L'inflation en question : ce qu'en pensent les professionnels

16/03/2021 - source : Gestion de Fortune

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Beaucoup d’analystes, de stratégistes et d’investisseurs croient à un retour de l’inflation. Pour apporter de l’eau à leur moulin, les taux d’intérêt se sont récemment tendus. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps ! Nous reprenons quelques-unes des explications de quatre spécialistes.

Matthieu Bailly, directeur général d’Octo Asset Management (filiale d’Amplegest), spécialiste de la gestion obligataire value, estime que la hausse des taux du mois de février 2021 n’était pas liée à l’inflation. « Sur le mois, l’inflation anticipée, qui est le sous-jacent des taux (et non pas l’inflation passée qui, par définition, est déjà subie et, donc, absente des taux futurs), explique-t-il, n’a pas clairement grimpé dans la zone euro, évoluant en dents de scie entre 1,20 % et 1,32 %. En revanche, le taux allemand à 10 ans, lui, a bien grimpé, passant de – 0,52 % à – 0,26 %. »

 

Les analystes dans l’erreur

 

Corollaire du point précédent, les obligations « indexées inflation », par ailleurs plus volatiles que les obligations classiques, n’ont pas protégé l’investisseur de la récente hausse des taux, puisque celle-ci ne venait pas de l’inflation, contrairement à ce que d’aucuns prétendaient. « C’est une période de petit sell off généralisé qu’on a vu sur les obligations d’Etat, souligne l’expert obligataire, et non un mouvement lié à des considérations inflationnistes. »

Pour Matthiey Bailly, les nombreux analystes qui arguent depuis deux décennies que les taux, trop bas, sont voués à remonter, sont dans l’erreur. En raison de crises à répétition, de la mondialisation, de la technologie et d’autres facteurs d’ordre économique, politique ou monétaire, les taux n’ont, au contraire, cessé de chuter dans la période. « Ceux qui pensaient, ironise-t-il, que les taux étaient trop bas à 2 %, pensent à fortiori aujourd’hui que les taux négatifs sont intenables ! » Si la hausse des taux de début d’année, relativement modeste, a provoqué des chutes de performance sur certains fonds investis en dette souveraine ou peu flexible, les facteurs de l’invalidation d’une hausse des taux n’ont pas changé. Notons que certains fonds offrent des rendements élevés, à l’image d’Octo Crédit Value (autour de 4,5 % pour une sensibilité de 4,5 ans, avec une progression de 0,46 % en février, contre un recul du Bund de 2,5 %).

 

Manque de moteurs à moyen terme

 

Pour sa part, Jean-Jacques Friedman, chief investment officer de Natixis Wealth Management, fait observer que les autorités monétaires et budgétaires ont tout fait pour ramener le plus tôt possible l’activité et les prix à leur situation de pré-pandémie, que ce soit en termes de programmes d’achat d’actifs massifs ou de vastes plans de relance. « Cette situation, analyse-t-il, commence tout juste à engendrer une certaine hausse des prix tout à fait logique, car inhérente à la croissance naturelle de l’économie. Une légère hausse de l’inflation constitue un élément favorable pour les marchés, parce qu’elle amoindrit le niveau des taux réels, déterminant essentiel de la valorisation des actions. »

Avant de pouvoir envisager une augmentation des prix qui serait défavorable aux marchés, sachant que les banques centrales n’interviennent pas immédiatement pour augmenter le niveau de leurs taux directeurs, il faudrait que les niveaux d’inflation soient déjà élevés, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. De surcroît, alors que la plus grande flexibilité du travail génère des gains de productivité supplémentaires, plusieurs éléments, comme la démographie, la mondialisation du marché du travail, la digitalisation ou la mise en concurrence généralisée, militent toujours en faveur du même régime d’inflation. Ces tendances de fond forment une « force de rappel » face aux risques de remontée de l’inflation.

Pour Jean-Jacques Friedman, la création monétaire et la question du réemploi des liquidités ne sont pas non plus des facteurs inflationnistes, car celles-ci circulent encore très peu dans l’économie réelle. « L’abondance de liquidités créées pour faire face à la crise sanitaire, commente-t-il, sera redéployée en faveur des actifs financiers ou immobiliers. Les investisseurs s’interrogent sur une éventuelle fin des mesures d’assouplissement monétaire. Or, par un effet de base, s’ils devraient certes progresser au cours des prochains mois, les chiffres d’inflation seront rapidement plafonnés, compte tenu du manque de moteurs à moyens terme : pas d’inflation salariale, propension à épargner, demande en berne, investissement faible… »

 

La revanche de la value

 

Selon le stratégiste, le schéma de « courbe en cloche » pour définir la progression à venir de l’inflation est le plus probable. Il n’y a donc pas lieu de remettre pour l’instant en cause les politiques d’assouplissement monétaire. Frédéric Rollin, conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet Asset Management, pense que les craintes concernant l’inflation sont « exagérées », bien qu’elles aient bousculé les marchés de taux et les valeurs de croissance. « Les valeurs cycliques, précise-t-il, sont portées par le rebond économique. La signature du plan Biden pourrait leur donner un nouveau souffle. Nous renforçons notre biais cyclique en surpondérant les valeurs bancaires.

Ces dernières bénéficient d’une amélioration de la qualité de leurs prêts à l’économie et de la reconstitution des marges provenant de la hausse des taux longs. A l’inverse, nous réduisons le poids de la santé, peu sensible au rebond économique. » Enfin, chez Oddo BHF, Laurent Denize, CIO Asset Management, et Jan Viebig, CIO Private Wealth Management, indiquent aussi qu’une hausse des rendements des obligations américaines (1,60 % actuellement sur le bon du Trésor à 10 ans) implique que les actions mondiales de style croissance sous-performeront par rapport aux actions mondiales de style value. « Les premières sont beaucoup plus chères et, par conséquent, plus vulnérables à une hausse des taux d’actualisation. »

ML