Par Vincent Maulay, analyste financier chez BDL Capital Management (Rédigé le 10 mai)
Pour certains investisseurs, la macroéconomie est le point de départ de l’allocation d’actifs, la conjoncture économique servant alors de guide pour placer le curseur du risque ou l’exposition géographique. D’autres vont au contraire avoir une approche « bottom-up », se focalisant avant tout sur la qualité d’une entreprise et ses fondamentaux microéconomiques pour la qualifier, ou non, comme investissement potentiel.
Même pour ceux-ci, la macroéconomie importe. Et elle importe de plus en plus au regard des évolutions géopolitiques récentes. Nous sortons d’une période où la croissance des échanges mondiaux a été durablement supérieure à celle du PIB mondial pour basculer vers une situation où un certain nombre de pays ne jouent plus le jeu des échanges mondiaux, ce changement étant manifeste depuis 2018 et ce qu’on a appelé la guerre commerciale sino-américaine.
Semi-conducteurs : un secteur économique clé sous tension
Si l’on se dirige vers une « démondialisation » ou du moins une régionalisation de l’économie mondiale, en sus de la tension déjà existante sur la chaîne logistique liée au Covid, cela suppose des risques macroéconomiques majeurs liés aux pans les plus internationalisés de l’économie, dont l’industrie des semi-conducteurs, aux ramifications insoupçonnées.
Stricto sensu, le marché des semi-conducteurs représente environ 600 Md$, à quoi il faut ajouter environ 90 Md$ pour le marché dit « semi cap », autrement dit celui des équipements et machines servant à confectionner les puces. Si ce marché est marqué par un risque géopolitique important, c’est avant tout en raison des visées chinoises sur Taïwan qui est, de très loin, le premier hub mondial du secteur, concentrant près des deux tiers de la capacité mondiale des fondeurs de semi-conducteurs. Plus étonnant, la guerre en Ukraine a aussi été source d’inquiétudes, du fait de l’importance du pays dans la production de certains gaz rares utilisés dans l’industrie des semi-conducteurs, dont le néon, mais l’impact est resté limité.
Pour ce secteur clé de l’économie mondiale, les risques liés à la crise sanitaire sont aussi à regarder de près. Les confinements en Chine ont un impact non négligeable : ce pays ne produit que 5 % des semi-conducteurs, mais représente un tiers de la consommation mondiale, ce qui exacerbe les tensions sur la chaîne logistique. Le risque de « démondialisation » se traduit par une forte volonté politique des Etats-Unis et de l’Europe de relocaliser des usines. Cela passera par des subventions sans doute plus importantes que les premières estimations, une seule usine de semi-conducteurs nécessitant plus de 20 Md€ d’investissements.
Si le secteur est clé sur le plan macroéconomique, c’est que beaucoup d’autres en sont tributaires, voire assez dépendants. Les tensions actuelles sur le marché vont durablement remettre en question le modèle du just-in-time et à court terme, il faut gérer des pénuries exacerbées de composants, y compris les moins sophistiqués.
Un secteur en pâtit particulièrement : l’automobile, au poids assez limité dans le marché des semi-conducteurs (moins de 10 % de la demande) et qui consomme plutôt des produits d’ancienne génération. Les fondeurs l’ont donc fait passer au second plan par rapport à des secteurs comme la téléphonie mobile qui est le plus demandeur des produits de dernière génération.
A court terme, étant donné la tension sur la chaîne d’approvisionnement au T2, le risque sanitaire chinois demeure le principal. Mais il faut aussi surveiller le risque sur la demande finale : les niveaux de stock tout au long de la chaîne logistique, les délais de livraisons et l’évolution du prix de certains composants sont ainsi des indicateurs avancés.
Enfin, si les pénuries devaient perdurer encore en 2023 pour certains composants clés, notamment certains microcontrôleurs, il faut se souvenir du côté très cyclique de l’industrie des semi-conducteurs. La croissance des capacités de production des fondeurs devrait conduire à une détente graduelle des pénuries de composants, voire à un risque de surcapacité dans les années à venir.