Par Laurent Chaudeurge, responsable de l’ESG, porte-parole de la gestion de BDL Capital Management
Les conséquences de la remontée brutale des taux d’intérêts sont de plus en plus visibles et frappent souvent là où on ne les attend pas. Le premier accident a eu lieu en octobre quand la Banque Centrale d’Angleterre est intervenue pour gérer les problèmes de liquidité des fonds de pension anglais. En fin d’année dernière, c’est Blackstone qui a suspendu les demandes de rachats sur BREIT, son fonds immobilier de 135 milliards de dollars. En février, c’est le régulateur italien qui a suspendu les retraits qui fragilisaient la compagnie d’assurance vie Eurovita. Il y a deux semaines, c’est la banque américaine Silicon Valley Bank qui est devenue la victime d’une stratégie d’investissement trop agressive. La semaine dernière c’est Crédit Suisse qui a disparu, racheté par UBS dans un mariage orchestré précipitamment par le régulateur suisse. La banque n’était plus capable de faire face aux retraits de ses clients.
Il est fort probable que d’autres accidents soient à prévoir. La hausse des taux est brutale. Elle fait suite à une décennie d’expansion monétaire historique qui a favorisé la prise de risque et l’effet de levier. Le tour de vis actuel révèle non seulement les excès mais aussi les zones de fragilité. Quand les taux montent, l’écart de duration actif/passif est la source de la plupart des dangers. Par nature, les établissements financiers investissent l’argent confié par leurs clients dans des actifs à moyen terme mais doivent pouvoir leur restituer à tout moment. C’est cet écart temporel qui présente un risque structurel.
En France, les contrats en euros des assureurs sont un parfait exemple de cette problématique. Ils sont le « placement favori des français » car Ils garantissent le capital, les intérêts et la liquidité aux assurés à tout moment. C’est cette triple promesse qui les rend fragiles et très sensibles à une hausse brutale des taux d’intérêt. Pour servir des intérêts chaque année, les compagnies investissent l’argent de leurs clients principalement dans des obligations d’Etat avec une maturité de plusieurs années. Si les taux montent rapidement, la valeur de marché de ces obligations peut baisser en dessous de la valeur du capital garanti à l’assuré. S’il n'y a pas de retrait, cette baisse de valeur n’a pas de conséquence, l’assureur attend l’échéance des obligations et le remboursement au pair, aucune perte n’est constatée. Mais si l’assuré souhaite retirer son argent pour le placer ailleurs, la compagnie d’assurance doit vendre des obligations en moins-values et puiser dans ses provisions pour ne pas afficher de pertes. Si les retraits s’accélèrent et que les provisions s’épuisent, le problème de liquidité et de solvabilité survient et peut remettre en cause l’existence même de l’assureur.
Heureusement, un tel scénario est très peu probable et ce pour au moins deux raisons. Premièrement, le régulateur est conscient de ce risque systémique et a pris des mesures il y a quelques années avec la loi Sapin 2. Les assureurs peuvent bloquer les rachats sur les contrats en euros pour 3 mois renouvelables et dans la limite maximale de six mois. Cette mesure est judicieuse car elle limite le risque de contagion et permet de donner du temps pour résoudre une problématique temporaire de liquidité. Deuxièmement, et paradoxalement, les problèmes récents du secteur bancaire servent aussi les intérêts des compagnies d’assurance. Les assurés qui prévoyaient de retirer leur argent des contrats en euros pour les investir sur des placements bancaires plus rémunérateurs vont probablement faire preuve de prudence et laisser leurs avoirs sur les contrats actuels. La fragilité des uns fait la force des autres.