La reprise du courtage d’un contrat d’assurance-vie n’est pas exempte d’obligations et elle présente des subtilités insoupçonnées dont leurs négligences peuvent conduire à de graves manquements juridico-réglementaires. Revue de détails.
La reprise du suivi d’un contrat d’assurance par un courtier (ou « ordre de remplacement ») est un acte de gestion qui remonte au début du XXe siècle. Elle est associée aux « usages du courtage », c’est-à-dire à des règles professionnelles régionales (lyonnaises ou parisiennes) issues de la pratique qui ont été généralisées et sont devenues des normes opposables à la profession sous certaines conditions.Le pouvoir de l'ordre de remplacementCes usages ont pour objectifs d’organiser les relations entre les assureurs et les courtiers, voire entre les courtiers eux-mêmes, afin d’établir, outre des règles déontologiques, un droit à commissionnement. La naissance de ces pratiques venait d’une époque où la fortune des clients était essentiellement immobilière.Les assurances-vie ou de capitalisation avec valeur de rachat étaient peu représentatives dans le patrimoine des souscripteurs. En conséquence, ces règles s’adaptaient parfaitement aux contrats d’assurance terrestre qui fonctionnaient le plus souvent « à fonds perdu ». Cependant, au cours de ces dernières décennies, les contrats d’assurance-vie comportant des valeurs de rachat se sont considérablement développés dans le patrimoine des Français. De plus, les règles du jeu se sont modifiées avec l’entrée en vigueur de DDA (1). Elles ont ainsi donné lieu à des prises de position très mesurées ou à « valeur supplétive » de certaines associations (2) sur le droit à l’indemnisation du courtier apporteur afin de prendre en compte l’intérêt client.La question de permettre au souscripteur de choisir librement son conseiller doit être placée au centre de nos préoccupations, puisque le résultat inverse aurait conduit à produire des effets négatifs sur la qualité du service fourni (3).Nous le savons, il existe d’innombrables raisons qui peuvent pousser un client à vouloir changer de conseiller (déménagement ou mécontentement du client, absence de suivi ou radiation Orias du conseiller, etc.), mais le contexte délicat que connaît actuellement l’assurance-vie (4) , confère à l’ordre de remplacement un tel pouvoir qu’il est quasiment devenu une arme redoutable de conquête client tant la procédure de rattachement paraît facile à mettre en œuvre. En effet, l’envoi d’un simple courrier recommandé par le client comportant les références du contrat et l’indication du nouveau conseiller semblent suffire à faire rattacher un contrat au nouveau conseiller.En somme, quoi de plus facile pour un cabinet de « s’approprier » un contrat d’assurance-vie par reprise de courtage plutôt que de proposer une affaire nouvelle très chronophage et sources de tracasseries administratives et réglementaires ! D’ailleurs, on ne peut que regretter l’absence de statistiques à l’échelle nationale quant au traitement de ces ordres de remplacements lesquels semblent être en nette augmentation si l’on se fie uniquement à la multiplication des services de gestion dédiés à cette activité auprès de la plupart des plateformes et des assureurs de la place.Or le conseiller doit savoir que la reprise du courtage d’un contrat d’assurance-vie n’est pas exempte d’obligations. La réalité est qu’elle présente des subtilités insoupçonnées dont leurs négligences peuvent conduire à de graves manquements juridico-réglementaires. Ces subtilités peuvent apparaître dans le cadre de la relation fournisseur, mais également dans le cadre de la relation client.
Les subtilités relatives à la relation fournisseursAvant même qu’un client n’adresse un ordre de remplacement à une plateforme de distribution ou à un assureur, le conseiller doit s’assurer qu’il est en capacité de suivre le contrat concerné. Cela sous-entend qu’un courtier doit préalablement être en relation contractuelle avec le fournisseur et qu’il a connaissance des règles de transfert applicables à sa convention de distribution. Or il existe autant de règles qu’il existe de conventions de partenariat.Le courtier prenant peut ainsi devoir régler une indemnité compensatrice au courtier tenant, car il s’y est engagé par la signature de sa convention de distribution, laquelle a force de loi entre les parties. La prudence recommande donc une analyse minutieuse des termes de la convention conclue avec le fournisseur pour éviter toute mauvaise surprise financière.Par ailleurs, le courtier doit s’assurer que le produit d’assurance peut être commercialisé par son entremise. En conséquence, pour les contrats non encore identifiés dans sa cartographie produits, il devra prendre bien soin à faire « avenanter » sa convention pour percevoir la rémunération correspondante. Qui plus est, la stratégie de distribution préconisée par le fournisseur peut lui interdire la commercialisation de certains contrats spécifiques pour des raisons techniques ou opérationnelles. Par exemple, un même assureur peut décider de réserver la commercialisation de l’un de ses produits d’assurance à son propre réseau d’agents généraux ou encore d’autoriser la commercialisation d’un contrat uniquement auprès de sa clientèle directe au moyen de sa plate-forme digitale de souscription.Enfin, le nouveau conseiller devra recueillir toutes pièces permettant de comprendre le fonctionnement du contrat transféré, ses sous-jacents et/ou ses options de gestion (conditions générales, note d’information, détail des frais appliqués, liste des unités de compte, document d’information clé, etc.).Ces éléments lui seront très utiles pour lui permettre de remplir ses obligations d’information et de conseil.
Les subtilités relatives à la relation clientLe transfert de courtage par ordre de remplacement ne doit pas être confondu avec le mécanisme de transfert organisé par la loi Pacte (5) qui permet de transformer sous certaines modalités un « vieux » contrat en contrat moderne auprès d’un même établissement et ce, même si, dans les deux cas, le souscripteur conserve la date d’effet fiscale de son contrat.En matière de reprise du courtage, dans la mesure où le contrat, l’allocation d’actifs et la clause bénéficiaire (lorsqu’elle existe) ont été préconisées par le courtier cédant, le nouveau courtier doit, sous peine d’engager sa responsabilité, reconstituer le dossier client afin de s’assurer que l’ensemble des éléments de connaissance client ayant permis la conclusion de l’opération et la rédaction de la clause bénéficiaire restent cohérents, et en adéquation avec les besoins et les objectifs du souscripteur. Dans ce dossier, on doit pouvoir naturellement retrouver toute la documentation précontractuelle requise par la réglementation (document d’entrée en relation, recueil d’information, mandat de conseil, rapport d’adéquation) qui pourra être présentée au régulateur en cas de contrôle.De la même façon, le conseiller devra regrouper tous documents et informations nécessaires lui permettant de remplir ses diligences opérationnelles en matière de LCB-FT (6) et ce inclus, les justificatifs d’origine des fonds et de traçabilité du contrat transféré, dans le but d’appliquer le cas échéant des mesures de vigilance appropriées.Enfin, il est recommandé pour le nouveau conseiller de conserver une « photographie » de la situation du contrat avant son transfert et, si possible, de réclamer les documents précontractuels remis par l’ancien conseiller à son client pour en conserver une trace dans ses archives. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur la chaîne de responsabilité qui pourrait être engagée par un souscripteur en cas de conseil non approprié à la suite du remplacement du courtier d’origine. Le client devra-t-il se retourner contre son ancien conseiller, qui a perçu une rémunération pour l’acte de conseil maladroitement délivré, ou bien devra-t-il s’adresser à son nouveau conseiller qui n’a pas su corriger le mauvais conseil « transféré » ? Mais peut-être, le client aura-t-il tout simplement la possibilité d’attraire en justice les deux conseillers pour obtenir la condamnation du cabinet le plus solvable à charge pour ce dernier de se retourner contre l’autre.Compte tenu de ces contraintes, on peut se demander si le jeu en vaut vraiment la chandelle.Cette guerre fratricide entre courtiers autour de la captation de la clientèle ne doit pas nous faire perdre de vue que l’heureux cabinet gagnant d’un jour peut devenir le perdant de demain.Toutes ces raisons plaident pour formaliser de manière méticuleuse la fin de la relation avec un client, y compris dans l’hypothèse d’un ordre de remplacement.
1. Directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances.2. Positions de l’ANCIA et de la CNCGP du 23 octobre 2019.3. Article L. 522-4 du code des assurances.4. Article «L'assurance-vie fait du surplace en 2023, plombée par les fonds en euros»publié le 29 décembre 2023 dans Les Echos.5. La loi Pacte ou loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.6. Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.