Quitter la France pour des raisons professionnelles, personnelles, voire fiscales, induit une nécessaire évolution de l’organisation patrimoniale. En effet, changer de lieu de résidence a des implications non négligeables en termes de fiscalité, de droit civil ou encore de protection sociale.
Chaque année, nombreux sont les Français qui s’expatrient, le plus souvent pour des raisons professionnelles ou pour un changement de cadre de vie, rarement pour des raisons fiscales depuis la mise en place de l’Exit Tax. « S’il a existé des exilés fiscaux dans les années 2012-2017 où les flux migratoires étaient considérables, note Olivier Grenon-Andrieu, président-fondateur d’Equance, société spécialisée dans l’accompagnement patrimonial des non-résidents français, aujourd’hui les départs sont majoritairement liés aux raisons professionnelles (Thaïlande, Singapour, Australie, Etats-Unis, Québec, etc.), ou pour améliorer le cadre de vie, la retraite (Thaïlande également, Italie, Portugal, Maroc, Mexique, entre autres). » « Seule l’Italie est une destination pouvant motiver un exil fiscal, notamment au niveau successoral (un million d’euros d’abattement et, au-delà, une taxation à 4 %, et il n’est pas utile que les donataires/héritiers s’expatrient), mais aussi personnel, eu égard à la qualité de vie, précise Sophie Nouy, associée-directrice du pôle d’expertise patrimoniale de Cyrus Conseil. La majorité des départs sont donc d’ordre professionnel ou lié au cadre de vie, et dans ce cas précis, la fiscalité locale peut finir de convaincre de franchir le pas du départ. En revanche, nous avons eu à gérer de nombreux retours de Belgique ou du Luxembourg, motivés pour des raisons fiscales lors de la présidence Hollande durant laquelle l’atmosphère n’était pas très bonne pour les personnes fortunées, contrairement au Portugal où les personnes restent. » « Aujourd’hui, plus de trois millions de Français sont installés à l’international, affirme Julien Male, directeur général adjoint du pôle international de Laplace qui compte sept implantations à l’étranger avec des conseillers présents dans trente pays différents (10 % de la clientèle de Laplace est basée à l’étranger, environ cinq mille clients). Chez nos clients, nous constatons que la motivation fiscale n’est pas le fait générateur de l’expatriation, notamment depuis la création de l’Exit Tax. Ces départs sont le plus souvent motivés par des raisons professionnelles. Nous observons aussi que de plus en plus de Français s’installent à l’étranger durablement, notamment dans le sud de l’Europe, mais aussi dans les pays du Golfe qui se sont européanisés. En revanche, depuis la crise sanitaire, l’Asie est moins attractive, même si Singapour attire toujours. » S’agissant des départs de salariés à l’étranger, les spécialistes du marché constatent un important besoin d’accompagnement. « Auparavant, les expatriés pour raisons professionnelles étaient totalement pris en charge par les services ressources humaines des compagnies qui les employaient, avec un contrat spécifique pour expatriés, constate Olivier Grenon-Andrieu. Désormais, dans 70 % des cas, un expatrié français signe un contrat local. Cela a une influence considérable au niveau de la couverture santé-prévoyance à titre individuel et familial, en termes de garanties lorsqu’un décès survient, mais aussi sur le plan de fiscal. » Cette clientèle d’expatriés peut également avoir une « attitude » patrimoniale bien spécifique, comme l’observe Julien Male : « Nous constatons que les clients expatriés ont un mode de fonctionnement souvent similaire aux sportifs de haut niveau, à savoir des revenus importants, avec la volonté d’organiser leur départ à la retraite plus rapidement que l’âge légal. Cela implique une structuration de leur patrimoine visant à maximiser la constitution de revenus complémentaires, le tout avec une approche plus offensive de leur allocation patrimoniale (produits structurés, Private Equity, immobilier). » Dans tous les cas, l’expatriation entraîne alors une évolution des règles fiscales, civiles et sociales. « Les règles sont différentes d’un pays à l’autre et il convient d’appréhender correctement toutes les conséquences civiles, fiscales et sociales de l’expatriation, confie Thibault Roulleaux-Dugage, responsable de l’ingénierie patrimoniale chez Carat Capital Notre rôle est de les avertir et de leur apporter le meilleur conseil sur l’ensemble de ces sujets. Pour ce faire, nous collaborons étroitement avec les conseils de nos clients en local. » « Avant de s’expatrier, il convient de s’y préparer au moins trois mois à l’avance, six mois idéalement », préconise pour sa part Sophie Nouy.
Sur le plan fiscalEn matière de fiscalité, plusieurs points sont à observer, comme en témoignent les différents experts.
Déclaration des revenusPatrick Müllinghausen, associé et responsable du pôle ingénierie patrimoniale de la Maison Herez, conseille d’être vigilant quant à l’imposition des revenus de source française, d’une part, et de source internationale, d’autre part : « Après l’expatriation, il convient de bien déclarer ses revenus de source française qui demeurent imposables en France, tout comme son patrimoine immobilier situé en France, au titre de l’IFI ; pour éviter une double imposition le cas échéant, il est nécessaire de se reporter aux conventions fiscales généralement conclues entre la France et le pays d’arrivée ». Thibault Roulleaux-Dugage ajoute : « La question de la date du transfert de résidence fiscale (ou date de cut-off) est essentielle. Elle détermine l’étendue et les modalités d’imposition en matière d’impôt sur le revenu, d’IFI et de droits de donation-succession ».
Résidence principaleLe sort de la résidence principale française est un point souvent délicat à analyser avec la clientèle expatriée, entre attachement sentimental et optimisation fiscale.« La question de la résidence principale est à bien observer, prône Sophie Nouy. En effet, si l’expatrié souhaite louer son bien durant son expatriation, son imposition sera alourdie, car il reste souvent peu de crédit à rembourser et que le bien est bien valorisé. En la vendant au moment du départ (ou dans un délai court), il peut être exonéré de plus-value au titre de la cession de la résidence principale. Néanmoins, ce sujet est souvent traité de façon peu rationnelle:le client y est attaché et souhaite la retrouver à son retour de l’étranger. Or d’ici là, ces besoins auront probablement évolué, et il se prive alors d’une exonération et renforce son lien avec la France et son système fiscal pour rien. »Exit TaxPour la clientèle de dirigeant d’entreprise, le traitement de l’Exit Tax peut prendre plusieurs mois.Pour Thibault Roulleaux-Dugage, « l’expatriation pour les entrepreneurs s’anticipe encore davantage, car ils seront souvent soumis à l’Exit Tax. Ce dispositif impose de calculer la plus-value latente sur les titres dont la valeur globale excède 800 000 euros ou représentant au moins 50 % des bénéfices d’une société. Il est possible de demander un sursis de paiement, mais celui-ci est conditionné, dans certaines situations, au dépôt de garanties. En outre, cela implique de valoriser les sociétés. Tout ceci prend évidemment du temps et se prépare en amont ». Sophie Nouy ajoute : « Pour un départ dans un pays de l’UE, il y aura un sursis automatique ; dans d’autres pays, cela peut être une option. Dans 90 % des cas, il n’y a pas de difficulté ; pour le reste, il faudra la payer ou apporter une garantie. Dans tous les cas, cela prend du temps et il faut anticiper, car il convient de valoriser la société, ce qui peut être fastidieux, notamment pour les sociétés non cotées (au moins deux mois) ».
Droits de successionL’analyse de l’impact fiscal de l’expatriation doit également être réalisée sur les droits de succession. «Dans le cadre du décès du client, devenu non-résident à la suite de son expatriation, le patrimoine détenu en France et à l’étranger sera taxable en France, si l’héritier a été domicilié dans l'Hexagone pendant au moins six ans au cours des dix dernières années. Si ce n’est pas le cas, seul le patrimoine détenu en France sera soumis aux droits de succession, précise Patrick Müllinghausen. Il conviendra là aussi de se référer aux conventions internationales traitant des donations et/ou succession qui sont moins nombreuses que celles traitant de la fiscalité des revenus.»Autres conseilsA la lecture des conventions fiscales, des gains fiscaux selon le pays de départ peuvent être réalisés lors du transfert de la résidence.« Parfois l’expatriation peut également être source d’opportunités fiscales, glisse Thibault Roulleaux-Dugage. Par exemple, les non-résidents ne sont pas soumis aux prélèvements sociaux (17,2 %) sur les dividendes versés par une société française. Selon l’imposition appliquée dans l’Etat de résidence, il pourrait donc être intéressant de profiter de l’expatriation pour procéder à des distributions. Il s’agit d’un exemple parmi d’autres… » Le patrimoine immobilier détenu en France reste lourdement imposé, il peut donc être opportun de céder certains actifs, comme l’analyse Olivier Grenon-Andrieu : « La fiscalité sur le patrimoine immobilier détenu en France est confiscatoire, d’autant plus que les clients subissent les prélèvements sociaux sans en bénéficier, ni en profiter en France… C’est pourquoi nous sommes souvent amenés à réallouer les patrimoines de nos clients». De son côté, Patrick Müllinghausen observe qu’ « il est possible de conserver et d'abonder un PER. Dans ce cas, comme la déductibilité des sommes versées n’est plus possible, il convient de matérialiser la renonciation à la déduction à l’entrée afin de bénéficier d’une exonération d’IR à la sortie ». Sophie Nouy corrobore:«En matière d’investissement, il n’y a aucun intérêt à souscrire à des produits défiscalisants ou d’investir dans un bien immobilier sous le régime de la loi Pinel si l’expatrié n’a pas de revenus domiciliés en France. De même, souscrire un contrat d’assurance-vie de droit français n’a aucun intérêt successoral si l’on s’expatrie en Belgique. En revanche, si la personne compte revenir en France, elle peut conserver l’enveloppe s’il s’agit d’un contrat luxembourgeois ».
Sur le plan civil« On constate généralement que les sujets civils sont peu pris en compte par nos clients, regrette Thibault Roulleaux-Dugage. On pense aux règles successorales et aux régimes matrimoniaux, notamment. On n’y pense pas ou peu, car on ne s’imagine pas divorcer ou mourir à l’étranger… Or l’expatriation peut avoir des conséquences importantes sur ces sujets ; par exemple, elle peut entraîner dans certains cas une mutabilité automatique du régime matrimonial. Un client qui pensait être marié en séparation de bien s’aperçoit qu’en réalité il est soumis aux règles de la communauté… De la même manière, un Français qui viendrait à décéder alors qu’il vit avec sa famille à Dubaï pourrait être soumis à la charia. Evidemment, tous ces sujets s’anticipent en amont, et le rôle du conseil est essentiel ».En effet, se pencher sur son régime matrimonial est primordial, car « généralement, les personnes mariées en France se marient sans contrat (80 % des cas); dès lors, en cas d’expatriation c’est le régime du pays de résidence qui s’applique en fonction de la date du mariage et de la règle de droit international privé applicable », signale Olivier Grenon-Andrieu.« Par exemple, en cas d’expatriation en Angleterre juste après s’être marié en France sans contrat, un régime de communauté se transforme en un régime de séparation. Dans ce cas, il convient alors de se rapprocher de son notaire pour adapter sa situation à ses besoins et ses objectifs, et faire un point plus global sur les conséquences juridiques de son changement de résidence », conseille Sophie Nouy.
Sur le plan socialEn matière de protection sociale, l’expatriation a également des conséquences. « Le sujet de la protection sociale est un sujet important, dont nous discutons avec nos clients, signale Thibault Roulleaux-Dugage. Un salarié expatrié au sens de la Sécurité sociale pourrait, par exemple, cotiser de manière volontaire à la cotisation foncière des entreprises (CFE) pour continuer à acquérir des trimestres pendant l’expatriation et éviter d’avoir une retraite “tronquée” à terme. Dans certaines situations, par exemple aux Etats-Unis, il est également essentiel de souscrire des assurances-santé privées. » En matière de retraite, Olivier Grenon-Andrieu note qu’ « à cinquante-cinq ans, la question mérite d’être posée ; moins lorsqu’on est plus jeune. » Pour conclure, Julien Male ajoute que « dans le cas des pays où la protection sociale est la plus faible, il sera donc essentiel de venir reconstituer la protection sociale au travers d’assurances spécifiques : contrats par capitalisation pour la retraite, assurances-santé et prévoyance pour protéger la cellule familiale… »