Assurance-vie : l’acceptation du bénéficiaire en cours de contrat

01/02/2021 - source : Profession CGP

Article extrait du mémento Droit de la famille 2020-2021 paru aux Editions Francis Lefebvre

Avant le dénouement du contrat, l’acceptation du bénéficiaire n’est pas exigée pour la validité du contrat. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que le bénéficiaire soit informé de l’existence de ce contrat établi à son profit. Il appartient aux conseils (notaires, conseillers en gestion de patrimoine, etc.) de mettre dans ce domaine leur imagination féconde au service de leur clientèle.

L’acceptation du bénéficiaire nécessite l’accord du souscripteur et prend la forme (C. ass. art. L. 132-9, II, dans sa rédaction applicable depuis le 18 décembre 2007) soit d’un avenant au contrat, signé de l’entreprise d’assurance, du souscripteur et du bénéficiaire ; soit d’un acte authentique ou sous seing privé signé du souscripteur et du bénéficiaire, et qui n’a d’effet à l’égard de l’assureur que lorsqu’il lui est notifié par écrit.

Lorsque la désignation du bénéficiaire est faite à titre gratuit, la loi interdit toute acceptation précipitée en offrant au souscripteur ce qui s’apparente à un délai de réflexion : l’acceptation du bénéficiaire ne peut intervenir que trente jours après que le souscripteur a été informé de la conclusion du contrat.

Avant le 18 décembre 2007, l’acceptation du bénéficiaire n’était soumise à aucune condition particulière et pouvait intervenir à l’insu du souscripteur.

Le cas des majeurs protégés

Pour les majeurs sous tutelle et sous curatelle, l’acceptation de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie sans charge constitue, sauf circonstances particulières, un acte d’administration (décret 2008-1484 du 22 décembre 2008, annexe 2 : JO 31 texte n° 94). Il en résulte que le majeur sous curatelle peut accepter le contrat souscrit à son profit sans l’assistance de son curateur, et que le tuteur n’a pas besoin de l’autorisation du juge des contentieux de la protection exerçant les fonctions de juge des tutelles (ou du conseil de famille) pour accepter le contrat souscrit au profit du majeur sous tutelle.

Si, à l’inverse, le contrat a été souscrit par le majeur protégé, le consentement donné à l’acceptation du bénéficiaire constitue à notre avis un acte de disposition pour lequel le majeur sous curatelle doit être assisté de son curateur, et le tuteur autorisé par le juge.

Si le majeur a souscrit un contrat d’assurance-vie au cours des deux années précédant la publicité du jugement d’ouverture de la tutelle ou de la curatelle, l’acceptation du bénéficiaire peut être annulée si l’incapacité du majeur était notoire ou connue du cocontractant à l’époque de la conclusion du contrat (C. ass. art. L. 132-4-1, al. 4). Bien que la loi utilise le terme de « cocontractant », on doit à notre avis l’interpréter comme visant la connaissance par le bénéficiaire acceptant – et non par la compagnie d’assurance – de l’altération des facultés du majeur.

Effets de l’acceptation Irrévocabilité de la désignation du bénéficiaire

L’acceptation a pour effet de bloquer le contrat au profit du bénéficiaire : « La stipulation en vertu de laquelle le bénéfice de l’assurance est attribué à un bénéficiaire déterminé devient irrévocable par l’acceptation de celui-ci » (C. ass. art. L. 132-9, I). Concrètement, le bénéficiaire est certain de le demeurer si le contrat se dénoue par le décès de l’assuré, sauf s’il accepte de laisser le souscripteur modifier la clause.

L’acceptation dont il est question est celle du bénéficiaire de premier rang. L’acceptation du bénéficiaire de second rang n’empêche pas le souscripteur de modifier le bénéficiaire de premier rang (Cass. 2e civ. du 2 juin 2005, n° 04-13.306 FS-PB : BPAT 5/05 inf. 155).

Exceptions à l’irrévocabilité de la désignation du bénéficiaire

La doctrine considère que la principale exception concerne la désignation du conjoint comme bénéficiaire. Cette désignation ne produisant pas d’effet pendant le mariage (les sommes n’étant dues qu’au décès du souscripteur, sous réserve de la survie du bénéficiaire), elle reste librement révocable (C. civ. art. 1096, al. 2 a contrario). Le souscripteur pourrait ainsi, à tout moment, substituer à son conjoint la personne de son choix. Le fait que les bénéficiaires de second rang aient, eux aussi, accepté le contrat n’empêche pas le souscripteur de revenir sur la désignation de son conjoint (Cass. 2e civ. du 2 juin 2005, n° 04-13.306 FS-PB : BPAT 5/05 inf. 155).

En considérant que l’acceptation du contrat d’assurance-vie (quel que soit le bénéficiaire) obéisse au même régime que la donation, la révocation serait également possible dans les cas suivants :

- en cas d’ingratitude du bénéficiaire, notamment en cas de tentative d’homicide du souscripteur (ou de l’assuré) par le bénéficiaire ;

- en cas d’inexécution des charges qui auraient pu être prévues en contrepartie du consentement du souscripteur à l’acceptation ;

- en cas de survenance d’enfants (sauf lorsque le bénéficiaire est le conjoint), si cette révocation a été prévue dans le document constitutif, en l’occurrence l’avenant ou l’acte constatant l’acceptation (règle applicable aux contrats acceptés depuis le 1er janvier 2007).

Cession du bénéfice du contrat par le bénéficiaire

Après avoir accepté la stipulation faite à son profit, le bénéficiaire peut céder le bénéfice du contrat si cette possibilité a été expressément prévue ou s’il obtient le consentement du souscripteur et de l’assuré (C. ass. art. L. 132-15).

En pratique, il est extrêmement rare que la cessibilité par le bénéficiaire acceptant du bénéfice du contrat soit prévue, ce qui se comprend aisément puisque cette faculté permettrait au bénéficiaire initialement désigné d’imposer au souscripteur un nouveau bénéficiaire qu’il n’a pas choisi.

Opérations sur le contrat Acceptation intervenue depuis le 18 décembre 2007

Jusqu’au terme du contrat, le souscripteur a besoin de l’accord du bénéficiaire pour certaines opérations qui pourraient porter atteinte à la substance même du contrat.

L’acceptation du bénéficiaire réalisée avec l’accord du souscripteur interdit à ce dernier d’effectuer des rachats ou d’obtenir une avance sans l’accord du bénéficiaire (C. ass. art. L. 132-9, I-al. 1 in fine). De la même façon, le nantissement du contrat accepté n’est pas possible sans l’accord du bénéficiaire (C. ass. art. L. 132-10, al. 2).

Les autres modifications contractuelles, dans la mesure où elles n’ont pas pour effet de clôturer le contrat, de diminuer l’épargne acquise au jour de l’acceptation ou de réduire les droits antérieurs du bénéficiaire, sont de la compétence exclusive du souscripteur. Le souscripteur d’un contrat en unités de compte peut, par exemple, librement décider d’un changement de profil de gestion (passage d’un profil prudent à un profil dynamique, par exemple), en dépit du fait que ce changement peut avoir des répercussions importantes à la hausse comme à la baisse sur la valeur de rachat du contrat.

L’acceptation d’un contrat déjà donné en nantissement est sans effet pour le créancier nanti ; sauf clause contraire de l’acte de nantissement, le créancier peut provoquer le rachat en dépit de l’acceptation (C. ass. art. L. 132-10, al. 3 et 4).

Acceptation intervenue avant le 18 décembre 2007

Dans le silence de la loi, la Cour de cassation a décidé que le souscripteur conserve la possibilité d’effectuer un rachat après l’acceptation du bénéficiaire, sauf s’il a expressément renoncé à son droit (Cass. chambre mixte du 22 février 2008, n° 06-11.934 PBRI : BPAT 2/08 inf. 63 ; dans le même sens, Cass. 2e civ. du 19 février 2009, n° 08-11.917 F-D). La solution est, à notre avis, la même pour les avances.

Pour qu’il y ait renonciation expresse du souscripteur à son droit de rachat, il faut qu’un acte distinct manifeste de façon indiscutable sa volonté de subordonner son droit de rachat au bon vouloir du bénéficiaire. La clause, très fréquente dans les conditions générales des contrats, qui subordonne le droit de rachat du souscripteur à l’accord du bénéficiaire acceptant, ne peut pas valoir >>> renonciation expresse (Cass. 2e civ. du 4 novembre 2010, n° 09-70.606 F-D : BPAT 1/11 inf. 49 ; Cass. 2e civ. du 3 novembre 2011, n° 10-25.364 F-D : BPAT 1/12 inf. 33).

Les juges ne peuvent pas requalifier le contrat en donation indirecte au motif que le souscripteur qui a consenti à l’acceptation du bénéficiaire (intervenue avant le 18 décembre 2007) se serait dépouillé irrévocablement, dès lors qu’il n’a pas renoncé expressément à l’exercice de son droit de rachat (Cass. 1re civ. du 20 novembre 2019, n° 16-15.867 FS-PBI : BPAT 1/20 inf. 26).

Intérêt de l’acceptation « acceptée » du bénéficiaire

Nous voyons ici quelques illustrations, sachant que des applications multiples peuvent être trouvées pour répondre à des situations fort diverses ; il appartient aux conseils (notaires, conseillers en gestion de patrimoine, etc.) de mettre dans ce domaine leur imagination féconde au service de leur clientèle.

Nantissement du contrat

L’acceptation du bénéficiaire peut être mise en place pour conférer une garantie : c’est la situation classique de la désignation de la banque comme bénéficiaire acceptant au titre de la garantie accordée en contrepartie d’un crédit qu’elle consent, à hauteur tout au moins du capital correspondant à la garantie demandée, le souscripteur du contrat pouvant, le cas échéant, procéder aux rachats partiels du contrat pour la fraction excédentaire.

Si le contrat comporte déjà un bénéficiaire acceptant, son accord sera nécessaire pour lui substituer un nouveau bénéficiaire.

Fiscalement, financièrement et économiquement, il peut être préférable d’indiquer comme bénéficiaires des personnes choisies par le souscripteur assuré, à charge pour elles de rembourser le solde de l’emprunt (selon des modalités à préciser). Afin de garantir la banque, les fonds seront bloqués dans un compte séquestre (gage-espèce) chez un notaire, à charge pour ce dernier de libérer les fonds au profit de la banque au moindre incident de paiement, et au profit des bénéficiaires désignés pour la fraction excédant le solde de l’emprunt à rembourser, majoré du solde des intérêts de l’emprunt, par exemple.

Protection du souscripteur

L’acceptation du bénéficiaire peut présenter un intérêt pour le souscripteur lui-même qui, craignant de voir ses facultés décliner et de se trouver soumis à certaines « amicales pressions », souhaite « verrouiller » la désignation du bénéficiaire.

Transmission familiale

La souscription d’un contrat d’assurance-vie au bénéfice d’un héritier défavorisé peut être réalisée (dans les limites de l’article L. 132-13 du Code des assurances) dans le cadre d’une opération globale afin d’équilibrer les différents lots. Afin d’assurer la pérennité de l’équilibre, le transfert du capital assuré n’intervenant qu’au dénouement du contrat, l’acceptation de la clause bénéficiaire pourra être une utile précaution. L’acceptation de la clause bénéficiaire peut également être envisagée dans la gestion d’une donation du contrat par des grands-parents à leurs petits-enfants, par exemple. Certains auteurs suggèrent le schéma décrit ci-après, dont l’efficacité est cependant subordonnée à la validité de la transmission de la qualité de souscripteur.

La démarche consiste pour les grands-parents à souscrire chacun un contrat sur la tête de leurs petits-enfants en se constituant bénéficiaires réciproques en cas de décès (si les petits-enfants ont moins de douze ans, l’article L. 132-3 du Code des assurances interdit la conclusion d’une assurance-décès sur leur tête, mais la conclusion d’un contrat en cas de vie assorti d’une assurance en cas de décès semble être admise par les compagnies d’assurance). Puis les grands-parents acceptent mutuellement le bénéfice des contrats et enfin procèdent à la donation de ceux-ci aux petits-enfants. Les petits-enfants sont ainsi propriétaires de contrats dont ils sont souscripteurs et assurés et dont la clause bénéficiaire est acceptée, ce qui assure un contrôle de l’utilisation des sommes figurant au contrat jusqu’au décès des grands-parents, même lorsque les enfants seront majeurs.

Si les grands-parents veulent renforcer la durée du contrôle, il leur suffit dans la désignation des bénéficiaires de prévoir que les parents seront bénéficiaires successifs (en leur faisant accepter cette désignation), de manière qu’en cas de décès prématuré des grands-parents, les parents puissent prendre le relais.

Pour accroître encore la sécurité de l’opération, les grands-parents pourront insérer dans la donation aux petits-enfants une clause d’interdiction d’aliéner (voir aussi F. Lucet et D. Coron, La donation consentie par les parents en vue de la souscription d’un contrat d’assurance-vie : ingénierie patrimoniale, novembre-décembre 1998 p. 2, ainsi que le 96e Congrès des notaires de France : Le patrimoine au XXIe siècle, p. 584).

Afin d’éviter tout risque de contestation quant à la possibilité pour le donateur de transmettre la qualité de souscripteur du contrat, la solution alternative de la donation d’une somme d’argent à charge de souscrire un contrat d’assurance-vie dont le donateur sera bénéficiaire acceptant peut être préférée. L’acceptation du contrat d’assurance-vie peut également être envisagée pour assurer financièrement la compensation d’une renonciation anticipée à l’action en réduction.

 

 

Cas pratique

Jean est chef d’entreprise et a deux enfants, Sylvie et Arthur. Son patrimoine se compose d’une entreprise d’une valeur de 400 et de contrats d’assurance-vie pour 400. Il souhaite transmettre l’entreprise à sa fille et les liquidités à son fils. Le capital versé par la compagnie d’assurances l’étant hors succession, cette somme ne sera pas prise en compte pour le calcul des droits réservataires des héritiers.

Dès lors, l’attribution du capital-décès au profit d’Arthur ne l’empêcherait pas de contester l’attribution au profit de Sylvie de l’entreprise. Une solution peut consister pour Jean à obtenir d’Arthur la signature d’un acte de renonciation anticipée à l’action en réduction. Cela permettra à Jean de rédiger un testament léguant l’entreprise à Sylvie sans risque qu’après son décès, Arthur puisse contester cette attribution. A titre de compensation, la volonté de Jean étant d’assurer l’égalité entre ses enfants, Arthur sera désigné bénéficiaire du contrat d’assurance-vie.

L’acceptation du bénéfice du contrat permettra à Arthur d’empêcher toute modification ultérieure de la désignation bénéficiaire, lui-même ayant perdu dès la signature de l’acte de renonciation tout droit de contester l’attribution à Sylvie de l’entreprise. Afin de sécuriser également les droits de Sylvie sur la succession, car l’attribution de l’entreprise à son profit ne sera définitive que si son père rédige en sa faveur un testament (à défaut de la transmettre de manière anticipée), il pourrait être envisagé que le bénéfice du contrat au profit d’Arthur soit subordonné à la transmission effective de l’entreprise à sa sœur.