Au mois de mars, l’inflation américaine des prix à la consommation a augmenté de +8,6 % sur un an (+6,5 % sans l’énergie et l’alimentation). Dans une perspective historique, il faut remonter aux chocs pétroliers (1973 pour le premier, 1979 pour le deuxième) pour constater une telle évolution.
Même en 2008, lors de la crise des subprimes et dans le courant de ce que certains commentateurs ont appelé le « troisième choc pétrolier » (le pétrole avait alors frôlé les 150 $/bbl, contre environ 105 $/bbl actuellement pour le WTI), l’inflation américaine n’avait jamais atteint que +5,5 % mi-2008 avant de se résorber de manière extrêmement rapide. Pire, l’inflation sous-jacente n’avait pas dépassé les +3,0 % à l’époque… soit deux fois moins qu’aujourd’hui ! À l’heure actuelle, l’ampleur du phénomène est tout autre et implique un changement de paradigme pour la Fed qui brandit désormais l’arme des taux.
Avec la crise de la Covid, il y a eu à la fois une hausse des coûts des matières premières et une hausse des coûts salariaux unitaires. Pour rappel, la première était due à la rapide reprise économique de la Chine (succès initial de sa stratégie Zéro Covid) et la seconde, à l’adaptation des modes de production aux normes sanitaires (télétravail, gestes barrières, etc.). Logiquement, l’inflation aurait dû surgir rapidement et s’installer durablement. Or ce n’est pas ce qui s’est passé dans un premier temps en raison d’un effort de productivité (du travail) : en 2020 aux États-Unis, le PIB par heure travaillée a augmenté de +2,6 % (en glissement annuel) malgré la pandémie. En plus de rester relativement contenue jusqu’au printemps 2021, l’inflation a donc longtemps revêtu un caractère transitoire en apparence, leurrant les commentateurs tout autant que les experts…
La récente inversion de la courbe des taux ne laisse plus vraiment place au doute : les marchés ne croient plus du tout que l’inflation sera transitoire mais qu’au contraire, la situation va rapidement se dégrader. À raison, ils anticipent que la Fed va sérieusement durcir sa politique monétaire, ce qui orientera vraisemblablement l’économie américaine vers la récession. Les déclarations de Jerome Powell vont d’ailleurs en ce sens puisqu’il a annoncé une hausse des taux directeurs (actuellement à 0,5 % depuis la mi-mars) de 50 bp en mai. De plus, une deuxième hausse du même ordre a conjointement été envisagée… Même si la Fed a maintenant pris pour habitude de guider la sphère économique avec des effets d’annonce et des demi-mesures, il ne faut pas se tromper : il est désormais très probable qu’elle ait réellement changé son fusil d’épaule, la faute d’une politique budgétaire mal calibrée.
La saison de publication du T1 2022 a débuté (55% des sociétés qui composent le S&P500 ont d’ores et déjà publié) et contraste, comme attendu, avec les résultats stratosphériques observés en 2021. En effet, la progression des bénéfices du S&P 500 est aujourd’hui anticipée à +7,1 %, soit la plus faible progression depuis le T4 2020 ! Pour autant la dynamique de révisions positives reste de vigueur : le consensus fourni par FactSet attendait en effet seulement +4,7 % à la fin mars, mais surtout le nombre de surprises positives reste élevé (80 %). C’est seulement l’ampleur des surprises qui diminue drastiquement.
L’année 2021 a vu les entreprises du S&P 500 afficher des profits en très nette hausse de +47,7 % ! Alors que dans le même temps, l’indice large américain n’a progressé que de +26,9 % ce qui a eu pour impact immédiat de faire largement refluer les niveaux de valorisations stratosphériques que l’on avait pu observer en 2020. Et la baisse récente des marchés en ce début d’année a amplifié le phénomène. Les nombreuses craintes des investisseurs face aux risques d’affaiblissement de l’économie américaine, de flambée des prix, le tout saupoudré du conflit ukrainien qui pèse à la hausse sur le cours des matières premières a ainsi fait plonger l’indice large américain de -13,3 % depuis le début d’année. La baisse est encore plus marquée pour l’indice des valeurs technologiques fortement sensibles aux taux d’intérêt : le Nasdaq a ainsi chuté de -21,2 % depuis le début d’année ! Les niveaux de valorisations se sont ainsi normalisés et sont aujourd’hui revenus sur leurs niveaux d’avant-crise quelle que soit la méthodologie de calcul utilisée (en se basant sur les résultats publiés au cours des 12 derniers mois ou en utilisant le consensus à venir des analystes).
Michaël Sellam
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