Sur le papier, nouer une relation privilégiée avec un ou plusieurs cabinets d’expertise-comptable est la solution idoine pour un CGP soucieux de développer sa clientèle et d’optimiser la gestion des patrimoines de ses clients. Dans les faits, si les exemples de réussite sont réels, plusieurs freins rendent parfois difficile la mise en place de ce partenariat.
Pour développer leur cabinet, l’une des solutions privilégiées par les conseillers en gestion de patrimoine consiste à nouer des relations avec des professions connexes, au premier rang desquelles se trouvent les experts-comptables. Partenaires de confiance des entrepreneurs, ils sont la porte d’entrée idéale pour cette clientèle très prisée des conseillers patrimoniaux. Professionnels libéraux comme les CGP, la mise en place d’une relation avec les experts-comptables apparaît naturelle. « Patrimum Groupe a pour fondement le travail en interprofessionnalité. Notre développement repose sur le travail en collaboration avec les conseils de nos clients chefs d’entreprise, note Thibaut Marty, associé et vice-président de Patrimum Groupe. Notre indépendance capitalistique depuis vingt ans désormais est aujourd’hui un accélérateur de ce type de partenariat, tout comme le fait que chaque conseiller soit associé à Patrimum Groupe, ce qui le rend encore plus responsable de ses actes. Ces dimensions sont recherchées chez nos partenaires. Les conseils se connaissant, forts de leur relation de confiance et de leurs habitudes de travail, cela facilite grandement la vie du client qui n’a plus besoin de faire le lien. Et chaque professionnel abordant par son prisme l’expert-comptable par la société et les aspects professionnels, le notaire par le civil, le droit de la famille et le droit de l’immobilier, les avocats en fonction leurs spécialités sur des aspects plus spécifiques et sur les notions de risques et les acteurs du M&A sur l’accompagnement et la mise en place de la cession ou des opérations restructurantes de type LBO. Patrimum Groupe amène une stratégie d’ensemble, la cohérence et son expertise financière ; le client bénéficie d’un conseil de très haut niveau, concerté, challengé et vue par tous les angles. » Mais la situation n’est pourtant pas toujours idyllique, comme le relate Julie Compagnon, présidente de Magnacarta group : « Nouer des relations d’affaires avec des experts-comptables est le rêve absolu pour les CGP, tant les synergies semblent évidentes. Or dans les faits, cela ne semble pas aussi évident pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les experts-comptables sont très soucieux de leurs clients et, le plus souvent, ne préfèrent pas s’engager à recommander un CGP au risque d’entacher leur réputation en cas de mauvais investissement. Les experts-comptables ont aussi l’impression d’être en capacité de prodiguer des conseils patrimoniaux, ce qui n’est pas si évident… Au final, c’est une collaboration difficile à mettre en œuvre. Chez Magnacarta group, certains de nos adhérents ont des relations d’associés avec des experts-comptables, mais cela reste marginal ».
Des bénéfices pour toutes les partiesDans les faits, les relations entre les deux professions se nouent généralement d’individu à individu. Elles peuvent être ponctuelles ou très structurées, jusqu’à la mise en place d’une structure commune. Toujours est-il que, pour le client, la collaboration entre un professionnel du chiffre et un professionnel du patrimoine – mais aussi ceux du droit, notaire et avocat – lui permet de bénéficier d’une prise en compte globale de ses problématiques et objectifs professionnels et privés. « Le CGP apporte une vision à 360° complémentaire de celle de l’expert-comptable qui reste très concentré sur le patrimoine professionnel du dirigeant. Dans ce sens, le CGP et l’expert-comptable coordonnent les efforts avec les autres conseils du client », confirme Maxime Chiche, directeur des partenariats interprofessionnels chez Crystal.Pour le CGP, les problématiques des dirigeants d’entreprise étant complexes, la facturation d’honoraires sera plus aisée (« La facturation d’honoraires progresse d’année en année et constitue désormais 30 à 40 % de notre chiffre d’affaires », note par exemple Thibaut Marty), tandis qu’à l’issue de ses préconisations il pourra proposer un large éventail de solutions tant sur les aspects privés que professionnels (prévoyance, épargne salariale, gestion de trésorerie, etc.). Pour le CGP, être «introduit»par un expert-comptable semble être la voie royale : « Je suis souvent interrogé pour des missions ponctuelles, comme la prévoyance, le placement d’une somme d’argent, la mise en place d’épargne salariale ou encore de la défiscalisation, affirme Alexis Teillant, gérant du cabinet Axe Conseils Patrimoine, au Havre, qui collabore avec quelques experts-comptables connus par relation ou pour services rendus. Dans ce cadre, cela permet de profiter de la confiance qu’a le client envers son expert-comptable. Lorsqu’on est recommandé par un expert-comptable, il est aisé de réaliser une affaire et il s’agit le plus souvent de belles sociétés. » Pour l’expert-comptable, ce partenariat permet d’augmenter le service rendu au client et de diversifier ses sources de chiffre d’affaires, alors que la profession comptable voit ses marges s’éroder en raison de la digitalisation de l’activité. « La profession comptable est aujourd’hui bouleversée par la digitalisation de son activité, mais aussi la difficulté à trouver de nouveaux collaborateurs. Parallèlement, les experts-comptables expriment de plus en plus leur appétence pour des missions complémentaires, notamment la gestion de patrimoine, d’autant plus qu’ils peuvent désormais distribuer des solutions d’investissement et disposer de participation dans des sociétés immatriculées à l’Orias », note Maxime Chiche.
Comment instaurer la confianceLa mise en relation avec un expert-comptable est le plus souvent initiée par le CGP, comme l’assure Thibaut Marty : « Nous sommes mis en relation avec les experts-comptables, le plus souvent à notre demande afin de réaliser un audit exhaustif du patrimoine de nos clients, notamment en observant les clauses d’agrément et les pactes d’associés ou encore d’appréhender les conséquences de l’éventuel décès du dirigeant sur le fonctionnement de l’entreprise. Notre approche avant tout orientée sur le conseil nous permet d’avoir des échanges sains avec ces professionnels du chiffre. »De son côté, Crystal dispose d’une forte antériorité sur ce marché, acquise avec le rachat d’Expert & Finance, même si cela ne fait pas tout. « Si notre notoriété nous aide, les relations avec les experts-comptables sont des histoires de confiance, d’homme à homme, estime Maxime Chiche. Deux éléments sont plus particulièrement différenciants : posséder des compétences de haut niveau en ingénierie patrimoniale, avec un conseil qui doit être facturé pour garantir l’indépendance et ne pas introduire de biais dans le conseil du professionnel. Par ailleurs, notre présence depuis trente-sept ans auprès des experts-comptables rassure, notamment avec la formation de nombreux partenaires, ce qui nous permet de démontrer l’étendue de nos savoir-faire techniques. » Julie Compagnon conseille également de ne pas « noyer » l’expert-comptable en voulant mener une démarche trop globale : « Pour développer une relation avec un expert-comptable, il peut être opportun de mener des actions concrètes de sensibilisation en réalisant un focus sur un sujet spécifique avant d’entreprendre une démarche plus globale. Il peut s’agir d’avoir une démarche autour des problématiques liés aux revenus fonciers, sensibiliser aux nouveautés de la loi de finance, la déclaration de revenus, entre autres… » Obtenir la confiance de son partenaire peut également passer par la réalisation de son étude patrimoniale « Une autre façon d’acquérir la confiance de l’expert-comptable est de réaliser son audit patrimonial. S’il est convaincu, il nous apportera plus aisément des clients», note Thibaut Marty. Ce que confirme Julie Compagnon : « Pour avoir la confiance de l’expert-comptable, il faudrait le convaincre via une analyse de son propre patrimoine. En effet, l’expert-comptable doit pouvoir bien appréhender le rôle du CGP, les enjeux jusqu’à la mise en place de préconisations. » De leur côté, les conseils en gestion de patrimoine se méfient souvent de la volonté réelle des experts-comptables, tentés d’internaliser certaines missions de conseil au sein de leur structure. Alexis Teillant explique : « les experts-comptables, en quête de sources de diversification de leur chiffre d’affaires, peuvent du jour au lendemain décider de s’équiper d’un logiciel pour réaliser des bilans patrimoniaux ou des bilans retraite ». Julie Compagnon s’interroge : « Certes, l’expert-comptable peut internaliser les missions de gestion de patrimoine, mais je reste dubitative:est-il en capacité de manager cette activité en interne ? C’est un vrai métier d’être CGP ! »Quel cadre donner à la relation ?Après avoir racheté Expert & Finance, le groupe Crystal bénéficie d’une relation historique avec la profession comptable. Selon Maxime Chiche, « Chez Crystal, nous avons noué des partenariats avec environ six cents experts-comptables, le plus souvent via des conventions de partenariat ou des chartes de collaboration qui prévoient un travail commun sur des dossiers ponctuels, mais également une dizaine de structures capitalistiques communes, ce qui nécessite le recrutement de collaborateurs dédiés à l’activité. Tout dépend de l’ambition de l’expert-comptable et sa stratégie de croissance. Dans tous les cas, il convient que le CGP et l’expert-comptable s’accordent dans leur relation pour assurer un bon équilibre dans le partage de valeur. » Un partenariat avec un expert-comptable peut donc revêtir différents niveaux d’implication. « Après l’apport ponctuel et mutuel de clients, qui repose sur un accord moral, une autre étape peut être franchie:la mise en place d’un accord de partenariat, ce qui matérialise que chacun apprécie collaborer avec l’autre, indique Thibaut Marty. Des lettres de mission communes sont alors signées. Pour aller plus loin, et si l’expert-comptable souhaite s’engager plus fermement dans le conseil patrimonial, une association capitalistique peut être envisagée. Une option à privilégier lorsqu’est envisagé le partage de commissions sur encours, car la relation s’inscrit alors sur le très long terme.»Mais ce partage de rémunération peut être source de crispations. « La mise en place de lettre de mission commune est souvent délicate, car souvent l’expert-comptable souhaite garder la main sur le dossier. Le partage de commission n’est pas une chose que je pratique régulièrement, indique Alexis Teillant. En effet, pourquoi abandonner 40 à 50 % de ma rémunération alors que, le plus souvent, l’expert-comptable est un simple apporteur d’affaires ? De même, à qui appartient le client dans ce cas ? Que se passe-t-il si l’expert-comptable décide de créer sa propre structure ad hoc, ce qui se produit de plus en plus fréquemment ? Attention à ne pas devenir dépendant ! » « La bonne relation entre deux partenaires est celle qui va à tout le monde. Attention à ne pas avoir un partage de commission trop important avec l’expert-comptable, car c’est le CGP qui porte la responsabilité de la bonne commercialisation et du suivi du client », prévient Julie Compagnon.Structure communeLorsque la relation avec l’expert-comptable est fluide, la création d’une structure commune peut être envisagée. « Avant de constituer une structure commune, il convient de bien évaluer son potentiel, notamment le nombre de clients pouvant être concernés, conseille Maxime Chiche. La mise en place d’une convention de partenariat est une première étape pour valider la capacité à développer l’activité patrimoniale et à constituer des encours, mais aussi faire évoluer les mentalités au sein du cabinet d’expertise-comptable, notamment lorsqu’il existe une pluralité d’associés. » Pour sa part, Patrimum Groupe a mis en place des joint-ventures avec des cabinets locaux et nationaux. « Par exemple, des structures comme Exco Gestion Privée by Patrimum Groupe ont été créées avec le groupe Exco présent sur l’ensemble du territoire, ce qui n’empêche pas que nous créions d’autres structures régionales ou nationales, puisque nous collaborons depuis quinze ans avec FIBA. En effet, il s’agit toujours de structures créées localement avec des CGP associés. »