Par Laurent Saint-Aubin, directeur de la gestion actions chez Sofidy et gérant du fonds Sofidy Selection 1
Cycle de baisse des taux d’intérêt, décote par rapport aux actifs nets réévalués historiquement élevée, fin de la baisse des valeurs d’actifs… Toutes les planètes semblent alignées pour une performance boursière des foncières cotées en 2025.
Après une année 2024 erratique, qui aura vu un certain nombre de tentatives de rebonds avorter, les foncières cotées ont terminé sur une note globalement stable, comme en témoigne la performance de l’indice FTSE EPRA Eurozone - 0,94 % au 13 décembre dernier. Les perspectives s’annoncent bien meilleures en 2025, année qui pourrait concrétiser un rebond des foncières cotées. Les éléments en faveur d’un tel scénario sont nombreux.
En premier lieu la décote des valeurs boursières par rapport aux actifs nets réévalués. Elle n’a pas vocation à perdurer indéfiniment dans l’univers de l’immobilier coté. En moyenne de 29 %, début décembre, par rapport aux actifs nets réévalués (ANR) à un an (source Kempen au 13 décembre 2024 pour l’Eurozone), elle demeure supérieure à sa moyenne historique. Et ce alors même que la correction des ANR a été sensible depuis deux ans : par exemple - 26 % pour l’immobilier de bureau depuis le point haut du premier semestre 2022, - 25 % pour le résidentiel ou encore - 10 % pour la santé.
Le marché physique comme témoinJustement, la fin de la baisse des valeurs d’expertise constitue un autre élément clef pour un rebond des foncières cotées. Les comptes du premier semestre des foncières cotées ont marqué un début de stabilisation en la matière, voire mieux. A titre d’exemple, la valeur du patrimoine de Klépierre a progressé de 2,0 % en six mois, celle d’Unibail-Rodamco-Westfield se stabilise à - 0,7 % à périmètre constant. Chez Gecina, la valorisation du patrimoine de bureaux ressort en hausse de +0,4 % sur six mois, dont +2 % dans Paris. A cette occasion, on aura constaté que les progressions de loyers demeurent un moteur fort et régulier de l’immobilier coté. Chez Unibail-Rodamco-Westfield, les renouvellements et relocations signés progressent par exemple de +7,4 % après effet de l’indexation au premier semestre 2024, atteignant même +11,9 % pour les baux de longue durée.
Nous pensons que les révisions à la baisse des actifs sont largement terminées. De nombreux dirigeants de foncières témoignent en ce sens.
On peut cependant légitimement penser, qu’en la matière, « la vérité viendra du marché de l’investissement ». A ce titre, l’année 2024 apporte un début de réponse à l’image de Klépierre qui, au premier semestre, a réalisé des cessions d’actifs non stratégiques pour un montant total de 106 millions d’euros (65 millions d’euros d’actifs cédés et 41 millions d’euros sous promesses de vente), au-dessus des valeurs d’expertise (+ 16,4 %). On peut aussi citer, pêle-mêle, l’OPA sur Arima en Espagne, foncière de bureaux de la part de J. Safra Sarasin, banque privée suisse, avec une prime de 38,9 % par rapport à son dernier cours, malgré une décote de 23,8 % sur l’ANR, ou encore l’OPA sur LAR Espana, foncière de retail, par Helios, avec une prime de 16 % sur le cours de Bourse malgré une décote de 25 % sur l’ANR.
Enfin, deux autres opérations intéressantes sont aussi à signaler : celle de la création d’une joint-venture sur un portefeuille résidentiel par Covivio et CDC Investissement. Et la cession par l’Allemand Vonovia d’un portefeuille valorisé à 700 millions d’euros et affichant 3,5 % de rendement, à une entité contrôlée par la ville de Berlin. Déjà, 2023 avait été marquée par quelques OPA soulignant cette déconnexion entre immobilier direct et immobilier coté. Les primes avaient été conséquentes, 52 % par exemple sur le titre Intervest Office, pour l’OPA de TPG, avec une forme d’alignement à 25 % de décote sur ANR.
Baisse des taux d’intérêt favorableAutre élément favorable aux foncières cotées, le cycle de baisse des taux d’intérêt par les banques centrales qui n’en est qu’à son début et devrait donc pleinement faire effet sur le segment en 2025. La BCE doit notamment corriger l’anomalie qui voit les taux courts rester supérieurs aux taux longs. On sait la forte corrélation négative de l’immobilier coté avec les taux d’intérêt, car par nature, l’immobilier, comme tout autre actif financier, est dépendant de la rentabilité de l’actif sans risque. La baisse des taux courts devrait donc enclencher une réallocation vers les actifs plus longs dont l’immobilier en Bourse fait partie.
Le contexte économique européen devrait, de plus, inciter la BCE dans son cycle de baisse des taux, car il témoigne d’un certain affaiblissement de la croissance potentielle depuis la victoire de Donald Trump. La question des tarifs douaniers, qui devrait agiter les marchés, aura un impact négatif sur la croissance européenne.
On constate d’ailleurs, en analysant les déclarations des différents membres de la BCE, que l’institution est bel et bien positionnée sur une trajectoire de baisse de taux affirmée, les craintes sur la croissance se matérialisant, alors que l’inflation rentre dans le rang : en parallèle du dangereux affaiblissement de la croissance européenne et de son moteur allemand, la trajectoire de 2 % d’inflation sera vraisemblablement atteinte au plus tard en 2025. Les propos de Christine Lagarde lors du dernier rendez-vous de la BCE le 12 décembre dernier ont confirmé la politique entamée par l’institution monétaire de l’Union européenne.
Accélération des refinancements dans un contexte favorableLa baisse des taux va permettre aux foncières une meilleure gestion de leur passif. Le secteur a fait face à une accélération des besoins de financement en 2024 (en moyenne 534 M€ sur un échantillon représentant 88 % de l’indice en zone euro), et cela va s’accentuer encore en 2025 (en moyenne 707 M€ sur le même échantillon).
Si les conditions de financement se sont détériorées avec l’augmentation des taux d’intérêt de 2022, la question du « mur de la dette » ne s’est finalement pas posée, car les financements bancaires ne se sont jamais taris et le marché obligataire a repris pleinement son rôle en 2023 avec des émissions certes plus coûteuses mais plusieurs fois couvertes par la demande des investisseurs.
Ces derniers mois, les foncières ont ainsi sollicité des émissions obligataires et même des augmentations de capital pour les mieux notées. Les émissions obligataires du deuxième semestre 2024 témoignent de la confiance des investisseurs envers la classe d’actifs, avec des coupons compris entre 3,50 % pour 650 M€ émis à cinq ans (spread de 110 points de base) par Unibail-Rodamco-Westfield et 6,03 % pour 400 M€ émis à douze ans (spread de 183 points de base) par Hammerson.
En 2025, les besoins de refinancements seront élevés : 3 000 M€ pour Unibail-Rodamco-Westfield, après 1 800 M€ en 2024, 4 830 M€ pour Vonovia après 3 030 M€ en 2024, 2 680 M€ pour Aroundtown après 1 693 M€ en 2024, ou encore 570 M€ pour Icade après à peine 26 M€ en 2024.
Ces refinancements se feront dans des conditions de liquidité correctes, dans la mesure où les notations des principales foncières demeurent dans la catégorie de l’Investment Grade : A- pour Gecina ; BBB+ pour Klépierre, Colonial, Covivio, Vonovia, Unibail-Rodamco-Westfield, Segro, AroundTown ; BBB pour Icade, Carmila, Cofinimmo, Mercialys.
Arbitrages entre sous-segmentsAu final, étant donné les éléments favorables qui s’additionnent, l’opportunité sur la classe d’actifs des foncières cotées nous semble unique en ce début 2025, avec un potentiel de hausse significatif que nous évaluons à plus de 20 % sur la base de notre scénario de baisse de taux actuel. En outre, la gestion active nous paraît posséder un avantage majeur pour surperformer l’indice des foncières cotées, dans la mesure où les performances devraient à nouveau significativement diverger entre les différents sous-segments d’immobilier coté et même entre acteurs d’un même sous-segment en fonction des différences en matière de solidité des bilans.
Nous trouvons déjà une illustration de l’écartement des performances dans les prévisions de croissance des bénéfices à un an avec par exemple, un acteur comme Gecina (+6,5 %) et un autre comme Icade (-7,8 %). Carmila, Unibail-Rodamco-Westfield, Klépierre, CTP, WDP, Unite Students sont à classer dans la catégorie des bons élèves pour l’exercice 2024. A l’inverse, les résultats de Colonial, Aedifica, Cofinimmo devraient reculer sous l’effet des émissions de capital dilutives réalisées sur les douze derniers mois. Nous pensons donc que si la séquence propose un point d’entrée sur le secteur au sens large à court terme, il faudra demeurer particulièrement sélectif pour la suite.
Les divergences devraient s’accentuer, en 2025, entre les différents segments de l’immobilier coté, et nous pensons, qu’à ce titre, il est judicieux de privilégier les sociétés détenant des actifs rares et/ou liés aux secteurs en croissance : centres commerciaux avec du flux, résidences étudiantes, stockage pour les particuliers, foncières de Data Center… Des sous-segments capables de générer de la croissance à la fin des baux. En effet, la nature des actifs détenus est de plus en plus discriminante et si l’inflation passe mécaniquement dans les loyers par l’indexation, seul le Pricing Power propre à un actif permet une réévaluation supplémentaire significative des loyers en fin de bail.
Logique géographiqueEn complément des préférences sectorielles, il y a une logique géographique importante qui opère sur les foncières cotées depuis 2024, avec une préférence des investisseurs pour les foncières de pays affichant des taux de croissance supérieurs à la moyenne : l’Europe de l’Est par exemple, première destination profitant des mouvements de réindustrialisation de l’Europe, mais aussi l’Espagne qui affiche un dynamisme économique inédit. A ce titre, si l’Allemagne est à la peine en 2024, elle présente, selon nous, plus d’attraits que la France. On s’achemine, en effet, vers l’arrivée au pouvoir, en février, d’une coalition dont on perçoit les contours : CDU, SPD et Verts semblent d’accord pour assouplir le critère de limitation du montant de la dette fédérale pouvant être levé chaque année et qui est très limité depuis 2009. Cela peut relancer la croissance en Allemagne, et une exposition accrue à ce pays est intéressante à jouer. Certes, il n’y a plus de foncière de bureaux pure cotée en Allemagne, mais on peut jouer le pays directement via AroundTown, une foncière allemande diversifée (bureaux, logement et hôtellerie). La Française Covivio permet aussi de jouer l’Allemagne indirectement, car présente en matière de logements et de bureaux.