Energies solaire, éoliennes, transports, hôpitaux, télécommunications… Le secteur des infrastructures est un nouveau terrain d’investissement pour les épargnants en quête de diversification de leur patrimoine.
Alors que l’éventail de solutions d’investissement des épargnants s’élargit progressivement avec la « démocratisation » des fonds de Private Equity (capital-investissement) et de Private Debt (dette privée), les fonds d’infrastructures entrent peu à peu eux aussi dans le patrimoine des Français.
La classe d’actifs englobe un ensemble très vaste de sous-jacents, comme l’expose Xavier Le Blan, Managing Director chez Swen Capital Partners : « Classe d’actifs encore récente, apparue au début des années 2000, les fonds d’infrastructures englobent les services essentiels au développement économique et social d’un pays. Il s’agit tout d’abord du domaine de l’énergie (environ 50 % des transactions en 2022), de sa production, son transport, son stockage et sa distribution avec tous les sujets environnementaux que cela englobe. Ensuite viennent les transports (15 % du marché), un sujet moins tendance actuellement vu ses effets sur l’environnement mais qui reste indispensable, Cette thématique est assez lisible pour les clients finaux : aéroport, rail, port… Il y a ensuite les télécommunications (10 % du marché), dont les besoins ont explosé depuis la crise sanitaire (data centers, tour télécoms, déploiement de la 5G…). Enfin, les infrastructures englobent également les services publics et sociaux : hôpitaux, prisons, installations sportives, crèches, tribunaux… » Marion Redel-Delabarre, Head of Private Wealth chez Axa IM Alts, poursuit : « Les infrastructures bénéficient de facteurs de soutien solides et structurels. Elles sont tout d’abord essentielles et contribuent à la qualité de vie de chacun : prendre une douche, envoyer un mail, se déplacer… Elles bénéficient des grandes tendances mondiales d’aujourd’hui et de demain, qui sont autant de leviers de croissance (évolution démographique, digitalisation économique et transition énergétique), avec des plans d’investissement massifs, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe ».
Une activité dynamiqueMême si la classe d’actifs reste jeune, elle est appréciée des investisseurs institutionnels, aussi bien pour ses performances que par son dynamisme. « Les fonds d’infrastructures lèvent de plus en plus d’argent auprès d’investisseurs désormais convaincus par la rentabilité des opérations, indique Boris Martor, avocat associé chez Bird & Bird et membre du groupe d’expertise énergie et infrastructure du cabinet. Nous constatons également que ce secteur est en perpétuel mouvement, avec des projets aussi variés que le soutien des opérateurs dans le développement de la fibre, la digitalisation des économies, la transition énergétique… Actuellement, les thématiques porteuses sont les data centers dans l’univers des télécoms; le biogaz, le biométhane, l’hydrogène et la géothermie dans l’univers des énergies renouvelables; le ferroviaire et les nouvelles mobilités dans le domaine des transports; ou encore la transformation de minerais essentiels (cobalt, cuivre, lithium…). La France est un pays traditionnellement expert dans le domaine des infrastructures avec de grands champions internationaux dans les domaines de l’eau, de l’énergie, de l’assainissement, et un savoir-faire en termes de concession-délégation de gestion. Sa position géographique et l’attrait du marché français sont également porteurs. Ce bel écosystème qui s’exporte bien explique le positionnement de nombreux fonds en France ces quinze dernières années qui voient dans ces projets ou ces sociétés la capacité de générer des revenus stables et importants dans la durée. » Des actifs réels qui « parlent » au client et qui peuvent être financés en capital ou en dette. « Traditionnellement, il s’agit d’une activité davantage exercée en Equity, mais, eu égard au contexte de taux, les fonds ont su faire preuve d’agilité pour mixer le capital et la dette, poursuit Boris Martor. C’est une évolution que nous avons constatée lors de notre troisième baromètre des fonds d’infrastructures publié en juin 2022 et que nous devrions retrouver pour l’édition 2023. »De fortes tendances sous-jacentesLes fonds d’infrastructures doivent leur développement à la nécessité de faire face à de nombreux défis aussi bien économiques qu’environnementaux que le secteur public ne peut financer seul. « En raison des pressions budgétaires, nous sommes passés d’un financement essentiellement public à un financement également soutenu par les capitaux privés, suggère le Managing Director chez Swen Capital Partners. Pour les clients privés, il s’agit d’une opportunité d’investir dans des actifs en misant sur le sujet de long terme qu’est la transition énergétique, en proposant de l’accélérer tant le déficit de financement est phénoménal. En outre, nos infrastructures ont également besoin d’évoluer pour relever les défis de la décarbonation – pour réduire l’impact environnemental, le développement des énergies renouvelables est primordial –, de la digitalisation et de l’évolution démographique – certains pays ont des besoins colossaux, en particulier en Asie avec la nécessité d’y déployer des infrastructures le plus “propres” possibles. Par ailleurs, la décentralisation des infrastructures est nécessaire, en particulier en France. Cela nécessite d’importants investissements pour produire l’énergie localement ou d’investir dans des solutions de stockage ou de distribution. »Visibilité des rendements et protection contre l’inflationDu point de vue de l’investisseur, les infrastructures offrent une bonne visibilité de performance dans le temps. « Elles ont l’avantage d’être des actifs tangibles offrant une bonne prévisibilité de flux à long terme, tout en étant décorrélées des marchés financiers, analyse Roman Londner, vice-président au sein de l’équipe infrastructures d’Eiffel Investment Group. Elles offrent également une bonne protection contre l’inflation puisque les revenus y sont corrélés ou indexés. »Xavier Le Blan abonde dans ce sens : « Ces actifs permettent de générer des cash-flows stables sur le long-terme, le tout avec une faible corrélation par rapport aux autres classes d’actifs et en général un impact faible du contexte macroéconomique. Jusqu’à présent, les crises n’ont eu que peu d’effet sur la performance des infrastructures, hormis quelques cas, comme les aéroports durant la crise sanitaire. Le couple rendement-risque est attractif, avec de fortes barrières à l’entrée et un cadre réglementaire sécurisant. Dans un contexte d’inflation, ces actifs s’appuient le plus souvent sur des clauses d’indexation des prix, même si les hausses de prix peuvent être difficiles à passer, notamment vis-à-vis des collectivités.» Marion Redel-Delabarre ajoute : « Cet univers d’investissement est également très vaste, ce qui permet de constituer des portefeuilles diversifiés : transport, distribution d’électricité, production d’énergie, sécurisation des données des objets connectés, réseaux routiers, ferroviaire, hôpitaux, écoles… » « Ce secteur est au croisement des segments du Private Equity et de l’immobilier. D’ailleurs, les acteurs du capital-investissement s’intéressent de plus en plus à ce marché qui offre davantage de sécurité », observe Boris Martor.
Stratégies d’investissementOutre le choix entre dette et capital, il est possible d’investir de façon très variée : dans un projet ou une entreprise, sur un actif plus ou moins qualitatif ou dans un projet plus ou moins avancé dans sa conception. « On peut investir à différentes étapes : sur des actifs en devenir jusqu’à leur construction – le risque est alors plus élevé – ou sur des actifs existants, donc avec une forte visibilité sur les cash-flows à venir, résume Xavier Le Blan. Investir dans des infrastructures peut donc se faire de différentes manières sur des actifs plus ou moins sécurisés (core, core+, value added…), via la dette ou en capital, donc avec des potentiels de rendement plus ou moins élevés. »Quelques offresPour les particuliers, des fonds ont été lancés ces dernières années, dont certains peuvent parfois être souscrits via l’assurance-vie. Zoom sur trois d’entre eux.
Chez Swen Capital PartnersDepuis 2021, Swen Capital Partners a créé un véhicule d’investissement ouvert à la clientèle de particuliers, à partir de 200 000 euros et distribué via Laplace et Zenith AM, ainsi que des cabinets de family offices (40 millions d’euros collectés). « Le FPS Swen Exclusive Infrastructures a investi de façon systématique aux côtés des fonds que nous gérons pour le compte d’investisseurs institutionnels », signale Xavier Le Blan.Un second fonds accessible à partir de 125 000 euros vient d’être lancé, avec la particularité d’offri, notamment, l’accès à Swift 2 (Swen Impact Fund for Transition 2), une stratégie d’impact européenne dédiée aux infrastructures de gaz renouvelables (biométhane et hydrogène vert). Ce FPS investit de manière directe et indirecte dans cinquante à soixante participations via, pour 70 %, cinq fonds déjà déployés par Swen Capital Partners, et, pour 30 % en direct dans au moins cinq sociétés ou projets en infrastructure, en minoritaire.Chez Swen Capital Partners, les infrastructures constituent ainsi une part importante des actifs sous gestion: 3,6 milliards d’euros. « Nous investissons via des fonds ou en co-investissement, avec des stratégies développées pour des investisseurs institutionnels depuis plus de quinze ans. Depuis 2019, nous avons créé un pôle dédié qui investit en direct sur l’énergie renouvelable, en particulier la méthanisation et l’hydrogène, actuellement en fort développement, notamment depuis la guerre en Ukraine. Si auparavant ces projets étaient subventionnés pour être rentables, ils sont désormais capables de fonctionner sans ».
Chez Eiffel Investment GroupDe son côté, Eiffel IG se concentre sur les infrastructures nécessaires à la transition énergétique : parcs éoliens, fermes solaires, bornes de recharge pour véhicules électriques… La société a lancé le fonds evergreen Eiffel Infrastructures Vertes qui finance la transition énergétique via des emprunts obligataires. « Nous intervenons, notamment, lors de la période de construction de ces infrastructures en Europe sur des périodes allant de six mois à quatre ans. Plus précisément, il s’agit de la phase où le projet est sécurisé sur le plan administratif et nécessite des financements pour sa construction. Cette stratégie de court-terme nous permet notamment de redéployer les fonds après mise en service des infrastructures et remboursement du financement », explique Roman Londner.Lancé le 15 septembre 2022, ce fonds a délivré une performance de plus de 6,5 % (en date du 10 novembre) depuis son lancement. « Il s’agit d’une solution de fond de portefeuille ; les investisseurs arbitrent actuellement une partie de leur épargne en pierre-papier vers notre solution qui donne un sens à leur épargne. D’ailleurs, notre contribution à la transition énergétique est palpable, puisque nous rendons compte de l’impact du fonds dans nos reporting (tonnes de CO2 évitées, emplois créés…) », poursuit le dirigeant. Le fonds dispose d’un actif net de plus de 90 millions d’euros et devrait atteindre les 100 millions d’euros, d’ici la fin de l’année. Une dizaine de financements ont été réalisés, représentant près de cinquante infrastructures sous-jacentes, dans toute l’Europe (Irlande, Italie, Espagne, Pologne, Portugal, Allemagne). Il est accessible exclusivement dans le cadre de l’assurance-vie et de l’épargne-retraite, référencé chez AG2R La Mondiale, Generali, Spirica et Suravenir, et prochainement chez d’autres assureurs. Deux autres véhicules dédiés à deux autres assureurs ont été lancés depuis 2021 : Maif Rendement Vert et Allianz Transition Energétique. Au total, Eiffel gère près de 250 millions d’euros sur cette stratégie dédiée aux épargnants.
Chez Axa IM AltsDepuis trois ans, Axa IM Alts distribue le fonds Axa Avenir Infrastructure auprès du grand public, accessible via les contrats Axa (environ 930 millions d’euros d’encours) et géré par une équipe dédiée qui gère 7 milliards d’euros en Equity Infrastructures depuis une dizaine d’années. Ce fonds se veut très diversifié, avec une poche d’investissement non coté en infrastructures en direct et via d’autres véhicules d’investissement (deux-tiers du fonds), une poche d’actifs cotés (actions et obligations) et une poche de liquidité. « Il co-investit dans des opérations pour lesquelles nous investissons pour le compte de nos clients investisseurs institutionnels, confie Marion Redel-Delabarre. Nous sommes opportunistes vis-à-vis des sous-jacents (utilities, digital, infrastructures sociales, transport, production d’énergie renouvelable, etc.), même si quelques thèmes sont surreprésentés, comme l’énergie, notamment l’éolien, le digital (fibre optique) et la mobilité. Le fonds investit majoritairement en Europe, l’une des régions les plus avancées sur cette classe d’actifs et où nous sommes très présents. La sélection de fonds tiers nous permet de diversifier l’allocation, notamment sur les marchés US ou sur des sous-thèmes, comme l’hydrogène. » La stratégie repose principalement sur la détention d’actifs sur le long terme en Equity, mais la stratégie s’est également orientée vers la dette pour bénéficier du contexte actuel de taux.Axa IM Alts dispose aussi d’un fonds d’actifs cotés – Axa World Funds-Selectiv’ Infrastructure –, composé de façon équipondérée d’actions et d’obligations d’entreprises opérant dans le domaine des infrastructures.
En recul sur le premier semestreSelon les données de France Invest issues de l’étude « Activité du capital-investissement français au 1er semestre 2023 » publiée en octobre dernier et menée avec Grant Thornton, les levées de capitaux des fonds d’infrastructures au premier semestre 2023 sont en recul lors du premier semestre 2023, à 4,4 milliards d’euros, en raison de l’absence de levées de grande taille. Elles s’affichent en retrait de -9 % par rapport au premier semestre 2022 et de -46 % par rapport à la moyenne des semestres compris entre le premier semestre 2018 et le second semestre 2022. Les compagnies d’assurance restent les principaux souscripteurs des fonds d’infrastructures, devant les fonds de fonds et les fonds de pension, représentant, à eux trois, plus de 75 % des montants levés. Les personnes physiques-family offices représentent 3 % des souscriptions, à 135 millions d’euros, en augmentation de 55 % par rapport à la moyenne semestrielle observée entre le premier semestre 2021 et le deuxième semestre 2022.Les énergies renouvelables et les télécommunications dominent largement le secteur en montants investis au premier semestre, respectivement 1 457 millions d’euros et 1 779 millions d’euros, devant l’environnement (182 millions d’euros), les infrastructures sociales (161 millions d’euros) ou encore les transports (57 millions d’euros).Selon une autre étude de France Invest, réalisée avec EY, « Performance nette des acteurs français du capital-investissement » de juillet 2023, les fonds d’infrastructures réalisaient, en 2022, un TRI net de 16,5 % sur dix ans (contre 14,2 % pour la moyenne des fonds de capital-investissement), 16,2 % sur cinq ans (contre 14,2 % pour la moyenne des fonds de capital-investissement) et 15,5 % sur trois ans (contre 14,2 % pour la moyenne des fonds de capital-investissement).
Pourquoi pas le Crowdlending ?Depuis 2015, Enerfip propose aux investisseurs de financer la transition énergétique via le Crowdfunding à partir de 10 euros. La plate-forme a levé 400 millions d’euros, dont 300 millions d’euros sur les trois dernières années, auprès de vingt mille investisseurs. Ces derniers souscrivent alors à des obligations d’une durée allant de dix-huit mois à quatre ans pour financer des projets de constructions d’infrastructures. «Il s’agit d’accompagner des projets détenant déjà toutes les autorisations nécessaires, précise Vincent Clerc, cofondateur d’Enerfip. Ces opérations sont à des stades de maturité différents:de la sécurisation du foncier jusqu’à la construction. Pour l’investisseur, le rendement moyen est de 7 % par an sur des durées moyennes de trente mois.»La plate-forme permet principalement de financer des opérations liées aux énergies renouvelables, en particulier solaires car les enjeux administratifs sont moindres que dans l’éolien. Quelques projets dans l’hydrogène et la méthanisation ont aussi été mis en place, ainsi que des projets d’efficacité énergétique et de réduction de consommation énergétique pour des centres commerciaux ou des acteurs industriels; ou encore des bornes de recharge électrique ou le financement de flottes de véhicules électriques. Devenue société de gestion en septembre 2022, la société a lancé un premier FCPI (Enerfip Transition 1) dédié aux investisseurs professionnels et compte lancer un FCPR en 2024 pour la clientèle retail.Outre une clientèle d’investisseurs en direct, la société collabore avec une trentaine de cabinets de CGP, ainsi que quelques banques privées mutualistes.