Les modalités de souscription d’une assurance-vie sont souvent négligées, l’accent étant mis sur l’allocation financière et la rédaction de la clause bénéficiaire. Il est pourtant possible d’ouvrir une assurance-vie seul, cas le plus fréquent, mais aussi à deux pour les couples mariés. Une alternative pertinente dans certaines approches patrimoniales. Explications.
De manière usuelle, l’assurance-vie comporte un seul souscripteur, qui sera aussi l’assuré du contrat. Sur les 2 à 2,5 millions de nouveaux contrats ouverts chaque année, la quasi-totalité l’est sous cette forme, y compris au sein des couples mariés. Etonnant, alors que le Code des assurances autorise, via son article L. 132-1 (alinéa 2), les adhésions conjointes, c’est-à-dire comportant plusieurs souscripteurs et/ou assurés. Etonnant encore, alors que l’article 1422 du Code civil prévoit une cogestion des époux sur les biens communs. Ce qui, pris à la lettre, nécessiterait de recueillir au moins l’accord formel du conjoint, tant sur le choix des supports financiers que pour la désignation du bénéficiaire lors de l’ouverture d’une assurance-vie à titre individuel.En pratique, ce n’est évidemment pas le cas. Et les assureurs de répondre que l’emploi de deniers communs dans une assurance-vie est considéré comme un acte d’administration, pouvant à ce titre être réalisé par un seul des deux époux.D’où la multiplication des souscriptions individuelles. Et le peu d’écho rencontré par les co-souscriptions (dites aussi co-adhésions, selon la nature du contrat). Dont acte.
Co-souscription : une pratique limitée Il n’en fut pas toujours ainsi. Un petit coup d’œil dans le rétroviseur nous apprend que la co-souscription était davantage utilisée au siècle dernier, y compris entre personnes non mariées, ce qui pouvait en faire un outil d’évasion fiscale par un mécanisme de donation indirecte au souscripteur survivant. « L’administration fiscale est fondée à apporter la preuve qu’un contrat d’assurance recouvre, dans certaines situations, une donation indirecte qui doit être assujettie aux droits de mutation à titre gratuit, indiquait la réponse ministérielle n° 5703, publiée au Journal officiel de l’Assemblée nationale le 20 décembre 1993 (p. 4608). Tel peut être le cas lorsqu’un contrat est souscrit en adhésion conjointe avec un ou plusieurs autres souscripteurs dans la mesure où ceux-ci bénéficient directement ou indirectement des sommes investies ». Face aux remontrances du fisc, la profession s’est progressivement autorégulée, réservant depuis une vingtaine d’années la co-souscription aux couples mariés sous un régime de communauté. Exit donc ceux unis en séparation de biens (sauf pour les sommes provenant d’une société d’acquêts attribuée au conjoint survivant), mais aussi les couples pacsés ou vivant en concubinage.Pour autant, la co-souscription concerne sur le papier nombre de ménages. Rappelons qu’en France, le régime légal de base, à défaut de contrat de mariage, est celui de la communauté réduite aux acquêts (depuis février 1966). Et qu’il concerne autour de 80 % des mariages enregistrés chaque année.Voilà pour le cadre. Dans les faits, les compagnies d’assurances ne font pas grande publicité de la co-souscription, bien qu’elle soit très souvent prévue dans les bulletins d’adhésion des contrats. « Depuis la réponse Ciot, les assureurs acceptent plus facilement le schéma de co-souscription pour des couples mariés en communauté, souligne Olivier Grenon-Andrieu, président d’Equance. Toutefois, chaque compagnie a sa propre doctrine, plus ou moins tatillonne. La crainte d’un assureur reste évidemment de voir engagée sa responsabilité civile en cas de contentieux. » Ce que confirme Isabelle Lemaire, expert patrimonial chez Abeille Assurances : « Nous pratiquons parfois la co-souscription, mais elle a surtout été utilisée entre 2010 et 2016 pour contrer la réponse ministérielle Bacquet. Selon cette doctrine fiscale, au décès d’un époux commun en biens, la moitié de la valeur du contrat non dénoué (celui du conjoint survivant) devait intégrer la succession (de l’époux prédécédé) si celui-ci avait été alimenté par des deniers communs. La co-souscription était la parade, comme étant traitée hors succession. Ce n’est plus utile depuis la réponse ministérielle Ciot du 23 février 2016, puisque le contrat du conjoint sur-vivant n’est plus taxable aux droits de succession. Dans ce cadre, la présence de contrats non dénoués n’est plus aussi problématique. Pour autant, la co-souscription peut s’avérer opportune dans certaines situations. » Problème : cette modalité d’adhésion est plus contraignante, notamment avec la nécessité de recueillir les deux signatures pour tout acte de gestion, signalent unanimement les assureurs. Et d’affirmer qu’avec l’adhésion individuelle, c’est bien plus simple:le souscripteur et l’assuré ne font qu’un (sauf cas rares), utilisant l’assurance-vie pour épargner à son rythme et transmettre, à son décès, un capital à un bénéficiaire désigné dans des conditions fiscales favorables. On pourrait donc s’arrêter là. Sauf que l’ingénierie patrimoniale est une boîte à outils, dans laquelle la co-souscription va se révéler pertinente dans certaines situations, selon le régime matrimonial du ménage, les buts qu’il poursuit et la nature juridique des capitaux investis. Décryptons.
Les préalables de la co-souscriptionPoint de départ : au lieu d’être ouvert au nom d’une seule personne, le contrat est détenu par deux personnes, qui deviennent alors co-souscripteurs et co-assurés.Pourquoi s’y pencher ? « Le premier avantage de la co-souscription est de permettre aux époux de réaliser une véritable gestion commune du contrat, analyse Gilles Belloir, directeur général de Placement-direct.fr. C’est un principe de gestion plutôt sain, le contrat étant alimenté avec des fonds communs. » Vu sous cet angle, la co-adhésion est parfaitement adaptée à la philosophie des régimes matrimoniaux de communauté. Ajoutons qu’elle permet à chaque conjoint de garder un contrôle sur les deniers du couple, par exemple sur le choix des supports financiers.Après le principe, la pratique. Souscrire à deux, c’est donc signer à… deux. « Réaliser un versement, un arbitrage, un rachat ou modifier la clause bénéficiaire du contrat nécessitera alors une double signature, ajoute Gilles Belloir. Si besoin toutefois, un mandat croisé pourra être mis en place permettant à l’un comme l’autre d’effectuer certaines opérations sans forcément justifier de l’accord du conjoint. » Le couple va devoir s’entendre, et ce sur la durée. Des difficultés pourront peut-être survenir, par exemple si l’un des époux souhaite placer le capital sur le fonds euros pour plus de sécurité, tandis que l’autre recherche plus de rentabilité en investissant sur des unités de compte. Ceci posé, deux modes de co-souscription sont possibles. Cas 1 : le contrat se dénouera au premier décès d’un des cosignataires. Cas 2 : il se dénouera au second décès. Ce choix à faire au départ doit être réfléchi, car non modifiable par la suite (cela entraînerait – probablement – une « novation » du contrat, c’est-à-dire sa remise à zéro au plan fiscal).Dans les deux cas, au décès, le capital sera transmis dans le respect de la clause bénéficiaire, avec la fiscalité idoine (cf.encadré ci-dessous). Evidemment, de son vivant, le couple conserve la faculté d’un rachat total ou partiel sous réserve d’une demande commune signée. Reste à souligner que les assureurs bordent le champ des possibles. Logique, ce sont des gestionnaires de risque, très prudents sur le terrain juridico-fiscal (ils le sont moins sur les solutions financières proposées aux assurés, cf. Investissement Conseils n° 862, juin 2023, pages 14 à 20). La co-souscription avec dénouement au premier décès est ainsi ouverte aux seuls couples mariés sous un régime communautaire. Et pour un dénouement au second décès, un avantage matrimonial sera très souvent requis par la compagnie.
La purge des plus-valuesRetour au cas 1. En règle générale, l’époux survivant est désigné bénéficiaire, perçoit le capital exonéré de droits de succession, et peut le réemployer comme il l’entend. Mais les enfants peuvent aussi être désignés bénéficiaires d’un tel contrat.Reste à bien faire les choses. « Pour une co-adhésion ou co-souscription au premier décès, il sera pertinent que le couple alimente le contrat avant ses soixante-dix ans pour des raisons fiscales, conseille Gilles Belloir. Cette configuration supprime l’aléa de l’ordre des décès au sein d’un couple marié et donc une transmission plus rapide aux enfants s’ils sont désignés bénéficiaires, quel que soit le premier parent qui décède. Si le conjoint est bénéficiaire, avec un dénouement au premier décès, on va purger la plus-value fiscale et les capitaux décès seront considérés comme un bien propre pour le conjoint bénéficiaire (article L. 132-16 du Code des assurances). Mais attention, il faudra replacer les fonds, alors que le survivant a souvent plus de soixante-dix ans. Nous aurons la même situation pour des souscriptions individuelles croisées. » Même constat pour Isabelle Lemaire : « l’intérêt de la co-souscription avec dénouement au premier décès est la purge les plus-values du contrat pour le conjoint survivant. Exemple : au lieu de souscrire deux contrats croisés de 150 000 euros, les époux co-souscrivent un seul contrat de 300 000 euros, le conjoint survivant d’entre eux étant le bénéficiaire. Que se passe-t-il au premier décès ? Le conjoint survivant reçoit les fonds, soit 300 000 euros en totale exonération fiscale. Alors qu’avec deux contrats individuels, le sien n’aurait pas été dénoué et les rachats fiscalisés. Si le conjoint survivant a pris soin d’ouvrir préalablement un contrat d’assurance-vie individuel, il pourra y réemployer les capitaux reçus et procéder à des rachats avec une base fiscale imposable nulle, puis réduite. Cette stratégie a toutefois un inconvénient:si le conjoint survivant a plus de soixante-dix ans, lors du dénouement du contrat, en désignant ses enfants bénéficiaires, ceux-ci n’auront droit qu’à l’abattement global de 30 500 euros. Que faire pour pallier cet inconvénient ? Une clause bénéficiaire démembrée sur le contrat co-souscrit. Il s’agit alors d’attribuer au conjoint l’usufruit avec quasi-usufruit et la nue-propriété aux enfants. On obtient alors, si les versements ont été réalisés avant les soixante-dix ans de l’époux prédécédé, un abattement de 152 500 euros par couple d’usufruitier/nu-propriétaire (article 990 I du Code général des impôts), l’article 669 du Code général des impôts définissant la valeur fiscale de l’usufruit. Entre soixante-et-onze et quatre-vingts ans par exemple, l’usufruit est valorisé à 30 %. Au premier décès, nous recommandons de constater la créance de quasi-usufruit dans un acte notarié, de surcroît inscrit au fichier central des dispositions de dernières volontés (FCDDV). Ainsi, il n’y aura aucun risque d’oubli et une opposabilité à l’administration fiscale indiscutable. Le notaire pourra utilement prévoir une clause d’indexation (par exemple sur l’OAT) ou de subrogation (sur un achat immobilier, par exemple). Au décès du conjoint survivant, cette créance, inscrite au passif de sa succession, reviendra gratuitement aux enfants. En somme, avec la co-souscription au dénouement au premier décès et une clause bénéficiaire démembrée, on augmente la part reçue par le conjoint survivant par l’exonération des plus-values, et on transmet aux enfants en profitant de l’abattement de 152 500 euros par enfant. » Pour compléter, notons que si le conjoint survivant est bénéficiaire du capital, aucune récompense n’est due à la communauté, c’est un bien propre pour lui (article L. 132-16 du Code des assurances), sauf cas de primes exagérées. Pour tout autre bénéficiaire, la communauté a théoriquement droit à une récompense.Le schéma est pertinent, mais pas unique. D’autres portes peuvent s’ouvrir. « Un autre cas plus méconnu de la co-souscription, avec dénouement au premier décès, concerne les couples mariés en communauté universelle, avec clause d’attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant, illustre Isabelle Lemaire. Avec ce régime matrimonial, au premier décès, les enfants ne reçoivent rien (pas d’ouverture de succession) et perdent donc les abattements fiscaux du parent prédécédé.Pour les parents qui souhaitent que leurs enfants perçoivent tout de même quelque chose au premier décès, nous proposons une co-adhésion avec dénouement au premier décès, pour reconstituer les abattements au premier décès. Ainsi, les enfants reçoivent des capitaux, en profitant des abattements spécifiques de l’assurance-vie, soit 152 500 euros par bénéficiaire, si versements effectués avant les soixante-dix ans du conjoint prédécédé, soit l’abattement global de 30 500 euros avant abattement de successoral de 100 000 euros par enfant, si versements après soixante-dix ans. De ce fait, conformément au droit des assurances, on déroge au droit civil et fiscal successoral, et les enfants reçoivent des capitaux en optimisation fiscale. » Dénouement au second décès : plus attractif ? Passons maintenant au cas 2. « D’un point de vue patrimonial, la co-souscription pourra s’avérer plus intéressante, avec un dénouement du contrat au décès du deuxième époux pour deux raisons principales, souligne Gilles Belloir. D’abord, le survivant devient unique titulaire au jour du décès, sans démarche administrative à effectuer. Sa protection est immédiate. Par ricochet, le survivant n’a pas à replacer les fonds ailleurs, ce qui sera souvent source de tracas financiers. Ensuite, l’intérêt est fiscal. Le survivant va pouvoir utiliser l’assurance-vie, initialement co-souscrite, en profitant de son antériorité fiscale sur les retraits. Et à son décès, si les capitaux avaient été versés sur le contrat avant ses soixante-dix ans, les bénéficiaires profiteront de l’abattement de 152 500 euros. A contrario, quand le couple souscrit chacun son contrat en se désignant bénéficiaire, au premier décès, il faudra replacer les fonds à un âge souvent supérieur à soixante-dix ans, entraînant à terme une fiscalité moins favorable pour les bénéficiaires, les enfants le plus souvent. Conclusion : la co-souscription permet de protéger le conjoint survivant, tout en optimisant l’impact fiscal de la transmission aux enfants. Toutefois, c’est plus contraignant pour les gestions et il faudra adapter son régime matrimonial, soit en passant en communauté universelle avec clause d’attribution intégrale, soit en incluant une clause de préciput dans le régime de communauté légale. Il faut donc bien peser le pour et le contre avant de faire son choix. » L’essentiel est dit.Reprenons l’argument clé:la libre disposition du contrat par le conjoint survivant. Après le premier décès, ce dernier pourra continuer à abonder le contrat initialement co-souscrit, y effectuer des rachats avec une fiscalité favorable si le contrat a plus de huit ans, en modifier la clause bénéficiaire… comme s’il avait ouvert un contrat individuel dès le départ. Le but est ici de protéger au maximum le conjoint survivant.Ce que confirme Alexandre Boutin, directeur de l’ingénierie patrimoniale chez Primonial : « les co-souscriptions avec dénouement au second décès sont réservées aux régimes communautaires avec des avantages matrimoniaux, tels que la clause d’attribution intégrale ou clause de préciput. L’intérêt de cette solution est de maintenir un contrat en l’état, et pour le conjoint survivant, de le faire vivre en profitant de son antériorité fiscale. Au second décès, les bénéficiaires, en général les enfants, perçoivent le capital en compte selon la fiscalité de l’assurance-vie. Point clé : c’est l’âge du souscripteur décédé en second, au moment du versement des primes qui fixe la fiscalité des capitaux-décès ». Attention, à défaut d’aménagement du régime matrimonial, la moitié de la valeur du contrat réintégrera la succession du conjoint prédécédé (arrêt de la Cour de cassation du 26 juin 2019). Pourquoi ? Parce que le contrat non dénoué alimenté par des fonds communs est un acquêt de la communauté. Et que conformément à l’arrêt Praslicka de 1992 qui traitait d’un divorce, la dissolution par décès entraîne les mêmes conséquences:il sera tenu compte, lors de la liquidation civile de la communauté, de la moitié de la valeur du contrat non dénoué.Un détail qui milite clairement en faveur des avantages matrimoniaux en pleine propriété, afin que le survivant puisse prélever sur la communauté lesdits contrats d’assurance-vie non dénoués. C’est du reste ce qu’exigent la plupart des compagnies.
La fiscalité, le nerf du choixCas 1 ou cas 2, la co-souscription vise, en premier lieu, à surprotéger le conjoint survivant. Fiscalement, c’est toutefois un choix très discutable depuis la suppression des droits de succession pour le conjoint survivant en 2007. Est-ce alors une solution efficace pour réduire les droits à payer pour les enfants ? Possible. Illustrons:Monsieur et Madame X sont mariés sous le régime de la communauté universelle avec attribution intégrale au conjoint survivant. Ils ont co-souscrit un contrat alimenté par un versement unique de 250 000 euros à l’âge de soixante ans. Leurs deux enfants sont désignés bénéficiaires par parts égales du contrat. Au décès de Monsieur, quinze ans plus tard, Madame détient seule le contrat désormais valorisé à 400 000 euros. Imaginons qu’elle en consomme une partie et qu’à son décès, la valeur du contrat soit de 300 000 euros. Ce capital sera alors partagé entre les deux enfants qui percevront chacun 150 000 euros. Les fonds ayant été versés avant l’âge de soixante-dix ans, un abattement de 152 500 euros s’applique pour chacun des bénéficiaires. Aucune fiscalité ne sera retenue sur les capitaux-décès versés aux enfants. Autre hypothèse : Monsieur et Madame X souscrivent chacun un contrat par un versement unique de 125 000 euros. Pour se protéger, ils se sont mutuellement désignés bénéficiaires, les deux enfants étant bénéficiaires de second rang. Au décès de Monsieur, son épouse touche les capitaux du contrat valorisé à 200 000 euros, en totale exonération de droits. Mais alors âgée de soixante-quinze ans, elle replace cette somme sur son propre contrat, portant le tout à 400 000 euros. A son décès, l’assurance-vie vaut 300 000 euros. Fiscalement, deux règles s’appliquent. La première moitié versée avant soixante-dix ans sera transmise en totale exonération aux enfants. Les 200 000 euros versés après soixante-dix ans bénéficieront d’un abattement (global à tous les bénéficiaires taxés) de 30 500 euros. Mais le solde sera taxé au barème des droits de succession, engendrant un coût fiscal important pour les enfants. La co-souscription est ici plus attractive. Mais son revers est de priver les enfants d’un capital financier dès le premier décès… Des schémas plus pointus peuvent être envisagés. « Soit une co-souscription avec dénouement du contrat au second décès, détaille Olivier Grenon-Andrieu. Au premier décès, seul le survivant a la qualité de souscripteur. Fiscalement, la moitié du contrat n’intégrera pas l’actif de communauté. Mais au plan civil, le contrat ayant été alimenté par des deniers communs, la moitié de la valeur de rachat y revient bel et bien ; une soulte sera donc due au survivant. Ce dernier peut utiliser l’assurance-vie librement, y puiser ou non. Au second décès, les sommes sont versées au(x) bénéficiaire(s) de l’assurance-vie, en général les enfants, avec la fiscalité de l’assurance-vie. Pour optimiser ce schéma, au premier décès, le survivant pourra racheter la moitié du contrat par acte notarié chez le notaire, pour constater la valeur de rachat qui correspond en nue-propriété aux enfants. Ces capitaux seront alors réinvestis de manière démembrée dans un contrat de capitalisation. Au décès, les enfants seront exonérés de droits sur ce capital. Sur l’autre moitié du capital toujours placée en assurance-vie, ils percevront le capital selon la fiscalité de l’assurance-vie. »La prime aux souscriptions croiséesSi la co-adhésion détient bien quelques bottes secrètes, ses écueils sont aussi multiples. Outre la problématique du divorce (cf.encadré ci-contre), les professionnels insistent d’abord sur le formalisme très lourd de cette configuration de souscription, avec détail important, l’impossibilité de gérer (sauf exception) le contrat depuis l’espace client en ligne. Deuxième obstacle : l’inadéquation possible entre le régime matrimonial et le dénouement du contrat. Or l’aménagement du régime matrimonial via un notaire est une opération lourde et coûteuse. C’est toutefois le seul moyen efficace pour contrebalancer les effets civils suite à un décès, permettant de prélever en amont certains biens avant la liquidation de la communauté.A noter : le conjoint survivant aura la possibilité de ne pas exercer la clause de préciput selon sa situation au moment du décès. De même, une clause de dispense de récompense peut être envisagée. Les avantages matrimoniaux sont la clé pour adapter les effets civils et fiscaux des transmissions, mais dans le cadre de familles recomposées, ils sont plus compliqués à mettre en place et doivent être mesurés. Bilan, l’étude de la co-souscription s’avère in fine compliquée, avec ses multiples niveaux de lecture.Sur le terrain, pour les couples mariés, les conseillers donnent nettement la priorité aux souscriptions croisées pour des montants identiques, en désignant le conjoint comme premier bénéficiaire en cas de décès.Ce que résume Alexandre Boutin : « la co-souscription avec dénouement du contrat au premier décès est très rarement utilisée dans la pratique. Certes, elle répond à un principe de cogestion du contrat au quotidien, avec la nécessité d’un accord formel des deux conjoints pour tout acte de gestion. C’est ultra-protecteur pour le couple, puisque tout est décidé à deux. Mais en pratique, la gestion s’avère bien moins simple que la souscription de contrats croisés. Cette solution est donc davantage préconisée, parce qu’elle évite toute situation de blocage dans la gestion du contrat, en cas de désaccord entre les époux. Parce qu’elle évite de casser le contrat en cas de divorce, pour autant que les intéressés y consentent tous les deux. Parce qu’en regard, l’adhésion conjointe est plus lourde à gérer qu’une adhésion simple, une double signature étant nécessaire pour tous les actes de gestion du contrat». C’est peu ou prou le discours tenu par les CGP sur le terrain. La question fiscale est aussi souvent tranchée en faveur des souscriptions individuelles. Et pour cause, «la co-adhésion ne permet de bénéficier qu’une seule fois des abattements en matière de fiscalité (152 500 euros ou 30 500 euros) sur la transmission (au premier ou second décès selon l’adhésion), rappelle Alexandre Boutin. A contrario, l’adhésion individuelle (un souscripteur par contrat) permet de doubler ces abattements au profit des bénéficiaires désignés.»En fait, les deux formules peuvent être combinées, puisqu’on peut disposer d’autant de contrats d’assurance-vie que nécessaire. Pour les couples mariés sans contrat, la voie d’une co-adhésion avec dénouement au premier décès vaut d’être connue, avec une astuce, celle d’ouvrir chacun un contrat de manière individuelle pour y déposer les capitaux-décès du contrat souscrit à deux. Le fait que le contrat se dénoue au premier décès (si telle est l’option retenue par les époux) et entraîne une perte de l’antériorité fiscale n’est pas vraiment un inconvénient ici. En effet, en cas de contrats individuels croisés, le décès du premier époux dénoue son contrat et l’antériorité fiscale est également perdue.La solution ? Des adhésions simples pour chaque époux, donc croisées, avec clause de préciput sur les contrats non dénoués. Au premier décès, le contrat de l’époux prédécédé est dénoué et le capital transmis hors succession au conjoint survivant ou autres héritiers via une clause bénéficiaire en pleine propriété ou en démembrement. Le contrat de l’époux survivant est conservé avec toute son antériorité fiscale, il peut même servir de support réceptacle aux capitaux issus du contrat dénoué. Les enfants ne disposent d’aucun droit dessus.
De la nécessité du conseilAttention, le sujet est assez complexe, avec moult occasions de se perdre dans le maquis juridico-fiscal de l’assurance-vie. D’où une pratique limitée sur le marché.Ce que confirme Olivier Grenon-Andrieu : « nous pratiquons la co-souscription dans certaines situations, uniquement avec un dénouement du contrat au second décès. Au premier décès, cela ne présente pas d’intérêt, autant faire des souscriptions croisées, avec des clauses bénéficiaires soignées. Ajoutons que la co-adhésion est aussi source de désaccords potentiels entre les conjoints. La co-souscription avec dénouement au second décès concerne les familles ayant un certain patrimoine, avec pour buts de protéger le conjoint, tout en optimisant la fiscalité du patrimoine transmis aux enfants. Depuis la réponse Ciot de 2016, instaurant la séparation civil-fiscal pour le traitement des capitaux investis, on peut bâtir certaines stratégies. Cela consacre “l’autonomie du droit fiscal”. Mais attention, avec un dénouement au second décès, on va perdre l’abattement de 152 500 euros par bénéficiaire dans l’assurance-vie. Il faut donc qu’il y ait une justification forte à utiliser la co-souscription, d’où la nécessité pour les familles d’être accompagnées par des professionnels aguerris». Indispensable, en effet, pour mesurer toutes les incidences civiles et fiscales d’une co-souscription, notamment s’il y a des enfants. Mais aussi pour voir les conséquences d’un dénouement du contrat au premier ou second décès. En tout état de cause, une co-adhésion doit donc être cohérente avec les objectifs patrimoniaux du couple et avec le régime matrimonial.La stratégie patrimoniale visant à souscrire conjointement un contrat d’assurance-vie doit être bien étudiée et verrouillée dès la souscription, afin d’en assurer les avantages et d’éviter des déconvenues lors du divorce ou de la succession. D’où la nécessité de s’entourer d’un conseiller en gestion de patrimoine, qui saura solliciter la cellule patrimoniale des assureurs si besoin.Sans oublier que la configuration de souscription n’est qu’un élément de l’analyse patrimoniale. La rédaction de la clause bénéficiaire sera à réaliser avec beaucoup de soin. Plus encore, il faut savoir s’extraire de l’angle « assurance-vie », et commencer par faire un point précis sur le pôle familial et sur les objectifs poursuivis par le client. Cette réflexion préalable permettra ensuite d’utiliser l’assurance-vie à bon escient.Mais attention à ne pas aller trop vite ! « L’assurance-vie est souvent présentée comme un produit d’épargne simple, conclut Alexandre Boutin. En réalité, avec ses multiples possibilités de souscription et surtout de dénouement au travers d’un aménagement de la clause bénéficiaire, il s’agit d’un outil très technique. L’appui d’un CGP averti est indispensable pour optimiser certaines situations familiales et patrimoniales. »
Peut-on passer en co-adhésion en cours de route ?Les assureurs s’y refusent ouvertement, indiquant qu’ajouter un second souscripteur entraîne une novation de l’assurance-vie. Ce qui revient à dire qu’il s’agit d’un nouveau contrat. Pour autant, certaines compagnies d’assurance autoriseraient la co-souscription à un contrat décalée dans le temps, mais refusent de le dire publiquement. Il s’agit là d’ajouter a posteriori un co-adhérent à un contrat souscrit initialement en adhésion individuelle. Le fisc considère depuis longtemps qu’une telle opération s’apparente à une « novation » du contrat, c’est-à-dire une nouvelle souscription faisant perdre l’antériorité fiscale du contrat d’origine.Un arrêt de la Cour de cassation de mars 2015 avait pourtant estimé l’inverse, que l’ajout d’un adhérent était neutre fiscalement. Un cas particulier, disent les assureurs. En l’espèce, le temps écoulé entre la souscription initiale (1988), la co-souscription (1995) et le décès (2003) avaient sans doute influencé le rendu.
Co-souscription : la fiscalité au dénouementAu préalable, rappelons que le conjoint survivant est exonéré de droits de succession en toutes circonstances, y compris pour les capitaux reçus via une assurance-vie. La règle, maintenant. Et qu’en assurance-vie, les versements effectués avant soixante-dix ans (article 990 I du Code général des impôts) profitent d’un cadre fiscal préférable (abattement de 152 500 euros par bénéficiaire) à ceux effectués après soixante-dix ans (article 757 B).Pour un contrat souscrit à deux, le traitement fiscal des capitaux-décès sera fonction de l’âge au moment du versement des primes du co-souscripteur, dont le décès entraîne la clôture du contrat. Pour un dénouement au premier décès, c’est donc l’âge de l’époux prédécédé au moment des versements qui sera pris en compte. Un élément clé dans l’analyse, notamment pour les couples présentant une grande différence d’âge, avec donc une probabilité forte que le co-adhérent le plus âgé décède en premier. Avec aussi un problème de replacement du capital pour le conjoint survivant, s’il a alors plus de soixante-dix ans. Les couples dont les deux conjoints ont dépassé, ou approchent, la limite de soixante-dix ans ont là de quoi réfléchir… Pour un contrat avec un dénouement au second décès, c’est l’âge au moment du versement des primes du second conjoint décédé qui sera pris en compte pour déterminer la fiscalité applicable aux capitaux. Après le premier décès, le contrat reste ouvert au seul nom du conjoint survivant. S’il a plus de soixante-dix ans, en reversant sur le contrat, cette prime sera soumise à l’article 757 B du CGI:abattement de 30 500 euros sur les versements, tous contrats confondus, puis taxation aux droits de succession selon le lien de parenté entre l’assuré et le bénéficiaire.
Le cas du divorceLes réponses des assureurs sont assez divergentes. Pour certains, le divorce induit que les époux devront racheter l’intégralité du contrat, que cela soit intéressant fiscalement ou non. Le capital et les intérêts générés seront partagés à parts égales.Techniquement, le contrat doit faire l’objet d’un rachat total à la demande conjointe des deux (ex)époux (même si le juge ne l’a pas clairement notifié, par ignorance du fonctionnement des contrats d’assurance vie). Les deux ex-conjoints sont alors libres de souscrire un nouveau contrat d’assurance vie, chacun de leur côté, mais perdent les avantages fiscaux de leur ancien contrat.Pour d’autres assureurs, le contrat peut être repris par l’un des époux, après avoir remboursé la moitié au conjoint divorcé. Se pose alors une question : y a-t-il là « novation » du contrat ? Oui pour certains:le contrat co-souscrit ne pourra pas faire l’objet d‘une modification en souscription simple (sur la tête d’un seul des deux (ex)époux), puisqu’on touche à un élément substantiel du contrat. Non pour d’autres, puisque ce changement n’induit aucune obligation supplémentaire (contrairement au passage d’une souscription simple à conjointe).
Réinvestir des capitaux démembrésLa nature des fonds versés dans l’assurance vie est un autre pan de la co-adhésion en assurance vie, ce que préconisent certains professionnels quand il s’agit de capitaux démembrés.Quel est le schéma ? L’usufruitier et le nu-propriétaire sont co-souscripteurs du contrat, l’assuré étant généralement le nu-propriétaire. Des barrières d’âge peuvent être fixées par les compagnies pour le nu-propriétaire, à soixante-dix ans par exemple. Le versement de la somme démembrée est souvent unique. En pratique, l’usufruitier sera ainsi co-souscripteur pour ses droits en usufruit, le nu-propriétaire en co-souscripteur pour ses droits en nue-propriété. Toutes les demandes relatives au contrat devront être signées par les co-souscripteurs, sauf cas particuliers prévus dans la convention de démembrement, et à la suite du décès de l’usufruitier, par le nu-propriétaire. Comme dit, une convention de démembrement sera établie préalablement à la souscription du contrat, signée par les deux co-souscripteurs, et faisant partie intégrante du contrat auquel elle se rattache (précisant notamment l’origine du démembrement, la volonté de l’usufruitier et du nu-propriétaire d’écarter les effets de l’article 587 du Code civil et de réemployer ces sommes pour souscrire en commun le contrat d’assurance-vie). La convention précisera aussi la définition des «fruits», en général considérés comme l’excédent de la valeur de rachat du contrat par rapport au(s) versement(s) net(s) effectué(s). L’usufruitier pourra procéder à des rachats de son plein gré dans cette limite. En tout état de cause, l’assureur est alors garant des droits du nu-propriétaire. Admise, cette solution n’est toutefois pas à suivre systématiquement. Elle l’est davantage quand l’usufruitier n’a pas vraiment besoin de revenus réguliers et est assez âgé, ce qui renforce le but « transmission » de l’opération. Par exemple, ce sera le cas suite à une succession laissant au conjoint survivant un niveau de protection suffisant. En revanche, si l’usufruitier est jeune, a besoin de revenus réguliers, que le capital est important, d’autres alternatives sont à examiner (apporter les capitaux à une société civile, qui souscrira en pleine propriété un contrat de capitalisation, par exemple).