« Il vaut mieux avoir à peu près raison que précisément tort ». Même si cette phrase, attribuée à John Maynard Keynes, a été prononcée bien avant que le terme ESG n’existe, elle résume bien certains des excès présents dans l’écosystème ESG.
Les plus fervents défenseurs de l’ESG ont souvent une pensée dogmatique, un sujet est noir ou blanc. Or, la réalité est presque tout le temps grise. Que doit-on penser d’un véhicule électrique qui est rechargé avec de l’électricité produite à partir de charbon ? Faut-il construire des parcs éoliens en masse sachant que les écosystèmes locaux seront forcément impactés et déstabilisés ? Quel est le bon taux de rotation des employés ? un chiffre très bas témoigne d’une grande fidélité mais aussi d’une absence de sang neuf nécessaire à l’entreprise pour innover et se remettre en question ?
Les exemples similaires sont innombrables. Pour faire face à ce dilemme, les investisseurs s’en remettent souvent à des agences de notations externes. Grâce à l’usage d’une multitude d’indicateurs, et de méthodes de scoring particulièrement complexes et confuses, ces organismes veulent faire autorité dans le monde de la notation ESG des entreprises. Malgré la complexité de leurs approches, elles peinent à établir un consensus. La preuve a été apportée par une étude des scores ESG de 400 entreprises par 6 fournisseurs différents. La corrélation entre les notes ESG de MSCI, S&P et Sustainalytics était inférieure à 50%. A titre de comparaison, la corrélation entre les notes attribuées à la dette long terme par les trois agences principales de notation de crédit est de 94-96%.
L’ESG est donc un sujet complexe où le risque est d’avoir « précisément tort » si l’on s’en tient à remplir des cases dans une grande feuille Excel. De même qu’un bon investisseur analyse des faits et agit avec discernement, l’ESG « utile » doit aussi se baser sur des faits et les analyser en pesant le pour et le contre.
Il doit aussi donner la priorité à ce qui suscite le moins de débat, c’est-à-dire le E de ESG. Comme dans l’édition de The Economist (23/07/2022), on pourrait même résumer le E à émissions et on aurait « à peu près raison ». Le changement climatique est désormais accepté par la plupart d’entre nous, de même que sa cause : les émissions de gaz à effet de serre. C’est le plus gros défi à résoudre, et c’est là que les données sont les plus fiables, même si elles peuvent encore s’améliorer. Analyser la trajectoire des émissions de GES d’une entreprise n’est pas spécialement compliqué et le diagnostic entre deux investisseurs qui regarderaient les mêmes données serait probablement le même. Le E est donc le sujet le plus important et il se prête à une analyse objective des faits, il est donc raisonnable d’en faire la priorité d’une analyse ESG.
Pour aider à faire « bouger les lignes » les investisseurs doivent ensuite dialoguer avec l’entreprise pour s’assurer que les efforts sur le E sont rapides, bien gérés et bien documentés.
Un autre dogme de l’ESG est de n’investir que dans des entreprises qui sont déjà « parfaites » en ESG et de « boycotter » les autres. En reprenant l’exemple du E, cela revient à ne sélectionner que des entreprises qui n’émettent pas ou très peu de GES. Cette stratégie donne bonne conscience mais ne résout en rien la problématique du climat. Elle ne semble même pas offrir une meilleure performance.
Une étude de l’ESMA (23/05/2022) montre qu’entre 2019 et 2021, les fonds avec une empreinte carbone élevée avaient de meilleures performances que les fonds avec une empreinte carbone faible. Tant mieux, car l’effort « utile » est d’accompagner les entreprises les plus émettrices pour qu’elles réduisent leurs émissions à un rythme soutenu et compatible avec les Accords de Paris. A ce titre, des coalitions d’investisseurs comme CA100+ ou Say on Climate, qui poussent les sociétés à accélérer leur trajectoire de réduction des GES, sont des initiatives beaucoup plus efficaces pour faire changer les choses.
Les sources d’un ESG « utile » se trouvent dans l’analyse factuelle et pragmatique, l’engagement actionnarial sur un ou deux sujets prioritaires et la mesure des progrès de l’entreprise dans le temps. Un ESG pratiqué de cette façon est certes plus simple qu’un score ESG complexe (utilisé principalement pour du reporting) mais il a plus de chances d’être utile et d’avoir « à peu près raison ».
Laurent Chaudeurge, Responsable ESG
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