Par Jean Duchein, Gérant chez BDL Capital management
Les larmes d’Alok Sharma resteront comme un des moments symboliques de la COP26. Le politicien britannique qui présidait la Conférence de Glasgow exprimait ainsi sa profonde désolation face aux médiocres résultats obtenus. Jusqu’au bout, la formulation finale du texte de décision de la COP26 aura donné lieu à d’âpres négociations, aboutissant au Pacte climatique de Glasgow, qu’on peut certes difficilement considérer comme un immense succès. Il réaffirme l'objectif de limiter le réchauffement à 1,5 degré, ce qui passe notamment par une exigence de réduction de la production d'énergie au charbon. De nombreux observateurs ont noté que le texte final parle d'efforts de "réduction progressive" du charbon plutôt que de son "élimination", ce qui s’explique par l'intervention de l'Inde et de la Chine au dernier moment. Ce « non-alignement » de la Chine peut apparaitre comme une déception mais absolument pas comme une surprise.
Au-delà des questions sémantiques, la COP26 a été l’occasion de quelques accords connexes faisant l’objet d’une adhésion partielle des pays représentés et dont les impacts sur le réchauffement climatique ne seront pas majeurs. Ainsi, 90 pays ont signé le Global Methane Pledge, un engagement à réduire les émissions de méthane de 30% d'ici 2030. Un deuxième accord a aussi été trouvé sur l’article 6 de l'Accord de Paris (COP21), qui traite des crédits carbones. L'article 6.4, notamment, fournit un cadre officiel des Nations-Unies pour la création et l'échange de crédits carbone à l’échelle mondiale. Ce cadre comptable commun devrait permettre l’interconnexion de différents systèmes d'échange existants, comme ceux fonctionnant actuellement en Europe, en Chine et dans certaines régions des États-Unis, donnant ainsi une dimension plus internationale au marché du carbone. Un chemin intéressant, mais semé d’embûches, le risque d’un dumping environnemental n’étant pas à écarter.
Les résultats peu probants de la COP26, du point de vue de l’investisseur, peuvent sembler un non-événement. Nous n’y voyons effectivement aucune leçon majeure de nature à modifier sur le court terme le regard que nous portons sur les marchés financiers. L'accent a été mis sur les technologies vertes pour parvenir à la décarbonisation et la COP26 n’a en réalité fait que confirmer l'élan et le soutien des pays présents à ces technologies. Notre examen des secteurs spécifiques montre que la plupart des résultats de la COP26 étaient souvent attendus, voire déjà annoncés, et n'auront pas d'impact significatif dans l’immédiat.
Mais attention à cette fausse réassurance. Le flottement politique sensible à la COP26 ne fait que confirmer que l’objectif d’un maintien du réchauffement à 1,5°C est peu probable. L'analyse faite par l'Agence internationale de l’énergie sur la base des engagements climatiques de la COP26 pointe plutôt sur un réchauffement de la planète qui serait de l’ordre de 1,8 degré. Et l’analyse indépendante faite par le Climate Action Tracker trouve même ce résultat optimiste, estimant plutôt que les politiques actuelles entraîneront un réchauffement de 2,7°C. Cet écart persistant entre les objectifs et les conséquences prévisibles de l’agenda actuel doit être pris en compte sérieusement par le secteur financier : loin de lui permettre de se reposer sur leurs deux oreilles, les résultats de la COP26 doivent l’alerter sur la montée des risques physiques liés au climat. Selon nous, c’est dès à présent que les investisseurs doivent scruter et anticiper les impacts potentiel du réchauffement planétaire, par exemple ceux d’événements météorologiques extrêmes sur l'agriculture, les infrastructures, voire la productivité industrielle.
Les hésitations politiques de la COP26 sont aussi le signe que le secteur privé doit jouer un rôle moteur dans la décarbonisation de l’économie. La place des entreprises sera d’autant plus centrale qu’il ne s’agit pas seulement pour elle de défendre l’intérêt général : c’est aussi la demande des consommateurs qui les pousse à adopter le principe du "zéro émission" en faisant pression sur elles pour qu’elles changent de trajectoire. Nous nous attendons à ce que les actions du secteur privé prennent de l'ampleur au cours des prochaines années, à mesure que cette tendance se poursuit. En tant qu’investisseurs, nous nous devons donc d’être de plus en plus attentifs aux conséquences de ce voyage vers la décarbonisation. Il s’agit d’évaluer les coûts de cette transition et de les intégrer dans la valorisation que nous faisons des entreprises, mais aussi d’identifier quelles sont les stratégies gagnantes à la lumière de ce nouveau paradigme. Cette démarche passe aussi par l’engagement. Par exemple, nous écrivons aux entreprises pour leur demander de définir des objectifs de réduction du CO2 en s’alignant sur les recommandations de l’initiative Science Based Targets. Nous les challengeons aussi sur les impacts potentiels d’une hausse du prix du carbone sur leur activité.
Après la COP26, le monde de la finance pourrait se réfugier dans le confort du « business as usual ». Mais c’est tout le contraire qu’il faut faire, pour le bien commun, certes, mais aussi, plus prosaïquement, pour le bien matériel des investisseurs qui nous confient leur argent. Si le réchauffement climatique est inéluctable, la transition climatique l’est aussi.