Marché atomisé à consolider, part de marché grandissante, banques en retrait sur la clientèle patrimoniale, récurrence du chiffre d’affaires… Les bonnes raisons ne manquent pas pour que les fonds de Private Equity investissent sur le marché des conseils en gestion de patrimoine.
Depuis quelques années, les fonds de Private Equity se sont intéressés aux cabinets de conseil en gestion de patrimoine, en entrant au capital de différentes structures de taille conséquente, souhaitant consolider un marché particulièrement atomisé. Cyrus Conseil, leader du marché, a été la première société de conseil en gestion de patrimoine à faire appel à un fonds de Private Equity. Entre-temps, certains acteurs se sont alliés à des partenaires-fournisseurs pour financer leur développement, à l’image de Crystal. Depuis, les prises de participations – majoritaires ou minoritaires – se sont accélérées. Outre Cyrus et Crystal, plusieurs sociétés ont fait entrer des capital-investisseurs dans leur tour de table : Herez (plus précisément un holding familial), Carat Capital, Groupe Premium – qui en a profité pour investir le marché des CGP –, Patrimmofi, Astoria Finance… Notons que ces nouveaux investisseurs ont investi d’autres acteurs du marché, comme Nortia, Cerenicimo, Primonial, Harvest ou encore Eres.
Un marché français en retardSi des fonds de capital-investissement s’intéressent à un secteur d’activité, c’est qu’ils y trouvent de belles perspectives de développement pour y espérer une belle rentabilité à moyen terme (généralement quatre à six ans). Pour ces acteurs, les opportunités sont réelles.Tout d’abord, le marché du conseil en gestion de patrimoine est en expansion, mais en retard vis-à-vis de ses voisins européens et des Etats-Unis. « Depuis trois ou quatre ans, nous observons que ce marché est très dynamique. Il est, pour nous, attractif à plusieurs titres:son marché sous-jacent est en croissance, les CGP gagnent des parts de marché et accusent un retard vis-à-vis de leurs confrères européens ou américains. Et nous pensons que ce marché va poursuivre sa croissance », se réjouit Thibaud de Portzamparc, Partner chez Siparex.
Des clients délaissés par les banquesEn effet, sur un marché de l’épargne qui grossit d’année en année, les CGP comblent progressivement leur retard sur leurs concurrents bancaires qui délaissent la clientèle patrimoniale. David Robin, associé chez Andera Partners qui a pris une participation au sein de Patrimmofi, souligne que « Le marché des conseillers en gestion de patrimoine est en croissance, car il s’adresse à une population – les Français détenant entre 500 000 et 2 millions d’euros de patrimoine – pour laquelle l’offre bancaire traditionnelle ne répond pas aux attentes et qui n’est pas éligible à la gestion de fortune. Dès lors, la part de marché des CGP progresse de 5 à 7 % par an sur cette typologie de client. » Thomas Simon, Partner chez Seven2, confirme : « Les CGP prennent progressivement des parts de marché aux banques de réseau, moins dynamiques et qui n’opèrent pas en architecture ouverte, et aux banques privées qui ont augmenté les seuils d’accès à leurs services. Ces deux mouvements conjugués créent un espace propice au développement des cabinets de gestion de patrimoine ».
Une offre élargieLa gamme élargie de solutions distribuée est aussi un atout pour la profession. « L’offre proposée est plus sophistiquée, avec un nombre de supports éligible à la clientèle qui s’élargit, passant des unités de compte en assurance-vie et les produits de défiscalisation traditionnels à des solutions offrant de nouvelles perspectives de développement, comme la dette privée, le Private Equity et les produits structurés », indique David Robin.
Un chiffre d’affaires récurrentPour les acteurs du Private Equity, la récurrence de chiffre d’affaires via la rémunération sur encours portée sur un stock d’épargne investi dans des enveloppes de détention de long terme, est aussi un gage de résilience du modèle économique de la profession.
Une inévitable concentrationAutre élément concourant à l’attrait du marché réside dans son potentiel de consolidation, avec des cabinets le plus souvent de petite taille devant faire face à l’augmentation de leurs coûts fixes, mais pas seulement. « Pour autant, le marché des CGP demeure très atomisé et la concentration ne fait que commencer pour différentes raisons, note David Robin. Tout d’abord, la réglementation est de plus en plus drastique, ce qui contribue à augmenter les coûts fixes des cabinets. De plus, c’est un métier à économies d’échelle où la taille critique est nécessaire pour pouvoir disposer d’une offre complète, mais aussi pour générer un volume important et ainsi négocier de meilleures rémunérations pour les clients. » Pierre Meignen, Managing Director d’Eurazeo, confirme : « Mener une stratégie de consolidation sur le marché des CGP est très attractif, car il s’agit d’une population très atomisée. Le terrain est d’autant plus fertile que nombreux sont ceux qui arrivent à l’âge de la retraite et réfléchissent au devenir de leur cabinet. Par ailleurs, la réglementation nécessite la mise en oeuvre de moyens importants, tandis que le client final cherche à entretenir un dialogue fluide avec son conseiller, en particulier via des outils digitaux. D’où l’intérêt pour ces gérants de cabinet de s’adresser à une organisation qui fluidifie leur activité. Par ailleurs, nous observons également que les fournisseurs de la profession cherchent davantage à s’adresser à des acteurs leaders sur le marché. D’ailleurs, cela permet au CGP et au client final d’accéder à davantage de produits de meilleure qualité et aux meilleures conditions tarifaires ».
Un soutien pas seulement financierCes fonds de Private Equity apportent en premier lieu des moyens financiers et son savoir-faire dans la réalisation d’opérations de croissance externe (identification de cibles, due diligence…). « Avec Benjamin Brochet, nous avons ainsi constitué une équipe M&A qui a permis au groupe de passer à un rythme d’une acquisition par mois depuis deux ans », note, par exemple, Thomas Simon. Mais ils apportent aussi un soutien non négligeable à leurs dirigeants dans d’autres domaines. « Les dirigeants que nous accompagnons peuvent également profiter de nos ressources en matières juridique et technologique ou en cybersécurité et en RSE, entre autres. Nous partageons avec eux les bonnes pratiques et nous leur ouvrons notre carnet d’adresses », précise Pierre Meignen. La structuration de l’entreprise est un des domaines principaux où interviennent les fonds afin de pouvoir digérer sa forte croissance (cadres clés, constitution d’un board, appui de conseils externes, administrateurs indépendants, etc.). « Nous accompagnons l’équipe de management pour doter le groupe d’une organisation propice à absorber sa forte croissance, avec la création d’un comité de direction et le renforcement des fonctions transverses pour améliorer le niveau de prestation servi, tant aux clients qu’aux CGP qui nous rejoignent », indique David Robin.Il peut également s’agir de mener à bien la digitalisation de l’activité, comme l’expose Thibaud de Portzamparc : « Le cœur de métier reste la spécialité des dirigeants en place, mais nous pouvons les soutenir sur différents points. C’est le cas notamment dans le domaine digital, Siparex investissant également dans l’univers des FinTechs via XAnge et disposant d’une équipe operating qui accompagne les dirigeants dans les enjeux de digitalisation, aussi bien en interne que vis-à-vis de leurs clients. » Le dirigeant de Siparex ajoute : « Nous avons aussi une démarche en faveur de l’ESG qui prend de plus en plus de place dans les solutions distribuées ». Aussi, il peut s’agir de distribuer des solutions de Private Equity auprès de la clientèle. Par exemple, Siparex travaille actuellement à la mise en place d’un fonds de capital-investissement accessible à la clientèle de La Financière d’Orion.Néanmoins, ce n’est pas toujours le cas. « Il existe une “muraille de Chine” chez Seven2 concernant notre participation dans Crystal entre l’équipe d’investissement dédiée, qui la suit, et notre équipe de levée de fonds, qui échange avec les équipes de Crystal comme elle le ferait avec tout autre distributeur. Nous n’intervenons pas dans la sélection des produits proposés par Crystal car leur indépendance est justement une force », confie Thomas Simon. Chez Andera, en revanche, il n'est pas souhaité que ce type de lien se forme.
Un marché toujours dynamiqueSi le contexte économique est moins porteur pour les opérations de Private Equity, le marché de la gestion de patrimoine n’a en rien perdu de sa dynamique, comme le confirme Thibaud de Portzamparc : « Si le marché du Private Equity a quelque peu ralenti depuis le début de l’année dans son ensemble, celui des conseils en gestion de patrimoine reste très dynamique, car le potentiel est toujours là avec de nombreux cabinets réalisant entre 0,5 et 3 millions d’euros de chiffre d’affaires qui sont susceptibles d’être rachetés ». Néanmoins, « si les cabinets de qualité vont continuer à se vendre à des prix élevés, les structures moins actives risquent de voir leur prix s’éroder », note Thomas Simon. Pourrait-on assister à une consolidation des acteurs ? Les avis divergent. Selon Thibaud de Portzamparc, « Cette deuxième étape dans la consolidation pourrait intervenir dans les trois à cinq prochaines années ». Pour Andera, « La structure du marché va encore évoluer car des fonds de taille importante observent les acteurs majeurs du secteur et pourraient pousser à sa consolidation, l’acquisition de cabinets de petite taille étant un processus long. De même, de nouveaux acteurs de taille intermédiaire pourraient à nouveau émerger. Enfin, certains tours de table devraient évoluer dans les douze à vingt-quatre mois et faire bouger les lignes. » Thomas Simon abonde dans ce sens : « Le sens de l’histoire plaide pour une consolidation encore plus forte du marché, même si de nouveaux cabinets se créent régulièrement. Nous pensons que les acquisitions vont monter en taille, jusqu’à des rapprochements dans quelques années entre leaders du marché». En revanche, pour Pierre Meignen, «La consolidation de ces différentes platesformes aux propositions de valeurs bien différentes les unes des autres n’est pas encore pour demain. Chez Premium, il s’agit en particulier des CGP qui cherchent à accélérer leur développement. Le marché est suffisamment vaste pour que ces offres perdurent. Nous anticipons davantage une verticalisation de la chaîne de valeur, via l’acquisition d’usines de produits complémentaires, comme Premium l’a récemment fait avec l’acquisition d’i-Kapital sur les produits structurés. »Quatre stratégies différentesPatrimmofi-AnderaAndera Partners a pris une participation de 49 % au capital de Patrimmofi, en septembre 2021. La société a doublé de taille depuis, avec une croissance à deux chiffres de sa collecte organique et une politique active de croissance externe. David Robin précise que « Sur ce marché, plusieurs modèles coexistent avec un niveau d’intégration et de partnership plus ou moins marqué. Avec Patrimmofi, nous avons fait le choix d’un modèle visant à intégrer des entrepreneurs de talent cherchant à se décharger des fonctions transverses pour se concentrer sur leur activité de gestionnaire de patrimoine, tout en bénéficiant d’une offre de qualité supérieure et d’une puissance de frappe plus importante que ce qu’ils peuvent proposer seuls. Ils restent investis dans le groupe avec un parfait alignement d’intérêt sur le développement futur. Par définition, ce modèle séduit des professionnels souhaitant poursuivre leurs parcours professionnels. L’expérience des dirigeants en matière de croissances externes réussies a aussi été une preuve de la qualité de l’équipe et du modèle d’intégration des cabinets qu’ils promeuvent. S’agissant de l’offre, Patrimmofi construit une gamme de solutions large et sophistiquée, mais avec un profil de risque très “sécure”, avec des produits, certes moins rémunérateurs pour le gérant, mais à la volatilité plus faible pour le client, ce qui correspond pleinement à la cible des clients patrimoniaux adressés. Ce positionnement se traduit par une croissance très importante des encours gérés en organique depuis deux ans. D’ailleurs, dans un souci d’indépendance, Patrimmofi ne cherche pas à verticaliser son dispositif, ce que nous jugeons plutôt sain ».
La Financière d’Orion-SiparexSiparex a pris une participation minoritaire (plus de 40 %) au sein d’Orion via son équipe ETI qui gère 1 milliard d’euros sur un total de 3,6 milliards d’euros pour le groupe. « Dans un marché très atomisé, Orion est un acteur de la consolidation, qui concourt à son industrialisation rendue nécessaire par les contraintes réglementaires et administratives qui pèsent sur les CGP, affirme Thibaud de Portzamparc. En s’adossant à Orion, les CGP peuvent bénéficier des services d’un groupe et d’un outil digital de pointe, Canopia. Les dirigeants du groupe, Manuel Parent et Emmanuel Angelier, portent une vision à laquelle nous adhérons. Par ailleurs, nous avons apprécié son offre de valeurs, qui s’appuie sur deux jambes:des cabinets de gestion de patrimoine en propre d’un côté, et une offre de plate-forme de produits et services en BtoB de l’autre. L’ensemble dispose d’un beau potentiel d’accélération, soutenu par le développement de Canopia. » Crystal-Seven2De son côté, Seven2 a pris une participation au sein du groupe Crystal début 2021, après une première tentative quelques années plus tôt. « En 20182019, nous avions rencontré différents acteurs dont Crystal, se souvient Thomas Simon. A l’époque, les dirigeants de Crystal, Bruno Narchal et Jean-Maxi-milien Vancayezeele, ne souhaitaient pas s’allier à un fonds de Private Equity, même si nos échanges étaient constructifs et reflétaient une vraie proximité, tant sur le plan humain que sur une vision stratégique partagée, reposant sur leur ADN construit au fil de trente années d’historique et centré sur le service apporté au client final. Notre prise de participation s’est finalement réalisée début 2021. » Depuis, le groupe a réalisé vingt-trois acquisitions de cabinets et multiplié sa taille par trois, passant de 2,5 à 7 milliards d’euros d’encours, avec un chiffre d’affaires augmentant de 40 à 100 millions d’euros. « Crystal se distingue également par l’internalisation de compétences avancées en sélection et design de produits, elles aussi centrées sur le client final, avec Zenith IS spécialisé en produits structurés, immobilier, asset management long-only et Private Equity. » Groupe Premium-EurazeoEn juillet 2021, Eurazeo prenait une participation au sein du groupe Premium. « Le courtage de produits d’épargne assurantiels, métier historique de Premium, constitue pour nous un marché à fort potentiel, affirme Pierre Meignen. Le marché français de l’épargne connaît une forte croissance, d’autant plus que la loi Pacte flèche l’épargne vers des solutions retraite de long terme. Le groupe Premium repose sur un réseau de mandataires indépendants, qui opère sur la clientèle mass affluent aujourd’hui délaissée par les réseaux bancaires, et avec des produits de qualité. Cette alternative apporte beaucoup de valeur au client final, d’où la forte croissance enregistrée par le groupe. » Le groupe Premium, qui dispose également de Flornoy-Ferri, une société de gestion ayant grandi par croissance externe, a ensuite élargi sa stratégie à la gestion de patrimoine en procédant à différentes opérations de croissance externe. « Nous avons validé ce positionnement avec Olivier Farouz, ce qui permet au groupe de s’adresser à une nouvelle cible de clients, plus fortunés, confie Pierre Meignen. Désormais, le groupe Premium s’appuie sur deux dynamiques commerciales différentes : une stratégie de flux sur une clientèle jeune, autour de quarante ans, donc sur un horizon de vingt-cinq ans via le réseau de mandataires, avec une rémunération mêlant up-front et commissions sur encours; et une stratégie reposant sur des stocks via les CGP, qui croît moins, vite mais est plus résiliente. De notre point de vue d’investisseurs, disposer de ces deux jambes rend le groupe encore plus attractif. » Lors d’un nouveau tour de table, le groupe Premium a accueilli Blackstone à son capital, afin de renforcer ses moyens pour poursuivre sa croissance externe et s’implanter dans d’autres pays d’Europe. « L’arrivée d’un nouvel actionnaire international est un gage de sécurité supplémentaire, Eurazeo restant l’actionnaire contrôlant », conclut Pierre Meignen.
Confiants sur le modèle économiqueLa suppression du modèle commissions-rétrocessions laissant place à un modèle 100 % honoraires refait régulièrement surface, comme récemment lors des débats autour de la Retail Strategy Investment (RIS) portée par Mairead McGuinness, commissaire européenne aux services financiers. Les fonds de Private Equity ont, bien sûr, conscience de ce risque, mais la confiance reste de mise chez l’ensemble de ces acteurs, confiants également sur la solidité des sociétés dans lesquelles ils ont investi. A ce titre, la position de Siparex résume assez bien leur sentiment. Pour Thibaud de Portzamparc, « La disparition des rétrocessions est un risque que nous avons observé, mais qui ne suscite pas une forte inquiétude pour nous. Nous avons pu observer les méfaits de ce type de dispositif au Royaume-Uni, où toute une partie des clients n’ont plus pu accéder à un conseil de qualité. L’interdiction totale vient d’être écartée, en contrepartie d’une transparence encore renforcée. Ce nouveau cadre vient d’ailleurs renforcer notre idée selon laquelle les CGP ont tout intérêt à rejoindre La Financière d’Orion pour adapter leurs process ».