L’art de revaloriser les déchets organiques

02/05/2022 - source : Profession CGP

A l’heure où l’Europe fait face à une crise énergétique intense et que le poids des énergies renouvelables est amené à se développer également pour des questions écologiques, des alternatives existent. Exemple avec Evergaz, société spécialisée dans le biogaz, qu’accompagne Entrepreneur Invest dans son développement depuis douze ans.

En 2008, Frédéric Flipo (ancien gérant chez Oddo & Cie, de la Société générale ou encore de Flinvest où il se spécialise sur les small et mid-caps du secteur des énergies renouvelables), Lionel Le Maux, Samuel Moreau (tous trois via la société Aqua) et André May lançaient Holding Verte (devenu Evergaz en 2015), une société dédiée à la méthanisation permettant la production de biogaz, une énergie renouvelable qui peut être transformée en électricité verte, chaleur verte, gaz vert et BioGNV.

La méthanisation est un procédé biologique naturel qui s’apparente à la digestion des aliments : il repose sur la transformation de la matière organique en biogaz, par l’action de bactéries vivant en milieu anaérobie (c’est-à-dire sans oxygène). Transposé au monde industriel, ce procédé est reproduit dans des cuves hermétiques chauffées et brassées : des méthaniseurs ou digesteurs.

 

Une technologie importée d’Allemagne

« C’est lors d’un voyage en Allemagne qu’avec un de mes associés nous avons découvert le biogaz. Le marché y était alors très développé, avec à l’époque neuf mille unités (onze mille aujourd’hui), contre aucune en France (mille trois cents désormais), rappelle Frédéric Flipo, aujourd’hui directeur général d’Evergaz. En France, le marché reste dominé par le nucléaire, ce qui explique ce moindre développement. Or, le gisement de déchet est colossal en France. Le marché allemand reposant sur une technologie mature, nous avons souhaité l’exporter dans l’Hexagone. Aujourd’hui, Evergaz apporte une solution durable et circulaire à la gestion et au traitement des déchets organiques, tout en produisant un fertilisant naturel et une énergie verte. » Pour réaliser sa production, Evergaz s’appuie sur le recyclage de matières organiques locales en provenance du monde agricole, d’abattoirs et d’industriels (produits déclassés ou résidus). Or les besoins de ces différents acteurs sont de plus en plus importants et contraints par la réglementation. « Un industriel peut payer 120 euros de taxes par tonne de déchet non recyclé, rappelle Frédéric Flipo. Et d’ici au 1er janvier 2024, les biodéchets ménagers devront être collectés de manière séparée ; soit un volume énorme de matière première pour la méthanisation ! »

 

Energie et engrais

Le biogaz est une énergie primaire qui une fois épurée est injectée dans des réseaux de distribution et de transport de gaz (GRDF et GRT Gaz), à un tarif fixé en octobre 2011 pour une durée de quinze ans ; ou peut être transformée en électricité réinjectée dans le réseau Enedis. Les tarifs d’achat de l’électricité produite ont été fixés en 2006, revalorisés en mai 2011, et sont garantis sur vingt ans. La chaleur produite dans les unités est également évacuée localement. Il s’agit par exemple d’une fromagerie ou encore d’une usine de transformation de plumes de canards. Le biogaz peut être transformé en BioGNV avec une première station en Mayenne et une à venir en Picardie. Les déchets issus de la méthanisation (le digestat) sont eux aussi valorisés sous deux formes : une liquide, source d’engrais naturel et qui vient « concurrencer » l’industrie chimique ; et une autre solide, sous forme d’amendement qui vient enrichir les sols. « Alors que la guerre fait rage en Ukraine, notre production de gaz, mais aussi d’engrais prend aujourd’hui de plus en plus d’importance. »

 

Intensité capitalistique

Rapidement après la création de la société, en 2010, Entrepreneur Invest, spécialiste du financement des PME françaises (de 5 à 50 M€ de chiffre d’affaires, 1,3 Md€ sous gestion), prenait une participation au sein de la société. L’objectif est alors de créer la première unité de méthanisation qui sera ouverte en octobre 2014. « S’agissant d’une activité très intense sur le plan capitalistique, Entrepreneur Invest nous a permis d’avoir les fonds propres pour construire et exploiter notre première unité et de disposer des équipes nécessaires, analyse Frédéric Flipo. Le fait d’être soutenu par un fonds de capital-investissement nous a apporté de la crédibilité pour attirer d’autres investisseurs, d’abord des family offices avec les familles Alloin en 2012, puis celle d’Alain Planchot deux ans plus tard. »

Ce dernier, un entrepreneur engagé dans les services à l’énergie et l’environnement depuis qu’il a rejoint l’opérateur de services énergétiques Idex (créé par son père en 1963), a pris la présidence de la structure en 2016.

 

Croissance externe

Puis la société Evergaz a poursuivi son développement par croissance organique et externe, toujours accompagnée par Entrepreneur Invest, des fonds de capital-investissement, comme Swen Capital Partners, Meridiam et des entrepreneurs.

En 2016, Evergaz réalisait une opération de croissance externe en Allemagne pour 12 millions d’euros, via une émission d’obligations convertibles. Trois unités de méthanisation sont acquises. « Nous avons eu l’opportunité d’être accompagnés par un investisseur qui a compris que la réussite de nos projets se situait bien en amont de leur exploitation. Cela nous a par exemple permis de recruter un gérant d’exploitation qui exploitait une quinzaine de sites, alors que nous en gérions moins d’une dizaine. Si cela a pesé sur nos coûts dans un premier temps, cet apport a sécurisé notre croissance et nous a permis de monter en puissance et à libérer du temps au management. Ce recrutement nous a aussi permis d’avoir une meilleure force de négociation pour la reprise de sites, mais aussi l’arrivée de nouveaux investisseurs, comme Meridiam Transition en 2018, un fonds dédié à la transition écologique dans les infrastructures européennes qui compte 18 milliards d’euros d’actifs sous gestion. »

L’an passé, Evergaz faisait l’acquisition de dix unités, toujours en Allemagne, à Kiel. « Cette opération nous a permis de devenir un opérateur intégré outre-Rhin, avec une équipe locale constituée de trente-cinq personnes qui exploitent ces unités. Lorsque nous réalisons des acquisitions, il s’agit soit de moderniser et restructurer des unités de production grâce à notre savoir-faire technique ou nos capacités d’investissement, soit d’augmenter la capacité de production de ces sites. Parfois ce sont les banques qui nous appellent pour cofinancer des projets, ainsi que pour apporter notre savoir-faire technique et notre expérience. »

Désormais, ce sont vingt-quatre unités de production que gère Evergaz : neuf en France, treize en Allemagne et deux en Belgique. Pour son développement, Evergaz se concentre toujours sur les trois mêmes axes : la construction d’unités de production, la reprise de projets et l’augmentation des capacités de sites existants.

 

Evergaz en quelques chiffres

Création en 2008

24 unités de méthanisation

Présence dans 3 pays

47,5 MWél (mégawatts électriques) de capacité installée

11 871 Nm3/h (normaux mètres cubes-heures) de biométhane injectés équivalent

1,034 TWh (terawatt-heure ou milliard de kilowatts-heure) produits chaque année

180 000 personnes alimentées

100 000 tonnes de CO2 évitées par an

1 million de tonnes de déchets traités par an

 

L’œil du capital-investisseur

« En tant qu’entreprise de capital-investissement, notre choix s’est avant tout porté sur les qualités des entrepreneurs. De notre côté, nous apportons notre savoir-faire dans la structuration de leur financement selon leurs besoins et objectifs, précise Bertrand Folliet, cofondateur d’Entrepreneur Invest. Evergaz est un bon exemple de réussite d’une société française qui se développe à l’international. Notre premier investissement leur a permis de franchir une première étape importante. Depuis, nous les accompagnons avec d’autres acteurs dans leur développement. L’équipe d’Evergaz a su faire évoluer sa structure en se remettant en question, en intégrant de nouvelles expertises et en se structurant. La nomination à leur tête d’Alain Planchot, qui a apporté son expérience du marché des énergies renouvelables, en est un exemple. »