Par Marie Besche, directeur des ingénieries patrimoniale et sociale de Magnacarta, et Lucile Bertoni, responsable de la réglementation chez Magnacarta
La crytomonnaie est née des avancées réalisées dans l’informatique dans le but de faire circuler entre les individus une monnaie contournant les institutions financières. Considérée comme hasardeuse à ses débuts, elle attire de plus en plus d’investisseurs. Zoom sur les environnements juridique, économique, fiscal et réglementaire à connaître sur ces cryptoactifs par les professionnels du conseil patrimonial.
Difficile de ne pas avoir entendu parler des cryptomonnaies, tant elles sont mises en avant depuis 2020, et plus précisément depuis le début de la pandémie Covid. A tel point que, si en 2009, le bitcoin apparaissait comme un investissement hasardeux, à travers lequel certains investisseurs curieux ont pu toutefois réaliser de gros gains, en 2020, il en est tout autre.
Des cryptomonnaies de plus en plus nombreuses (1) et un bitcoin, vétéran, qui connaissait sa plus forte hausse en début d’année (2) : ces nouveaux actifs font miroiter la possibilité de faire fortune en quelques années seulement… C’est donc fort logiquement que de plus en plus de particuliers, désireux de valoriser et de diversifier leur patrimoine avec une mise de départ minime (3) s’empressent d’investir dans ces actifs. Conséquence directe de la digitalisation de notre monde ? Véritable conviction d’investisseur ? Nouvel ordre mondial ? Utopie ou simple effet de mode ? Quelles que soient les convictions de tout un chacun, la virtualité de ces monnaies entraîne des conséquences financières qui, elles, sont bien réelles.
Et si certains spécialistes leur prédisent un effondrement certain, d’autres, au contraire, les voient comme les futures monnaies de demain dans un monde de plus en plus libéral et digitalisé. Entre-temps, les Etats s’inquiètent, et certains prophètes, pour citer Elon Musk, font la pluie et le beau temps sur les courbes de valeurs.
Décryptage en quatre points Le contexteCryptomonnaies, cryptoactifs ou encore actifs numériques… Plusieurs dénominations pour parler d’un concept complexe : une monnaie électronique, supportée par un réseau informatique décentralisé, la blockchain, et dont le nombre d’unités en circulation est limité.
Si l’émergence de cette monnaie a été rendue possible par les avancées réalisées dans le domaine de l’informatique, c’est avant tout un engagement philosophique qui l’a porté : faire circuler entre les individus une monnaie transparente, en contournant Etats, banques centrales et institutions financières, rendant ainsi réalité l’utopie du philosophe et économiste autrichien Friedrich von Hayek qui imaginait, dans les années 1970, une économie dans laquelle les monnaies privées circuleraient librement et se feraient concurrence entre elles.
Et devant la démultiplication des cryptomonnaies, l’utilité première de ces actifs (achat de biens et de services) recule nettement au profit d’un investissement sur les actifs eux-mêmes… Créant ainsi des bulles plus ou moins spéculatives selon les périodes, et rendant ces actifs extrêmement volatils.
Comment investirQue l’on soit convaincu ou non par ces actifs en tant qu’investisseur, il faut toutefois se rendre à l’évidence : les cryptomonnaies font partie intégrante de notre environnement financier et ce que l’on investisse pour réaliser des plus-values sur le court terme, ou encore pour investir sur le long terme convaincu du potentiel futur des transactions digitales.
C’est ainsi que de (trop ?) nombreuses plates-formes spécialisées dans les cryptoactifs voient le jour et permettent à l’investisseur chevronné, comme à l’investisseur amateur, de pouvoir investir. Et l’investisseur demeurant, avant tout, un consommateur, l’Etat français s’est résolu à légiférer. C’est ainsi que la loi Pacte, en France, est venue encadrer la pratique du marché de trading de cryptomonnaies qui propose les services d’achat-vente, de négociation et de gestion d’actifs numériques. Pour pouvoir proposer leurs services, celles-ci doivent être enregistrées auprès de l’AMF sous l’acronyme PSAN (pour prestataires de services sur actifs numériques). Au vu du contexte dans lequel évoluent ces actifs (réseau informatique) et des convoitises qu’ils suscitent (spéculation), les arnaques et autres piratages sont nombreux, nous ne saurons donc que conseiller recourir à une plate-forme agréée par l’AMF (4).
Comment déclarer ses cryptomonnaies ?Au-delà de la régulation du marché, il était nécessaire aux Etats en général, et à la France en particulier, de légiférer sur le contrôle des données et sur l’imposition des gains issus de ces investissements. De là à reconnaître un cours légal aux cryptomonnaies, certainement pas dans l’immédiat, mais tirer profit de la création de richesse de ces cryptomonnaies, certainement !
Tant qu’il n’y a pas de mouvement de revente et donc aucune matérialisation d’un gain ou d’une perte, un seul élément doit être considéré : la localisation géographique de la plate-forme sur laquelle ont été tradées les cryptomonnaies. Celle-ci se situe-t-elle en France ou à l’étranger ? Si son siège social est en France, aucune déclaration n’aura à être effectuée. Au contraire, si le siège social est localisé à l’étranger, l’administration fiscale devra en être informée via le formulaire 3916 bis. Celui-ci est à remplir, tous les ans jusqu’à la clôture du compte, lors de la déclaration de revenus. En cas d’omission dans cette déclaration, l’amende encourue est de 1 500 euros par compte non déclaré par an (5).
Quelle fiscalité en cas de gain ?Lors de la vente d’actifs numériques, une plus ou moins-value sera constatée et devra être déclarée à l’administration fiscale. Pour savoir à quelle catégorie de revenu la rattacher, c’est la notion d’habitude dans la pratique du trading qui sera fondamentale. En effet ne seront pas imposés de la même manière l’investisseur occasionnel et celui qui organise son activité autour du trading d’actifs numériques.
Les plus-values constatées par l’investisseur occasionnel seront fiscalisées au titre de l’impôt sur le revenu à un taux forfaitaire de 12,8 % (6) et au titre des prélèvements sociaux au taux de 17,2 %. Si la plus-value réalisée est inférieure à 305 €, elle sera toutefois exonérée d’impôt sur le revenu. Au-delà de 305 €, c’est l’ensemble des plus-values réalisées qui seront taxées dès le premier euro.
Au contraire, les plus-values réalisées par l’investisseur habituel seront imposées dans la catégorie des BIC, selon le régime du micro ou du réel. Les prélèvements sociaux seront également dus si le revenu constaté n’est pas considéré comme professionnel. S’il l’est, le gain sera assujetti aux charges sociales.
Quelle réglementation autour des cryptomonnaies pour les CGP ?Les conseillers en gestion de patrimoine sont de plus en plus sollicités par leurs clients sur l’investissement dans les cryptomonnaies. Le spectre réglementaire planant systématiquement sur l’activité des conseillers en investissements financiers (CIF), il convient préalablement de définir le périmètre d’intervention autorisée du CIF en la matière.
Les CIF peuvent-ils conseiller à leur client d’acquérir des cryptoactifs ?Afin de répondre à cette question, rappelons préalablement que les cryptomonnaies ne sont pas des instruments financiers, elles ne relèvent donc pas de la compétence des CIF. La loi Pacte a créé la catégorie de prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) qui vise toutes les personnes qui fournissent des services sur actifs numériques, notamment le conseil aux souscripteurs d’actifs numériques définit comme le fait de fournir des recommandations personnalisées à un client concernant un ou plusieurs actifs numériques. Le conseil en investissements sur des actifs numériques relève donc du statut de PSAN. Pour rappel, les PSAN doivent obligatoirement s’enregistrer auprès de l’AMF uniquement s’ils proposent, en France, les services :
- de conservation d’actifs numériques ;
- et/ou d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal ;
- et/ou d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques ;
- et/ou l’exploitation d’une plate-forme de négociation d’actifs numériques.
Les PSAN qui ne proposent pas ces services n’ont pas à s’enregistrer auprès de l’AMF.
Si le statut CIF et le statut PSAN, ne semblent, a priori, pas incompatibles – sous réserve des prochaines évolutions légales ou réglementaires –, gageons de rappeler aux conseillers en investissements financiers aventureux que leur assurance en responsabilité civile ne couvre pas l’activité de PSAN. En tout état de cause, cette activité, pour être exercée, nécessiterait au préalable, outre les obligations susvisées, la souscription d’une garantie appropriée, notamment.
Le CIF peut, par ailleurs, se poser la question de conseiller les services d’un PSAN à un client. Dans ce contexte, il devra effectivement conseiller un PSAN à son client, c’est-à-dire qu’il devra justifier, au préalable et par écrit, en quoi les services du PSAN sont adaptés aux exigences et besoins du client. Il appartiendra ensuite au PSAN de conseiller les actifs numériques aux clients.
Rappelons enfin qu’il est désormais permis au CIF de conseiller un produit dont le sous-jacent serait une cryptomonnaie. En effet, la loi Pacte a facilité la possibilité d’investir dans ce nouveau marché par deux biais. Les fonds professionnels spécialisés (FPS) et les fonds professionnels de capital-investissement (FPCI) ont désormais la possibilité dans la limite de 20 % de leurs actifs d’investir dans des actifs numériques. Et les contrats d’assurance-vie – via des unités de compte – dans lesdits FPS et FPCI, ce qui permet donc, indirectement, une exposition à des cryptoactifs au sein de contrats d’assurance-vie.
Dans le cadre de leur activité de conseil, les professionnels pourront donc conseiller ce type de placement aux investisseurs qui répondent aux critères d’éligibilité et sous réserve de s’assurer de leur délivrer un conseil approprié (catégorisation du client, éligibilité du profil du client à ce type d’investissement, compatibilité de l’investissement avec la situation et les besoins du client).
En tout état de cause, ce type d’investissement nécessite une sensibilisation préalable du client aux risques auxquels il s’expose, eu égard au caractère hautement spéculatif des cryptoactifs, et notamment au fait qu’aucun organisme ne garantit leur conversion en euros, qu’aucune protection de capital n’est fournie, que le risque de perte est très élevé et qu’il n’existe aucune protection en cas de perte ou de vol des cryptoactifs.
En conclusionFace à l’émergence, l’expansion et la médiatisation toujours plus prégnante de ces nouvelles valeurs, de nombreux débats contradictoires sur l’utilisation de la cryptomonnaie ont vu et verront le jour. Si anticiper leurs issues relève du divin, ils engendreront d’inévitables fluctuations de la valeur des cryptomonnaies, que ce soit à la hausse comme à la baisse !
Les banques et certains Etats réfléchissent à créer leur propre cryptomonnaie, ce qui, en cas de réussite, permettrait de concilier deux principes totalement contradictoires que sont, d’une part, la philosophie (initiale) contestataire de la cryptomonnaie et, d’autre part, le protectionnisme des Etats ! Mais serait-ce si étonnant dans un monde dont le tournant digital s’est indéniablement accentué ces deux dernières années ?
Mais derrière cette révolution informatique, un paramètre doit être regardé avec une attention toute particulière : l’impact carbone de la création de cette nouvelle richesse.
Pour certains chercheurs, le « minage » de cryptomonnaies s’avérerait être, sur le très long terme, une catastrophe climatologique. D’autres, quant à eux, relèvent que ce type de minage est moins dangereux pour l’avenir de la planète que l’extraction d’autres valeurs physiques (or, aluminium, lithium, etc.). Nous n’avons aujourd’hui qu’un recul modéré sur ce sujet, mais le défi climatologique imposé moralement aux Etats nécessitera de s’y pencher plus sérieusement.
La détermination de la plus ou moins-value de cession
Elle est égale à la différence entre le prix de cession et le produit du prix total d’acquisition de l’ensemble du portefeuille d’actifs numériques par le rapport entre le prix de cession et la valeur globale de ce portefeuille. Soit la formule suivante : Prix de cession - [Prix d’acquisition de l’ensemble du portefeuille d’actifs numériques x (Prix de cession/Valeur globale du portefeuille d’actifs numériques à la cession)] Si la cession d’un actif numérique entraîne une moins-value, celle-ci pourra être imputée sur une plus-value constatée sur une autre cryptomonnaie et ce, au cours de la même année uniquement. Cette absence de report dans le temps induit une difficulté pour les détenteurs de ces actifs qui ne pourront pas optimiser leurs gains futurs par leurs pertes passées.
Détention sur portefeuille physiqueLes cryptomonnaies peuvent être tradées sur une plate-forme, mais également être détenues via un portefeuille électronique (clé USB). Ce mode de détention permet d’éviter au maximum les risques de piratage, puisque c’est au seul moment où l’utilisateur connecte la clé que les cryptomonnaies sont connectées à Internet. Lorsque la détention des cryptomonnaies se fait par ce biais, elles ne font l’objet d’aucune déclaration fiscale.
Quand l’activité de trading devient une activité habituelle ?Les critères d’exercice habituel ou occasionnel de l’activité résultent de l’examen, au cas par cas, des circonstances de fait dans lesquelles les opérations d’achat et de revente sont réalisées (délais séparant les dates d’achat et de vente, nombre d’actifs numériques vendus, conditions de leur acquisition, etc.).
1. Fin 2019, le ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance dénombrait 2 871 cryptomonnaies. Aucune mise à jour n’a été officiellement opérée depuis, mais on les estime à plus de 5 400 aujourd’hui.
2. Le 13 avril 2021, le cours du bitcoin atteignait son plus haut sommet, à 62 732 dollars.
3. Le 5 octobre 2009 fut une date historique pour le bitcoin avec sa première valorisation à 0,001dollar. Au 1er août 2021, son cours atteignait 48 860 dollars.
4. Obtenir la liste des PSAN agréés sur le site Internet de l’AMF, « liste des PSAN enregistrés auprès de l’AMF ».
5. Elle peut s’élever jusqu’à 10 000 € si le siège social de la plate-forme est situé dans un Etat n’ayant pas signé de convention de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.
6. Ce taux forfaitaire est distinct du PFU avec pour conséquence directe l’impossibilité d’opter pour le barème progressif.