Inflation, surchauffe, hausse des taux... Alors que les espoirs de sortie du Covid laissaient espérer un fort redémarrage économique, stimulé par des sociétés et des ménages bien capitalisés après avoir été protégés pendant la crise, et souhaitant rattraper le temps perdu, patatras ! L'inflation s'envole et c'est tout droit vers une récession que l'économie mondiale se dirige, alors que les banques centrales souhaitent apaiser l'inflation en renchérissant le loyer de l'argent.
Cette inflation est à la fois la conséquence directe des largesses de la planche à billets bien sûr, mais aussi des perturbations sur l'offre. Celles qui sont liées au Covid en Chine tout d'abord : l'usine du monde n'a toujours pas de vaccin efficace contre l'épidémie et en attendant adopte une stratégie "Zéro Covid". Celles qui sont liées aux conséquences de la guerre en Ukraine d'autre part. Les sanctions contre les exportations russes viennent raréfier l'énergie disponible et créent une nouvelle pression sur l'offre. Résultat : un cocktail explosif de réduction de l'offre dans un contexte de forte demande, et les acheteurs se mènent une guerre d'enchère. Les autorités monétaires, à défaut de pouvoir stimuler l'offre, n'ont d'autre choix que de calmer temporairement la demande pour casser la spirale inflationniste, délétère pour le pouvoir d'achat.
Boursièrement, la conséquence de la hausse des taux sur les valeurs dites de croissance a été largement commentée. Mais ces conséquences récessives ont aussi été traduites boursièrement par une forte chute des valeurs cycliques. Celles-ci reculent en Europe de 18% depuis le début de l'année en moyenne contre 14% pour les grands indices. Le diagnostic semble imparable : tout sera fait pour ramener la demande plus en ligne avec les biens disponibles. On aura donc à minima un fort ralentissement économique, voire une récession.
Cette perspective peu réjouissante de court terme ne doit pour autant pas éluder les mutations économiques à l'œuvre depuis quelques années déjà, mais qui devraient fortement s'accélérer compte tenu des événements récents. Une page de l'aventure de la mondialisation se tourne, et c'est à la régionalisation du monde qu'il faut penser.
Le phénomène de mondialisation entamé dans les années 80 à l'approche de la chute du rideau de fer, et renforcé par l'entrée de la Chine dans l'OMC en 2001 a radicalement transformé l'industrie européenne. En aplanissant les frontières, la mondialisation a permis une augmentation de la consommation des ménages, mais aussi détruit les emplois manufacturiers dans les pays développés, les entreprises devant s'adapter pour survivre en délocalisant leurs usines dans des zones à main d'œuvre bon marché, ce qu'on a appelé le "dumping social".
Les fameux "plans sociaux" qui faisaient la une des journaux illustraient le coût humain de cette adaptation, et économique pour les entreprises finançant ces plans de restructuration souvent coûteux. La France, particulièrement affectée par ce phénomène, a vu la part de l'industrie dans le PIB reculer de 11 points depuis 1980 et s'affiche à 16% en 2020, bien en deçà de la moyenne européenne ou même de l'Italie (22%). La Chine porte bien son titre d'usine du monde, caracolant à 38% de son PIB dans le secteur secondaire.
Au moins trois phénomènes sont en train de remettre en cause cette tendance lourde et pourraient créer les conditions d'une nouvelle donne, beaucoup plus favorable aux acteurs industriels disposant d'actifs de production sur le vieux continent.
La souveraineté tout d'abord. L'effondrement de l'URSS et la fin de la guerre froide ont été un puissant accélérateur de la mondialisation. La pax americana avait anesthésié les velléités régaliennes et laissé la place au pouvoir économique. L'épidémie de Covid et la foire d'empoigne pour se fournir en équipements de protection, respirateurs, ou vaccins ont été un puissant révélateur de l'interdépendance qui s'était construite au fil des décennies et des fragilités qui les accompagnaient. Les perturbations des chaînes logistiques, et aujourd'hui le retour de la guerre en Europe ont définitivement mis la souveraineté en haut des agenda politiques.
La démographie chinoise ensuite. Imperturbable face aux événements de notre époque, elle joue un rôle majeur dans la capacité productive mondiale. Le déclin de la population en âge de travailler en Chine a débuté il y a environ 5 ans et va progressivement s'accélérer. La hausse du nombre de personnes dépendantes en Chine va probablement également absorber une partie de la main d'œuvre disponible. La seule population en âge de travailler en Chine s'approchait du milliard de personnes en 2020. C'est plus que la population totale combinée de ses deux principaux clients, les Etats Unis (330 millions) et l'Union Européenne (448 millions). On ne peut négliger cette sortie de centaines de millions de Chinois du dispositif productif mondial et de son impact sur la régionalisation de la production. Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à remonter du terrain la moindre compétitivité salariale de la Chine, récemment Lectra partageait sa grande surprise à voir ses coûts de production à Bordeaux bien inférieurs à ceux de l'usine chinoise de son concurrent Gerber, récemment racheté. Si l'exode ne sera certainement pas brutal compte tenu de l'écosystème industriel chinois, il est désormais clair qu'on ne s'implante plus aujourd'hui en Chine pour aller chercher la main d'œuvre la moins chère.
La prise en compte de l'urgence climatique, enfin. Beaucoup plus forte en Europe que sur les autres continents, elle est en train d'entrer dans une phase plus combative, et en cela, plus protectionniste. La stratégie climatique de l'UE, qui a réclamé à son industrie des efforts d'investissement considérables pour réduire son empreinte carbone, vient de franchir une étape via la mise en place d'une taxe carbone aux frontières. Producteurs locaux et importations vont désormais être placés sur le même plan et signer la fin du dumping environnemental. Pour s'assurer des débouchés, les industries devraient ainsi progressivement rapatrier des volumes de production sur le sol européen.
Les deux dernières années, marquées par les ruptures de chaînes logistiques, furent une forme d'aperçu sur des économies plus isolées les unes des autres. Les aciéristes affichent par exemple des rentabilités record. Après une décennie difficile, Arcelormittal a retrouvé ses profits records de 2008, Aperam les a allègrement dépassés. Bekaert, le leader mondial des fils d'acier à destination des pneumatiques (un transformateur), qui dispose d'un outil de production éparpillé à travers le monde, mais dont le premier concurrent chinois concentre sa production sur une grande usine proche de Shanghai, a vu ses marges bondir, alors que ses clients n'avaient pas d'autre alternative que de travailler avec lui. Ces exemples illustrent bien comment les actifs industriels européens, qui dans un contexte de mondialisation étaient souvent « des boulets » pour la rentabilité de leurs propriétaires, peuvent devenir des actifs très rentables à l'heure où la priorité stratégique passe à une meilleure auto-suffisance. L'automatisation des chaînes de production, l'industrie 4.0, vont inéluctablement être des thèmes porteurs au fur et à mesure du rapatriement d'outils de production vers des zones aux salaires plus élevés et dont la main d'œuvre est elle-même déjà insuffisante.
Par Raphaël Moreau
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