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La Cour de cassation confirme que seul le nu-propriétaire a la qualité d’associé (avis Cass. com. 01/12/2021).
Ce qu'il faut retenirPar un avis en date du 1er décembre 2021, la Cour de cassation prend position pour la première fois de façon claire sur la question de savoir si l’usufruitier de parts sociales a la qualité d’associé. Elle affirme que l’usufruitier des parts sociales ne peut pas se voir reconnaître la qualité d’associé. Par conséquent, en cas de démembrement de propriété, seul le nu-propriétaire a la qualité d’associé (Cass. com. 1er déc. 2021, n° 20-15164).
La Cour de cassation précise toutefois que l’usufruitier peut exercer certains droits de l’associé, si l’exercice de ces droits est susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales. Dans les faits jugés, il s’agissait du droit de convoquer une délibération.
Remarque : l’avis porte sur des parts sociales de société civile mais la règle ici dégagée nous semble pouvoir être transposée à toute société, que l’usufruit porte sur des actions ou parts sociales.
Conséquences pratiquesLe fait que l’usufruitier n’ait pas la qualité d’associé n’aura pas de conséquences particulières concernant la répartition des droits de vote puisque celle-ci est prévue par la loi. Pour rappel, en ce qui concerne le droit de vote des associés en cas de démembrement, l’usufruitier conserve uniquement le droit de vote relatif à l’affectation des bénéfices. Pour toutes les autres décisions, où le droit de vote est attribué au nu-propriétaire, les statuts (ou une convention conclue entre l’usufruitier et le nu-propriétaire) peuvent déroger au principe selon lequel le droit de vote appartient au nu-propriétaire. A titre d’illustration, les statuts peuvent attribuer l’ensemble des droits de vote à l’usufruitier. Dans ce cas, l’usufruitier vote pour l’ensemble des décisions.
Remarque : l’alinéa 3 de l’article 1844 du code civil prévoit la possibilité pour le nu-propriétaire et l’usufruitier de participer aux délibérations, indépendamment de la répartition du droit de vote prévue pour les décisions collectives. Les statuts ne peuvent pas y déroger. Ainsi, même si on attribue l’ensemble des droits de vote à l’usufruitier, le nu-propriétaire reste convoqué car il a le droit de participer aux décisions collectives.
En revanche, la qualité d’associé confère certaines prérogatives essentielles, dont l’usufruitier ne pourra pas jouir. Il s’agit notamment des prérogatives suivantes :
- l’usufruitier se voit refuser toute action en justice liée à la qualité d’associé (exemple : action en responsabilité contre le gérant, révocation judiciaire du gérant) ;
- l’usufruitier est exclu de toutes les prérogatives réservées par les statuts aux associés :
* il ne peut pas être nommé gérant si celui-ci doit être choisi parmi les associés ;
* il n’est pas concerné lorsqu’une décision doit être prise à l’unanimité des associés ;
- l’usufruitier ne peut pas effectuer d’apports en compte courant, à moins d’être dirigeant de la société ;
- l’usufruitier n'est pas tenu des dettes sociales.
Par ailleurs, l’usufruitier ne devra pas être décompté comme un associé pour savoir si la société est ou non unipersonnelle, si elle respecte le nombre minimal ou encore maximal d'associés.
Avis Fidroit : Dans toutes les stratégies consistant à transmettre la nue-propriété de titres tout en s’en réservant l’usufruit, il convient tout d’abord de s’assurer que les statuts sont adaptés au démembrement de propriété et correspondent au souhait de l’usufruitier : - il pourra être envisagé de lui offrir la quasi-totalité des droits de vote ; l’usufruitier pourrait aussi être nommé dirigeant de la société et on pourra donner le maximum de droits au gérant. Ensuite, afin d’éviter que l’usufruitier ne se voit privé des prérogatives détaillées ci-dessus, on s’assurera qu’il conserve au moins une part en pleine propriété afin de lui assurer la qualité d’associé. Notez par ailleurs que la conservation d’une part en pleine propriété permet également d’éviter d'invoquer le critère « d’incidence indirecte sur le droit de jouissance » des parts sociales de l’usufruitier (dégagé par la Cour de cassation) permettant de savoir si l’usufruitier peut convoquer une délibération d’associés ou non. En effet, l'appréciation de ce critère s'avère complexe et sujet à interprétation, d’autant que certains auteurs considèrent qu'il pourrait être appliqué à tout droit que la loi et/ou les statuts attribueraient à l’associé et non seulement aux délibérations.
Pour aller plus loin ContexteJusqu’à présent, aucune précision n’était apportée quant à la qualité d’associé de l’usufruitier.
Pour mémoire, la doctrine majoritaire ne reconnaissait pas la qualité d’associé à l’usufruitier et certains arrêts de la Cour de cassation paraissaient aller dans ce sens. Toutefois, la Cour de cassation n’avait jamais tranché expressément la question, comme elle avait pu le faire pour le nu-propriétaire (Cass. civ. 3, 29 nov. 2006, n° 05-17009, Cass. com. 4 janv. 1994, n° 91-20256).
Cette position était contestée et pour une partie des auteurs, le nu-propriétaire ET l’usufruitier étaient tous deux associés.
L’avis de la Cour de cassation vient donc mettre fin au débat doctrinal.
FaitsLes deux usufruitiers d’une société civile ont demandé au gérant de provoquer une délibération des associés concernant la révocation de ses fonctions et la nomination de co-gérants. Suite au silence du gérant, ils ont assigné le gérant et la société afin que soit désigné un mandataire ad hoc pour procéder à ladite délibération.
Le président du TGI a déclaré leur demande irrecevable en considérant que la demande faite au gérant de provoquer une délibération ne peut émaner que d’un associé et que les requérants n’étaient pas associés puisqu’ils étaient simplement usufruitiers.
Les usufruitiers font appel de la décision en considérant qu’il n’existe aucune position claire sur la question de savoir si l’usufruitier a la qualité d’associé et que l’usufruitier pouvant se voir conférer l’ensemble des droits de vote, cela signifie qu’il dispose de certaines prérogatives attachées à la qualité d’associé. Ils considèrent donc qu’il y a lieu de reconnaître leur qualité à agir.
La cour d’appel, comme le TGI, considère que les usufruitiers n’ont pas la qualité d’associé et rejette leur demande.
Les usufruitiers se pourvoient en cassation. La troisième chambre civile saisie du pourvoi sollicite alors l’avis de la chambre commerciale sur la question.
DécisionLa chambre commerciale considère que l’usufruitier « de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé. » En revanche, il « peut provoquer une délibération des associés, en application de l'article 39 du décret du 3 juillet 1978, si cette délibération est susceptible d'avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts sociales. »
Analyse de la décisionAlors qu’on aurait pu croire que la décision viendrait renforcer la protection du nu-propriétaire en lui réservant la qualité d’associé, l’avis de la chambre commerciale vient plutôt renforcer plus encore la protection de l’usufruitier.
En effet, la loi permet déjà d’offrir, par un aménagement des statuts, la totalité des droits de vote à l’usufruitier, quand bien même on pourrait considérer qu’il existe un risque d’altération de la substance de la chose, qui porterait ainsi préjudice au nu-propriétaire.
Dans cet avis, la chambre commerciale exclut certes la reconnaissance de la qualité d’associé à l’usufruitier, mais elle lui permet d’exercer certains droits réservés à l’associé (ici le droit de provoquer une délibération des associés) sous réserve que l’exercice de ce droit soit susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance. Il s’agit donc d’une exception qui pourrait être plutôt importante selon les contours qu’on donne à ce critère « d’incidence indirecte » et qui vient protéger l’usufruitier au détriment du nu-propriétaire qui, lui, a la qualité d’associé.