuent de prêter à des émetteurs de qualité. Par ailleurs, la hausse des prix de l’énergie est absorbée par les Etats qui capent les prix. Le risque italien est bien géré, avec un gouvernement qui met en place des réformes et un budget raisonnable. Enfin, les marchés ne s’intéressent pas suffisamment à la construction européenne. Or le programme d’investissement mutualisé NextGenerationEU est une formidable nouvelle. L’Europe s’est dotée d’un véhicule d’investissement puissant, d’environ 750 milliards d’euros, pour financer les infrastructures et la transition énergétique, entre autres, le tout sans peser sur les finances publiques des Etats qui en bénéficient. Ce plan va driver la croissance future et permettre de réduire les ratios dette-PIB des Etats grâce à la croissance générée (baisse de dix points de dette/PIB pour l’Italie et l’Espagne à horizon 2030) selon la Commission européenne. »Hausse des taux, le plus dur est passéSur le front des taux, la majeure partie du chemin a été effectuée, selon Thomas Giudici, responsable de la gestion obligataire d’Auris Gestion. « La question est de savoir si les banques centrales agiront de manière aussi forte en 2023. Plusieurs signaux vont dans le sens d’une accalmie. Tout d’abord, la Fed pourrait véritablement changer de ton, ce qui n’est pas le cas encore à ce stade, vers la fin du premier trimestre 2023, ce qui pourrait conduire la BCE à infléchir également son approche Hawkish malgré son retard. Ensuite, la Chine a infléchi sa politique zéro Covid. Enfin, on sent des pressions en faveur d’une détente dans le conflit en Ukraine. Reste à savoir si 2023 sera une année de récession ou non. » Pour Olivier de Larouzière, le scénario d’une baisse des taux en Europe n’est pas à l’ordre du jour : « Les marchés anticipent une baisse des taux dans la zone euro dans la deuxième partie de l’année pour lutter contre la récession. D’où une courbe des taux inversée qui vient défier les banques centrales. Ce n’est pas notre scénario, car il faudra aussi que l’inflation soit à 2 %. De plus, l’hypothèse d’une récession en Allemagne n’est pas validée. Enfin, le calendrier des émissions est élevé, ce qui va accroître la pression sur les taux, notamment français, espagnols et allemands. Et les mesures de soutien des Etats en faveur de leurs habitants ne sont pas encore financées… » Matthieu Bailly n’anticipe pas une baisse des taux à l’horizon, ni une récession en Europe. « Nous ne pensons pas qu’il y aura une récession forte en Europe, néanmoins il existera des divergences entre les pays car les économies, les tissus d’entreprises et les politiques budgétaires et fiscales sont différents. Par exemple, la France dispose de bons coussins de sécurité, alors que l’Italie pourrait souffrir davantage car elle est plus industrielle et importatrice d’énergie. Dans tous les cas, la BCE ne devrait pas baisser ses taux, tant que l’inflation ne sera pas redescendue. »Vers une inflation structurellement plus forteNéanmoins, le temps d’une inflation basse apparaît révolu, même si elle devrait être structurellement plus élevée. Mais le choc semble passé. C’est en tout cas la lecture de l’ensemble des gérants. « L’inflation va baisser dans les prochaines années : après 9 % en 2022, elle est attendue à 6,3 % cette année, 3,4 % en 2024 et 2,3 % en 2025, prévoit Etienne de Marsac. Les effets de base sont énormes pour l’énergie, et l’alimentaire et les causes de l’inflation vont disparaître durant l’année, notamment concernant les chaînes d’approvisionnement. Par exemple, alors que nous sortons d’un hiver doux, les stocks de gaz sont importants, ce qui va permettre de baisser les prix cette année. L’inflation devrait néanmoins être plus forte que par le passé, car le monde est devenu multipolaire et moins ouvert, et la croissance moins vive. Elle pourrait atterrir autour des 3 % en Europe, et atteindre les 4 % aux Etats-Unis où les tensions sur le marché du travail sont plus importantes. Reste à savoir quand les autorités monétaires vont revoir à la hausse leurs anticipations cibles d’inflation et abandonner la remontée des taux directeurs.»Chez BNP Paribas AM, on reste prudent quant à la baisse de l’inflation. «Le consensus actuel porte sur une baisse rapide de l’inflation avec un atterrissage à 2 % en 2024, observe Olivier de Larouzière. Or nous pensons qu’il reste des incertitudes:certes, les prix de l’énergie baissent, mais l’inflation sous-jacente ne faiblit pas pour l’instant, notamment avec des salaires à la hausse. Il va donc falloir plus de temps pour observer la vitesse de la baisse et le niveau de stabilisation:sera-t-il supérieur à 2 % ? » Toujours est-il que les taux sont redevenus attractifs, comme le rappelle le directeur général délégué d’Octo AM. «Aujourd’hui, les obligations permettent de générer du rendement, même à court terme : 2 % sur les obligations d’Etats contre-0,5 % auparavant; 3 à 4 % sur l’Investment Grade, contre 0 %, et 6 à 8 % sur le High Yield, contre 4 %. Ces rendements sont aujourd’hui supérieurs à ceux des autres classes d’actifs. Par exemple, Faurecia a émis une obligation à 7 % de rendement, alors que le dividende de son action, plus risquée, est à 3 %. Aujourd’hui, le consensus milite pour un retour des investisseurs sur l’obligataire.»Il n’est donc pas anodin si de nombreux fonds à échéance ont été créés ces derniers mois, avec des horizons pouvant varier entre 2025 et 2028 et des profils de risques plus ou moins offensifs. Et la liste des acteurs ayant franchi le cap est (très) longue:Financière Arbevel, Lazard Frères Gestion, Octo AM, Sycomore AM, Richelieu Gestion, Oddo BHF AM, Corum l’Epargne, Groupama AM, Tikehau, Meeschaert AM, IVO, Ellipsis AM ou encore Auris Gestion.
Les convictions des gérantsChez la société Auris Gestion, les préférences vont au crédit de qualité Investment Grade et aux surbordonnées financières. «Nous avons une grosse conviction sur l’Investment Grade européen qui offre actuellement un surplus de rendement, indique Thomas Giudici. En effet, le marché européen est survendu par rapport au marché américain à cause du conflit ukrainien, tandis que le taux de défaut implicite à cinq ans est surévalué. Par ailleurs, le High Yield offre un surcroît de rendement attractif (entre 7 et 8 %), mais il convient ici d’être sélectif sur la qualité des émetteurs et d’écarter ceux qui souffriraient en cas de récession ou de poursuite de l’inflation. » Sébastien Grasset ajoute : « A ce titre, il faut vraiment analyser les politiques d’investissement des fonds à échéance parmi les nombreux lancements en cours. Les subordonnées financières offrent également un beau niveau de coupon, parfois supérieur au High Yield, avec des établissements aujourd’hui bien capitalisés et un secteur qui reconstitue ses marges grâce à la hausse des taux. »Notons qu’Auris Gestion a décidé de lancer le fonds Buy and Hold, Rendement Sélection 2027 qui investira dans au moins cinquante lignes et à au moins 50 % dans des émissions de qualité Investment Grade. « Pour la poche High Yield, nous ne descendrons pas en dessous de B-. Nous voulons en faire un fonds pur, avec une bonne adéquation entre la maturité des papiers et la maturité réelle. C’est pourquoi nous n’investirons pas dans des hybrides corporate, les obligations perpétuelles ou des subordonnées financières. Notre objectif est de respecter notre promesse contrairement à beaucoup de fonds à échéance de la Place, qui n’arrivent finalement pas à échéance et sont “reconduits” ou fusionnés», précise Sébastien Grasset. Pour Octo AM, le fonds Octo Crédit Value est aujourd’hui positionné sur du High Yield (à 60 %) et des subordonnées financières (40 %). Son rende-ment embarqué est aujourd’hui de 9 %, avec une duration courte, à 2,8. « Notre objectif est de permettre à nos investisseurs de récupérer au plus vite la perte enregistrée l’an passé grâce au portage, tout en limitant la volatilité liée aux taux, explique Matthieu Bailly. Nous nous positionnons afin de nous prémunir au mieux des trois risques que sont:-l’inflation, en évitant les entreprises qui souffrent le plus (chimie, aérien, industrie lourde…) et en privilégiant les sociétés de services et les financières. La BCE lutte contre l’inflation actuellement. Or, celle-ci provient de la guerre en Ukraine principalement, et non pas d’une euphorie de la consommation;-la récession. Dès lors, nous évitons les secteurs sur lesquels la baisse de la consommation des ménages est la plus importante, comme l’hôtellerie, la mode et la restauration qui ont déjà souffert durant la crise sanitaire;-les taux. Nous préférons nous positionner sur le risque de crédit plutôt que sur le risque de taux, fortement liés aux incertitudes actuelles:macroéconomie, géopolitique, politique monétaire. Par exemple, nous nous écartons donc des obligations souveraines à long terme. Christine Lagarde a d’ailleurs indiqué que les investisseurs avaient des prévisions de taux trop faibles. Les taux longs devraient croître encore en Europe. En effet, il n’est pas logique que le Bund allemand à dix ans se pérennise à 2,5 %, alors que le taux de la BCE devrait atteindre les 3 %, d’ici juillet. Or, une hausse de seulement cinquante points de base à dix ans provoquerait une baisse d’environ 4 % des obligations sur cette maturité…»Outre Octo Crédit Value, la société de gestion dispose également de deux fonds datés:l’un à échéance 2025, l’autre à 2028. «Le fonds à plus court terme collecte pour le moment le plus, du fait de l’inquiétude de beaucoup d’investisseurs et d’une courbe relativement plate. Il offre également une bonne visibilité sur l’activité des entreprises (100 % High Yield) et a un portage élevé de l’ordre de 7 %.»Ses encours sont passés de 50 millions d’euros en juin à 150 millions d’euros début janvier. «Le fonds 2028 correspond mieux à certains clients qui souhaitent fixer un taux pour longtemps, ou anticipent une récession forte et donc une baisse des taux dans les prochains mois.»L’horizon étant plus lointain, ce fonds dispose d’une poche de titres Investment Grade de 20 %, en particulier des valeurs bancaires.Au sein des fonds BNP Paribas, l’approche se veut prudente, avec une duration faible embarquée dans les portefeuilles et une préférence pour le crédit de qualité. «Aujourd’hui, nous retrouvons du rendement à tous les niveaux:3 % pour le cash, 3,2 % pour les emprunts d’Etat de la zone euro, 4,3 % pour l’Investment Grade, 7,3 % pour le High Yield ou encore 7,4 % pour la dette émergente en dollar. Nous en profitons, tout en ayant une duration inférieure à celle de nos indices. Nous apprécions, notamment, l’Investment Grade, où il y a récemment eu beaucoup d’émissions, tout en ayant une approche fondamentale stricte des titres», expose Olivier de Larouzière.Pour Etienne de Marsac, le contexte est jugé favorable à la prise de risque, sans pour autant aller « loin » sur la courbe. « La situation est selon nous porteuse pour les actifs risqués – l’Investment Grade, le High Yield européen et américain, ainsi que la dette des pays émergents – et le portage, car la volatilité ne devrait pas être aussi élevée que l’an passé. Il n’est pas aujourd’hui nécessaire d’aller prendre du risque en allant sur des maturités plus longues, car il n’y a aujourd’hui pas suffisamment de visibilité sur les remboursements, les politiques des banques centrales et les flux à long terme. Par exemple, le Brésil est un bon cas d’investissement, avec des taux courts à 13,75 %, une inflation à 6 % et un dollar faible. Une appréciation en capital est possible, d’autant plus que le ratio dette-PIB est bon à 85 %, comparable à la moyenne de l’Union européenne, mais bien meilleure que l’Italie à 150 %. Le crédit européen reste attractif, malgré la compression des spreads. Si le gain en capital apparaît limité, le portage est satisfaisant (entre 4 et 6 %) et les taux de défaut bas. La dette bancaire est une bonne idée si la zone euro échappe à la récession. Les banques ont le vent en poupe et voient leurs revenus progresser grâce à la sortie des taux négatifs.»A plus long terme, le gérant anticipe de se repositionner sur les obligations souveraines européennes. «Pour les emprunts d’Etats, l’année 2023 sera une année record pour les émissions, notamment pour l’Allemagne et la France. Par ailleurs, le soutien des programmes de rachats de la BCE va se réduire de 15 milliards d’euros par mois, à partir de mars prochain. Ces éléments militent pour une hausse des taux longs dans quelques mois, d’autant plus que le taux de la BCE à 2,5 % est difficile à justifier, alors que le taux allemand à deux ans est à 2,5 % et le taux à dix ans à 2,11 %, ce qui prouve encore la déprime du marché. Néanmoins, cette hausse des taux en Europe va prendre du temps pour éviter toute catastrophe.»
DÉCRYPTER LES MARCHÉS OBLIGATAIRESPrécédemment responsable du trading book réglementaire de la BEI, Etienne de Marsac, responsable Absolute Return et gérant du fonds Sunny Patrimoine 2.0 (100 millions d’euros d’encours) lancé en janvier 2020, nous expose comment il appréhende les évolutions des marchés obligataires. « Notre fonds est géré selon une approche “quantamentale”, c’est-à-dire macroéconomique et quantitative, en essayant d’avoir la meilleure lecture possible des politiques monétaires des banques centrales à travers le monde et qui sont connectées. Il existe différents marchés obligataires, géographiques et sectoriels, qui ne fonctionnent pas de façon isolée et dont les interdépendances créent des opportunités. Les obligations souveraines et le crédit subissent les décisions monétaires des pays et ces différentiels de taux provoquent des fluctuations de devises. Ainsi, si la Fed décide de baisser ses taux, les taux en zone euro vont tout de même baisser, même si ce n’est pas la volonté de la BCE. Pour expliquer les corrélations entre les différents gisements, il convient de comprendre les flux et leurs origines. Les obligations subissent une quantité d’impacts différents que sont la croissance, l’inflation, le différentiel entre taux court et taux long, les primes de terme, les primes de crédit, les primes de liquidité… Tout ceci constitue les “risk premia”. Il convient également de bien distinguer la dette des pays émergents de celle des pays développés, la dette à court terme de la dette à long terme, les émetteurs privés et les émetteurs souverains. La dette des pays émergents réagit plus comme les actions; elle est donc bien orientée lorsque les primes de risque s’apprécient ou lorsque le cycle macroéconomique est porteur. A l’inverse, la dette des pays développés – en particulier US, Suisse, Japon et Allemagne – est davantage un actif “anti-fragile” et s’apprécie en période de stress. Le crédit réagit aussi plus comme un actif risqué. Enfin, la dette court terme évolue davantage selon la politique monétaire des banques centrales:elle est aujourd’hui dirigée par l’inflation. C’est la grande leçon de 2022. De son côté, la dette de long terme dépend des flux, notamment des besoins d’investissement des fonds de pension, par exemple, ou de l’ALM des banques, qui investissent principalement sur de la duration longue via les emprunts d’Etats. Ces dernières années, la réglementation bancaire et la BCE ont orchestré la raréfaction de la dette souveraine dans la zone euro, via des incitations fortes d’investissement des liquidités et des capitaux propres, mais aussi via le Quantitative Easing : les programmes de rachats de titres avec aujourd’hui 3,2 trilliards d’euros dans les comptes de la BCE. »
PRIVILÉGIER LES VALEURS « VALUE »Bruno Zaraya, associé chez Ginjer AM, nous expose pourquoi les actions restent largement dominantes au sein du fonds Ginjer Actifs 360. « Les marchés avaient pris l’habitude de voir baisser les taux, puis d’évoluer dans un contexte de taux nuls, voire négatifs… Et il faut dire que la dernière hausse de taux longs remontait à plus de quarante ans ! Selon nous, le point de bascule avait été atteint à l’été 2019, lorsque Mario Draghi avait indiqué que la BCE ne pouvait aller plus bas. Or l’appréciation des taux longs qui a eu lieu l’an passé a été soudaine, mais logique, eu égard au contexte économique. Avoir une OAT française au taux de 2,5-3 % n’est pas scandaleux et nous fait revenir aux niveaux de 20072008. Dans ce contexte, bien que les rendements se soient relevés, nous restons prudents avec une duration à un et une poche obligataire à 22 %, essentiellement des emprunts d’Etat pour des questions de liquidité. Car nous estimons que les taux longs vont rester de manière structurelle entre 2,8 et 3,2 %, avec une inflation au même niveau et durable. En effet, la mondialisation a subi un coup d’arrêt. La réindustrialisation va entraîner une hausse des prix pour les biens de consommation. Par ailleurs, la guerre en Ukraine a révélé la nécessité des Etats à atteindre l’indépendance énergétique, ce qui va susciter également une hausse des prix. Pour autant, nous ne nous attendons pas à une récession économique, mais à un ralentissement fort, avec une croissance autour de 0,2 % en Europe. Or dans ce contexte, nous privilégions toujours les actions car elles présentent le meilleur couple rendement-risque. En effet, le PE 2023 du Cac 40 est à 10,8, et une révision de 20 % des bénéfices l’amènerait à 12,5, ce qui n’est pas scandaleux. Chez Ginjer, nous privilégions les valeurs value. Les valeurs de croissance offrent peu de potentiel de valorisation, d’autant plus avec la hausse des taux. Ainsi, il existe des groupes de valeurs sous-évalués. Le dernier trimestre a d’ailleurs laissé entrevoir un rattrapage (+14 % pour Ginjer Actifs 360), alors même que le ralentissement économique est une réalité, parce que les investisseurs étaient allés trop loin sous la pression de la hausse du gaz, du pétrole, etc. Nous privilégions donc les valeurs cycliques – par exemple, Saint-Gobain a enregistré les meilleurs résultats de son histoire, mais son cours de Bourse a reculé de 20 % depuis le début de l’année –, et les valeurs bancaires qui vont profiter de la hausse des taux. »
« UN CONTEXTE ATTRACTIF POUR LA CRÉATION D’UN FONDS DATÉ »En juillet dernier, Financière Arbevel lançait le fonds de portage Pluvalca Crédit Opportunities 2028, cogéré par Ronan Blanc et David Letellier.
Investissement Conseils : Pourquoi avoir lancé Pluvalca Crédit Opportunities 2028 ?Ronan Blanc : Le contexte actuel est attractif pour la création d’un fonds daté. Plusieurs aspects concourent à cette opportunité de marché. Tout d’abord, les entreprises sont aujourd’hui en bonne santé financière. En effet, elles ont dû s’adapter pour traverser les phases de risque répétées et ont donc constitué d’importantes réserves de disponibilités. En Europe, nous ne sommes pas dans une situation où les entreprises devraient faire face à un mur de dettes. Beaucoup d’émissions ont eu lieu en 2020 et 2021, avec des échéances lointaines. Seuls les émetteurs fragilisés durant la crise sanitaire sont concernés. Donc, certes les taux de défaut devraient augmenter, mais les risques sont bien identifiés. Ensuite, la résurgence de l’inflation a conduit à la hausse des taux. Dans ce sens, l’automne 2020 a été un virage important. Après vingt années de désinflation, la crise sanitaire a fait grimper les prix, et la guerre en Ukraine a nourri ce mouvement. Les taux ont augmenté et les spreads se sont écartés, tandis que la Fed a surpris par son interventionnisme marqué. Néanmoins, chez Financière Arbevel, nous considérons que le pic d’inflation est passé. Les ruptures des chaînes d’approvisionnement sont derrière nous, et le coût du fret a fortement reculé.
Comment est bâti votre portefeuille ?Pluvalca Crédit Opportunities 2028 est investi uniquement sur des titres à maturité finie, c’est-à-dire qu’aucune position n’est prise sur des obligations perpétuelles. Nous nous écartons également des titres de valeurs bancaires, car il s’agit d’une activité non-délocalisable qui pourrait être soumise à des évolutions réglementaires fortes ou à des contributions exceptionnelles. Nous privilégions des titres émis par des sociétés ayant des actifs tangibles à leur bilan et qui n’ont pas une politique agressive en termes de croissance externe, de versement de dividende ou de rachat d’actions. De même, nous évitons tout biais sectoriel pour contrer les effets de mode. Le portefeuille est constitué de près de soixante-dix lignes, avec un poids de 2 % maximum, dont les émetteurs sont notés par au moins une agence et pour des souches d’au moins 200 millions d’euros. Les deux tiers du fonds ont une notation d’au moins BB.Nous adoptons une stratégie value:ces titres sont en effet acquis à 85 % de leur valeur. Cela nous permet de délivrer de la performance, à la fois via le coupon et sur le capital, le tout avec une certaine visibilité, même si le pire n’est jamais certain. Une sous-performance impliquerait un taux de défaut élevé. Le fonds propose aujourd’hui un rendement au niveau des actions, avec un sous-jacent obligataire et un couple rendement-risque attractif dans un environnement actuellement très incertain.
Pourquoi avoir choisi une échéance à 2028 ?Notre choix de nous positionner à horizon 2028 s’explique par notre méfiance sur les titres à maturités plus courtes que nous trouvons plus risqués. Aussi, le choix des possibles est beaucoup plus profond sur un horizon cinq ans. Notons que le fonds offre une liquidité quotidienne avec la possibilité d’entrer ou de sortie à tout moment, sans pénalité.
« IL EST TROP TÔT POUR SE POSITIONNER »Gérant-fondateur du cabinet Finadoc, situé près de Lille, François Almaleh nous dévoile sa stratégie sur les marchés obligataires et les fonds Buy and Hold.
Investissement Conseils : Quelle part allouez-vous aux fonds obligataires dans vos allocations ?François Almaleh : Aujourd’hui, la poche des fonds obligataires est très réduite dans nos portefeuilles. Il est trop tôt pour se positionner sur le crédit corporate, tandis qu’un retour sur les obligations d’Etat ne pourra être envisagé que lorsque les taux auront fini d’augmenter.
Pourquoi ?Beaucoup de sociétés de gestion, notamment internationales, prévoient une récession en Europe. Dans ce contexte, les taux de défaut devraient croître. Le risque pris aujourd’hui sera bien supérieur demain si l’on se positionne sur des emprunts de corporate. En effet, beaucoup entreprises notées Investment Grade actuellement pourraient voir leurs notations dégradées et, pour certaines, passer dans la catégorie du High Yield. Comme on a pu le voir dans le passé, une forte décote serait alors enregistrée, puisque de nombreux investisseurs institutionnels ne pouvant détenir des titres à haut rendement devront se séparer rapidement de ces valeurs. Mieux vaut donc privilégier les emprunts d’Etat à duration longue, mais plutôt dans la seconde partie de l’année, car ils pourraient profiter d’une possible baisse des taux.
Vous privilégiez donc la classe d’actifs actions ?Quitte à prendre du risque, il est aujourd’hui préférable de se positionner sur les marchés actions, dont l’évolution de cours est plus réactive et plus proche des performances opérationnelles des entreprises. Ces dernières années, le marché obligataire est deve-nu plus risqué que le marché actions, comme nous avons pu le constater l’an passé. Depuis plus d’un an, les actions et les obligations sont corrélées à la baisse. Or je ne suis pas convaincu que ce mouvement serait le même en cas de hausse des marchés actions, tant la situation est atypique. Selon nous, la récession sera pilotée par les banques centrales et ne sera pas longue. Une baisse des taux est possible dans la deuxième partie de l’année. Les actions seraient alors orientées à la hausse, notamment les valeurs technologiques. Les emprunts d’Etat à duration longue pourraient également profiter de ce mouvement, car les institutionnels resteront à l’écart du crédit, notamment le High Yield. Dans les deux cas – actions et obligations d’Etat –, il convient de privilégier le marché américain, car c’est là où la récession sera la plus atténuée et où le marché obligataire est le plus profond.
De nombreux fonds datés ont été créés. Quel regard portez-vous sur ce type d’offre ?Beaucoup de fonds obligataires à échéance sont, selon moi, imprécis dans leur présentation, se concentrant sur le taux de rendement embarqué que sur le risque de contrepartie. En effet, de nombreux fonds affichent des notations moyennes à BB et, lorsqu’on regarde dans le détail, beaucoup de lignes sont constituées par des titres d’émetteurs moins bien notés (donc des bilans encore plus dégradés et fragiles). Cela revient donc à accroître le risque réel:l’information transmise est trop souvent incomplète sur cette classe d’actif à risque. De plus, nous avons pu constater dans le passé que certains gérants de fonds Buy and Hold n’avaient pas tenu leur promesse. Ces sociétés de gestion avaient, en effet, décidé de fusionner leur fonds avec d’autres, sans attendre l’échéance. Attention donc aux politiques marketing et commerciale des asset managers…
SUR LES ANTICIPATIONS D’INFLATIONEn octobre dernier, La Financière de la Cité (près de 800 millions d’euros d’encours) lançait le fonds FDC Inflation, l’occasion de faire le point sur cette stratégie avec Franck Languillat, son directeur général et directeur des gestions.
Investissement Conseils : Vous avez décidé de lancer le fonds FDC Inflation en octobre dernier. Pour quelles raisons ?Franck Languillat : Il s’agit d’une stratégie que nous avons développée depuis plus de dix ans au travers d’un fonds commercialisé en marque blanche pour un assureur (Monceau Inflation) et que nous avons décidé de répliquer, notamment pour le mettre à la disposition des réseaux de distribution. Ne se contentant pas d’investir exclusivement sur les obligations indexées sur l’inflation, comme ce qui est largement proposé dans les autres fonds, FDC Inflation s’intéresse à la meilleure manière de disposer d’un levier sur les anticipations d’inflation et investi en conséquence. Il a pu délivrer une performance positive en 2022 (+10,95 %), alors que dans, le même temps, les fonds sur les obligations indexées sur l’inflation ont déçu, subissant la hausse violente des taux réels qui a dupliqué celle des taux nominaux.Il s’agit d’un fonds de fond de portefeuille qui vise à permettre de profiter d’une inflation qui, bien qu’en ralentissement marqué attendu pour 2023, devrait être structurellement plus importante ces prochaines années pour des questions démographiques, de mutations énergétiques, de relocalisation industrielle ou encore d’assouplissement budgétaire. Surtout, les banques centrales devraient présenter un discours plus tolérant face à l’inflation sur les années à venir, une fois la situation normalisée.
Comment fonctionne le fonds ?Il ne s’agit pas d’un fonds purement obligataire, puisqu’il se compose schématiquement à 50 % d’obligations indexées sur l’inflation et 50 % d’actions qui ont un comportement statistiquement positif dans les régimes d’inflation soutenue. Comme peu d’émetteurs privés se financent via des obligations indexées, la poche obligataire est constituée de cinq à dix lignes d’emprunts d’Etats des pays développés, principalement la France, l’Italie et les Etats-Unis. Sur cette poche est appliquée une stratégie de couverture dynamique sur les taux nominaux afin de piloter la sensibilité globale du portefeuille, qui reste faible à ce jour. Nous nous positionnons actuellement sur des titres à maturité longue car ce sont ceux qui permettent d’avoir le meilleur levier sur la hausse des anticipations d’inflation, celles-ci ayant reculé ces derniers mois.Quant à la poche actions, principale source de performance, elle est constituée d’environ vingt-cinq valeurs de secteurs, tels que l’énergie (pétrole, gaz, production d’uranium), ou les mines de métaux industriels ou précieux qui surperforment dans les phases d’accélération de l’inflation. L’exposition nette varie dans une fourchette de 20 à 60 % selon nos anticipations de marchés. Elle est actuellement réduite à 27 % via des contrats à terme.
Enfin, quelle est votre position sur vos autres stratégies obligataires ?Notre fonds d’obligations convertibles Amarance, qui dispose de l’un des plus longs track-records de la Place géré par la même équipe de gestion, a nettement surperformé son marché, malgré une performance négative, car nous étions peu exposés aux titres sensibles à la remontée des taux, qu’il s’agisse de la partie obligataire ou des valeurs de croissance, qui ont lourdement souffert l’an passé. Ce marché se stabilise avec un point d’entrée intéressant grâce à une baisse des marchés actions et une hausse des rendements.Sur l’obligataire pur, si nous n’avons pu totalement nous extraire du krach de 2022, nos résultats sont aussi très encourageants, nos gestions ayant conservé une sensibilité réduite sur 2022. Aujourd’hui, le risque est de nouveau rémunéré correctement. Nous reconstituons nos poches crédit, à la fois Investment Grade et High Yield, sans prendre un risque excessif.